Barrick Gold récidive

Noire justice!

Chronique de Louis Lapointe

J’ai lu dans le Devoir de ce matin que la minière Barrick Gold récidivait en mettant en demeure les rédacteurs d’un nouveau livre à paraître concernant les agissements des minières canadiennes. Barrick Gold empêche la publication d’un livre:
« Ce livre, qui devait être publié en anglais sous le titre Imperial Canada Inc.: Legal Haven of Choice for the World's Mining Industries, était un ouvrage collectif. Il devait s'attarder, selon le résumé mis en ligne sur le site de l'éditeur Talon Books, à démontrer que le Canada est un véritable «paradis judiciaire» pour l'industrie extractive puisqu'il n'oblige pas ses sociétés à rendre des comptes. Celles-ci bénéficieraient notamment de largesses pour utiliser les paradis fiscaux, en plus de recevoir de généreuses subventions fédérales. Craignant les conséquences juridiques liées à la publication d'un tel ouvrage, l'éditeur en a annulé la publication.»
Les rédacteurs d’une lettre d’opinion publiée dans le Devoir de ce matin écrivent ce qui suit à ce sujet: Impérial Canada inc. – La censure d’un ouvrage jamais paru.
« Il faudra bien un jour ou l'autre que les responsables de l'appareil judiciaire, qu'il s'agisse des avocats, des juges ou des ministres, empêchent cette utilisation malsaine de leur institution et qu'ils fassent quelque chose pour endiguer les poursuites dont l'objectif premier est d'empêcher la participation des citoyens aux débats publics. »
Avant de passer à cette étape, il faudra tout d’abord bien nommer les avocats qui représentent ces compagnies pour que le public sache de qui il est question. Lorsque le collectif d’auteurs de la lettre parue dans le Devoir de ce matin évoque un certain cabinet du nom « Davies », il ne le nomme pas au long, j’ignore pourquoi. J’imagine qu’il s’agit de « Davies, Ward, Phillips et Vineberg », le même cabinet qui représente déjà Barrick Gold dans la poursuite contre la maison d’édition Écosociété en raison de diffamation à la suite de la publication du livre Noir Canada - Pillage, corruption et criminalité en Afrique.
Dans un billet publié l'automne dernier, Le réseau de tous les secrets, voici ce que j’écrivais au sujet de ce phénomène qui consiste à ne pas nommer les choses par peur de représailles :
« Nous devons souvent nous satisfaire de demi vérités à cause d’un système où l’éthique des avocats est en perpétuelle opposition avec celle des journalistes, les politiciens les plus adroits, tels des funambules, marchant sur cette ligne ténue qui sépare vérité et mensonge. Sans pouvoir l’affirmer avec certitude, nous soupçonnons tous qu’une multitude de squelettes traînent dans autant de placards protégés par une armada d’avocats. Ces noms d’entreprises et de politiciens qui nous viennent automatiquement à l’esprit dès qu’on évoque certains scandales, comme autant d’invocations qui attirent le mauvais œil, ne peuvent être associés avec les mots honnis que sont « corruption », « fraude », « délit d’initiés » et « conflit d’intérêts », devenant aussitôt source d’incommensurables malheurs pour ceux qui osent les prononcer, comme autant de sorts jetés par de mauvais génies qui désormais les poursuivront sans répit. »
Si Barrick Gold finance cette guerre contre Écosociété, ce sont les avocats dont elle a retenu les services qui la font. Des avocats qui ont une éthique professionnelle et qui sont soumis à un code de déontologie. Des avocats qui sont parfois des membres de comités du Barreau du Québec, de conseils d’administration de fondations ou d’organismes publics. Des avocats qui n’ont aucun compte à rendre au public de ce que fait leur cabinet, même si ce dernier obtient de faramineux contrats d’organismes publics que nous finançons à même nos taxes et nos impôts et qui viennent grossir leurs honoraires. Davies, Ward, Phillips et Vineberg a parmi ses clients l’UQAM et la STM. Lire dans le Devoir du 11 mars dernier: La STM pourrait devoir verser 2.5 millions à la firme de Bouchard.
***
Si le gouvernement du Québec avait accepté de ne pas nommément interdire les poursuites bâillons comme le lui recommandait le Barreau du Québec il y a deux ans, ce dernier aurait probablement pu éviter l'odieuse tâche de devoir un jour ou l'autre réglementer la profession à ce sujet, de convoquer ses plus prestigieux membres en comité de discipline à la suite de plaintes du public les dénonçant parce qu'ils ont participé à une poursuite bâillon et de les discipliner le cas échéant. Parce qu'elle est avant tout disciplinaire, la solution au problème des poursuites bâillons doit provenir des instances du Barreau du Québec, une organisation essentiellement politique contrôlée par les grands cabinets. Un sujet que j’ai abordé dans ces pages il y a deux ans, dans Poursuites bâillons et recours collectifs.
«Tous ceux qui ont déjà travaillé près de la haute direction du Barreau, savent très bien que le Bâtonnier a une très grande influence au sein du Barreau du Québec puisque c’est lui qui recommande au comité administratif les noms des avocats qui deviendront membres et présidents des différents comités du Barreau, recommandations habituellement suivies à la lettre. Lorsqu’un Bâtonnier du Québec sur deux vient d’un grand cabinet, cela donne le ton aux comités et à leurs recommandations. Certains lobbys influencent-ils le Barreau par avocats de grands cabinets interposés ? Pourquoi le Barreau qui a le mandat de protéger le public ne souhaite pas que le gouvernement adopte une loi pour restreindre les poursuites bâillons alors que du même souffle il veut limiter l’accès des justiciables aux recours collectifs ?»
Dans une opinion publiée dans le Devoir du 18 juillet 2007, je suggérais quelques solutions au contrôle politique du Barreau du Québec, dont sa scission en deux entités distinctes. Repenser le Barreau du Québec?.
« La raison de tout cela est fort simple. Le Barreau est plus une organisation politique que professionnelle. Le pouvoir qui y règne est entre les mains des plus influents membres de la profession, qui proviennent majoritairement des grands cabinets d’avocats de Montréal, ceux-là mêmes que dénonce la juge Otis à mots couverts. Que ce soit au sein des comités du Barreau ou à la plus haute fonction de bâtonnier du Québec, ces charges politiques sont dans la plupart des cas occupées par des représentants des grands cabinets, car le pouvoir est là ! (...)
Une façon de rééquilibrer les choses serait de doter le Barreau d’une administration ayant un plus grand poids professionnel (...) De tels changements au sein du Barreau auraient pour effet de rééquilibrer le pouvoir des forces en présence entre les comités, les professionnels et le public, et de redorer l’image du Barreau auprès du public. Cela sera-t-il suffisant pour raviver la confiance du public envers ses avocats ? Il y a en effet de plus en plus de justiciables qui sont convaincus que la réforme du Barreau devrait être encore plus radicale et conduire à une scission pure et simple de l’organisme par l’abolition du Barreau qu’on connaît actuellement ; celui-ci serait remplacé par deux organismes distincts, soit un ordre professionnel responsable de policer les avocats et de veiller aux intérêts du public, et une association professionnelle des avocats responsable de défendre ses membres.
Si le Barreau ne trouve pas le courage et l’audace de se réformer lui-même, il risque d’être confronté un jour ou l’autre à l’inévitable scission que lui imposera le gouvernement à la suite des pressions grandissantes qu’exercera le public.
»
Les poursuites bâillons pourraient-elles devenir la bougie d'allumage d'une réforme en profondeur du Barreau du Québec?

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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1 commentaire

  • Archives de Vigile Répondre

    31 mars 2010

    Moi qui ne prend presque jamais de billet de loterie: avoir dépensé près de 4 milles dollars en frais juridiques et d’ouverture de site (www.ataxie.ca) pour être finalement condamné et sans possibilité d’interjeter appel, franchement faut le faire !
    Comme tentative de muselage, on a déjà vu ça. Nous devons être trop dérangent pour l’ordre établi.
    Cela est d’autant plus révoltant que la société pourrait profiter grandement de nos connaissances en informatique ou sur les satellites. Les exclure serait la pénaliser.