Trois évidences font lentement mais sûrement leur chemin jusque dans les cerveaux les plus obtus, et notamment chez les dirigeants occidentaux les plus obstinés dans le déni des réalités. La première est qu’il n’y a ni compromis envisageable ni conciliation possible entre l’État islamique et le reste du monde, autrement dit entre la civilisation et la barbarie. La deuxième est qu’il est à la fois inévitable et souhaitable, les choses étant ce qu’elles sont, qu’une coalition politique et militaire sans aucune exclusive se constitue sans délai pour en finir avec le monstre, connu sous le nom de Daech, qu’a fait naître, grandir et prospérer un faisceau de calculs, de lâchetés et de complicités. La troisième est qu’il n’est pas question de rééditer les erreurs commises en Irak puis en Libye et de se figurer qu’il suffit d’abattre un dictateur et de détruire un État pour voir surgir sur la tombe de l’un et les ruines de l’autre une démocratie modèle.
Il n’est pas jusqu’à la politique étrangère de la France qui ne soit en passe d’évoluer, moins d’ailleurs (ne nous faisons pas d’illusions) sous l’effet d’une soudaine lucidité qu’en fonction de l’évolution récente de celle des États-Unis. Pour la première fois, bien que sans aller jusqu’à reconnaître (ne rêvons pas) qu’il s’était jusqu’ici complètement fourvoyé, le président de la République vient d’admettre qu’on ne saurait continuer à exclure de la nécessaire alliance à venir l’Iran et la Russie, sans lesquels la Syrie et l’Irak seraient tombés sous la coupe des modernes Pavillons noirs et sans lesquels il n’y a pas de victoire possible sur le terrain. Bien mieux : François Hollande, tout en confirmant son soutien à une opposition démocratique modérée qui n’existe plus que dans ses rêves et dans les couloirs des palaces ou des congrès internationaux, a concédé que le régime syrien serait partie prenante dans la lutte et dans les négociations qui ramèneraient la paix. Mais en ajoutant aussitôt qu’il n’était pas question d’associer à quoi que ce soit le chef dudit régime et qu’il fallait « neutraliser » Bachar. « Neutraliser », qu’est-ce à dire ?
Perseverare diabolicum. Rien ne sert de leçon à qui refuse d’apprendre. Le vertueux chef de l’État, si pour notre malheur il avait été en fonction il y a trois quarts de siècle, aurait-il également écarté l’hypothèse d’associer l’URSS à la lutte à mort contre le totalitarisme nazi à moins que Staline fût préalablement « neutralisé » ? Ignorerait-il encore que toutes les minorités syriennes – alaouite, chrétienne, laïque, druze – ont choisi bon gré mal gré de soutenir Bachar de la même façon que l’immense majorité des Russes avaient fait bloc derrière Staline, leur persécuteur, dans la grande guerre patriotique ? De quoi se mêle François Hollande ? Est-il en droit et en mesure de dicter aux Syriens son choix ? Et comment réagirait-il si, arguant de son exceptionnelle impopularité, un dirigeant étranger n’acceptait de négocier avec la France que sous condition qu’il soit « neutralisé » ?
La France, les pays de l’OTAN, les États-Unis ouvriront-ils enfin les yeux avant que soient tombés Damas, le régime et Bachar, ou faudra-t-il que Damas, le régime et Bachar tombent pour qu’ils comprennent enfin ? L’urgence est pourtant là, et chaque jour qui passe sans que le monde civilisé réponde par la guerre à la guerre qui lui a été déclarée renforce la puissance, le prestige, la capacité de nuisance et la capacité d’entraînement de l’État islamique. N’en déplaise aux myopes qui nous gouvernent, ce n’est pas en multipliant les patrouilles dans nos villes et nos gares, ce n’est pas en accumulant les fiches « S » non exploitées, ce n’est même pas en décorant les héros de passage qui nous ont évité un massacre que l’on viendra à bout de l’hydre djihadiste. N’en déplaise aux excités et aux irresponsables qui poussent des cris d’orfraie quand une église est menacée ou détruite mais que comble de joie l’incendie d’une mosquée, ce n’est pas à Auch, paisible chef-lieu du Gers, que se situent le problème et la solution. Il faut frapper là où est le nid de vipères, là où est l’œuf du serpent.
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