Il ne se passe pas une semaine sans qu'on me questionne sur mon nom. Rima Elkouri, ça vient d'où? C'est marocain? C'est algérien? C'est iranien? C'est musulman? C'est juif?
Ce n'est rien de tout cela. Mais des fois, j'aurais envie de répondre oui, juste pour observer la réaction des gens. Oui, c'est musulman. Oui, c'est juif. J'aurais envie de dire oui, comme l'a fait le cinéaste torontois Jamie Kastner qui, toute sa vie, s'est fait demander s'il était juif. À force de se faire poser la question, il a décidé de répondre par un «oui» hypothétique et en a tiré un film sur l'identité.
Que dit notre nom? Il raconte une histoire, la nôtre ou celle de nos ancêtres. Mais parfois, il charrie aussi plein d'histoires qui ne nous concernent pas. Il peut devenir lourd, encombrant. Il peut faire écran à qui l'on est réellement. Il peut devenir une boîte dans laquelle on nous enferme. On croit savoir qui vous êtes juste en lisant votre nom. On vous attribue des idées qui ne sont pas les vôtres, des intentions que vous n'avez jamais eues. On vous dit: «Vous, dans votre pays» en parlant de pays que vous ne connaissez pas.
Il fut un temps assez lointain où ma mère s'était mis en tête qu'il valait mieux changer notre nom ou du moins le franciser. Un cousin de mon père vivant aux États-Unis avait changé le sien pour Cory. Pourquoi pas nous? se disait ma mère. Non pas qu'elle ait honte de nos origines syro-libano-arméniennes. Mais par simple esprit pratique. Pas tant pour elle que pour le bien de ses deux enfants nés ici. Changer de nom comme on enfile des bottes d'hiver. Parce que ça glisse moins et que c'est plus confortable par temps froid. Pour s'assurer qu'on soit parfaitement intégré. Pour éviter tout a priori. Pour qu'on ait les mêmes chances que n'importe qui. Pour que notre vie ne soit pas une séance d'épellation perpétuelle. Pour éviter qu'on se fasse constamment demander d'où on vient et pourquoi on n'y retourne pas. Pourquoi je ne retourne pas à Cartierville? Euh
C'était bien avant le 11 septembre, bien avant la psychose des «accommodements raisonnables», bien avant que l'islamophobie - qui, fait intéressant, touche tout autant les Arabes non musulmans, parfois eux-mêmes islamophobes - ne devienne presque aussi légitime dans le discours que l'antisémitisme à une autre époque. C'était encore l'époque où le pire qui puisse nous arriver était de se faire traiter de chameau et d'en rire.
Finalement, le vague projet est tombé à l'eau. Et comme mon nom se traduirait littéralement en français par «Gazelle Le Curé», c'est peut-être mieux comme ça.
Cela dit, je comprends parfaitement ces Québécois d'origine arabe qui, comme le révèle ma collègue Catherine Handfield, sont de plus en plus nombreux à vouloir changer de nom. Quand vous envoyez deux fois le même CV, l'un sous le nom de Rachid et l'autre sous le nom de Richard et que seul Richard est convoqué en entrevue, il y a de quoi se poser des questions. Dans certains milieux, avoir un nom arabo-musulman peut devenir un sérieux handicap. Il suffit d'observer le taux de chômage pour s'en rendre compte. Près du quart des musulmans québécois de 25 à 44 ans sont chômeurs. C'est trois fois plus que la moyenne québécoise. Or, ils sont deux fois plus nombreux à posséder un diplôme universitaire. Il y a là un sérieux problème.
Dans un tel contexte, changer de nom est un mécanisme de légitime défense comme un autre. Une simple question de marketing Car les employeurs sont malheureusement souvent comme ces enfants de 3 ans à qui on présente deux produits identiques, l'un avec l'emballage McDo et l'autre sans rien. Ne se fiant qu'à l'étiquette, ils trouvent que le McDo a meilleur goût.
Et vos racines, alors? diront ceux qui voient dans le changement de nom une forme de trahison. «Les arbres doivent se résigner, ils ont besoin de leurs racines; les hommes pas», écrit l'auteur Amin Maalouf. «La sève du sol natal ne remonte pas par nos pieds vers la tête, nos pieds ne servent qu'à marcher. Pour nous, seules importent les routes.» Si changer de nom peut permettre à certains d'accéder à la route, pourquoi pas?
Dans un monde où la perception compte souvent plus que la réalité, changer de nom peut devenir une façon de changer de vie. Changer la société, ce serait mieux, on s'entend. Mais c'est autrement plus compliqué.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé