Le ministre fédéral unilingue anglophone de l’Immigration, Sean Fraser, publiait, juste à temps pour la Saint-Valentin, le plan d’immigration du gouvernement de Justin Trudeau pour 2022-2024. Ce plan est de hausser, encore une fois, les volumes d’immigration, qui passeront de 184 606 personnes en 2020 à 431 000 nouveaux résidents permanents en 2022 et à 451 000 en 2024.
Ottawa souhaite admettre 1,33 million de nouveaux immigrants permanents en seulement trois ans. Il s’agit d’une hausse de 80 % par rapport aux seuils d’immigration qui avaient cours avant la prise du pouvoir par le Parti libéral du Canada en 2015. Au prorata de la population, le Canada est déjà l’un des pays occidentaux qui accueillent le plus d’immigrants.
Immigration temporaire
Et ces chiffres ne valent que pour les immigrants permanents, soit ceux qui obtiennent la résidence permanente. Parallèlement à cette hausse constante et soutenue de l’immigration permanente, nous assistons à une hausse vertigineuse de l’immigration temporaire, c’est-à-dire du nombre de personnes accueillies au Canada avec un permis d’études ou de travail temporaire. Le nombre de travailleurs étrangers détenteurs d’un permis de travail temporaire est passé de 66 600 en 2000 à 429 000 en 2018, soit une augmentation de 544 % en 18 ans. Ces travailleurs temporaires obtiennent de plus en plus, à terme, leur résidence permanente (à hauteur de 50 %). L’immigration « temporaire » est donc souvent de l’immigration permanente déguisée. À ces travailleurs temporaires il faut ajouter les étudiants étrangers, dont le nombre augmente exponentiellement ; en 2020, nous en étions à 530 540 étudiants étrangers au Canada. Si on combine ces deux catégories temporaires, il y avait, au 1er janvier 2020, 1,3 million d’immigrants temporaires au Canada.
Pour estimer le volume global et l’incidence de la migration, il faut additionner les permanents aux temporaires. Aux 431 000 immigrants permanents en 2022 il faut donc ajouter environ 1,3 million d’immigrants temporaires, ce qui donne le chiffre de 1,73 million d’immigrants pour 2022, soit environ 4,7 % de la population totale du Canada.
Conséquences pour le Québec
L’arrivée d’un aussi grand nombre d’immigrants en si peu de temps a plusieurs conséquences néfastes pour le Québec. L’immigration est d’abord la cause directe du recul accéléré du français auquel on assiste depuis 15 ans. Mais elle a aussi pour effet d’exacerber la crise du logement, la hausse du volume d’immigration étant directement responsable de la hausse débridée du prix de l’immobilier au Canada. La crise du logement, bien sûr, frappe d’abord les plus pauvres, ce qui inclut souvent les nouveaux arrivants.
Mais cela ne semble pas émouvoir outre mesure le Parti libéral.
En faisant de l’immigration temporaire la voie d’accès royale vers la résidence permanente depuis 2014, Ottawa a modifié unilatéralement le système d’immigration et a dépouillé le Québec d’une bonne partie de ses pouvoirs en immigration. Pourquoi ? Parce que le Québec n’a aucun pouvoir de sélection sur l’immigration temporaire, de plus en plus importante numériquement parlant, et qui relève strictement d’Ottawa. Le pouvoir de sélection des immigrants a ainsi glissé, indirectement, de Québec vers Ottawa.
À cela, il faut ajouter la discrimination exercée par Ottawa contre les immigrants francophones qui souhaitent s’installer au Québec ou y étudier en français. Le ministère fédéral de l’Immigration sabote activement, de façon volontaire ou non, les efforts du Québec pour attirer des francophones.
Un piège parfait
Les premiers chiffres publiés du recensement 2021 indiquent que le poids relatif du Québec au Canada a baissé pour un 11e recensement d’affilée, passant de 28,9 % en 1966 en 23 % en 2021. Avec la hausse des seuils, la baisse de ce poids va s’accélérer. Pour le contrecarrer, Québec devrait accepter environ 103 730 immigrants permanents par année à partir de 2024, soit plus du double des seuils actuels, seuils qui sont déjà en train de conduire à l’effondrement du français dans toute la grande région de Montréal.
Pour le Québec français, la question de l’immigration est donc un piège parfait ; pile, il perd ; face, le Canada gagne. L’avenir réservé au Québec dans le Canada, c’est la noyade démographique.
En 2017, Statistique Canada a publié une étude de projections démolinguistiques, qui annonçait un effondrement du poids démographique des francophones au Québec à l’horizon de 2036. La proportion de francophones au Québec passerait, selon ces projections, de 78,9 % en 2011 à 69 % en 2036, une chute de 9,9 points. Il s’agit d’un effondrement sans précédent dans toute l’histoire du Québec.
Cette projection de 69 % était calculée avec un scénario « immigration forte » qui correspondait, grosso modo, à 350 000 immigrants permanents par année au Canada. Or, la hausse des niveaux d’immigration à 451 000 signifie que le chiffre de 69 %, loin d’être un « plancher », est maintenant un « plafond » ; la proportion réelle des francophones au Québec en 2036 sera très certainement en dessous de ce chiffre.
Cela sera vrai même si le Québec ne hausse pas son seuil d’immigrants permanents actuel de 50 000 par année (note : le Québec n’a pas ce pouvoir et doit suivre les seuils fédéraux selon l’Entente Canada-Québec). Pourquoi ? Parce que le Québec n’a aucun contrôle sur la migration interprovinciale. Le solde de cette migration est devenu positif en 2020 pour la première fois depuis 1961. Il est probable que l’anglicisation accélérée de la grande région de Montréal fait que de nombreux Canadiens peuvent maintenant y vivre en anglais comme s’ils étaient à Toronto, et ce, à moindre coût. À Montréal, le fait français ressemble de plus en plus à un résidu historique appelé à se dissoudre dans le grand tout canadien. Le projet de loi 96, qui évite soigneusement toute mesure structurante, ne changera rien à cet état de fait.
Le portrait global qui se dégage est celui-ci : si Ottawa avait un plan méthodique, systématique, afin de liquider une fois pour toutes le Québec français, ce plan ressemblerait probablement à ce que l’on voit se dérouler sous nos yeux.
Il va falloir que le gouvernement du Québec se réveille. Et vite.