Je l’avoue devant le haut tribunal des écrivains donneurs de leçons et des criticaillons littéraires qui préfèrent ne pas savoir, j’ai commis un crime impardonnable: je n’ai jamais lu Mordecai Richler! Coupable, je suis, à leurs yeux, et honte à moi, semble-t-il.
[->archives/ds-societe/index-racisme-richler.html]J’ai entendu parler pour la première fois de cet écrivain lors de la parution de son pamphlet Oh Canada, Oh Québec / Requiem pour un pays divisé, qui ridiculisait le Québec et les lois qu’il s’était données pour protéger la langue française au Québec. Nom de dieu! comment pouvait-on être si borné, si aveugle et en même temps si méprisant? Les mots respect, autonomie, souveraineté, indépendance, prise en main, langue française faisaient-ils peur à ce point-là à qui exerce un pouvoir indéniable de domination depuis plus de deux cents ans? Mais là n’est pas mon propos, car les propos de Mordecai Richler ont été longuement débattus et condamnés, y compris parmi les siens, et cela me semble une question réglée, un peu comme me semble réglée, finalement, la question de l’apartheid en Afrique du Sud.
Là où je veux en venir, c’est ce sentiment de culpabilité qu’on tente de nous infliger immédiatement et automatiquement si on n’a pas lu ce GÉCAM (grand écrivain canadien-anglais de Montréal).
L’autre jour, je croisai une amie près d’un parc, dans le quartier où j’habite depuis peu. Elle est dans le début de la trentaine, très branchée culture, très «montréalaise», comme on aime le dire actuellement dans certains milieux frileux. Et je la questionnai au sujet du nouveau roman de Christian Mistral, pensant que son jeune âge en faisait automatiquement une lectrice cible. Sa première réaction a été de dire que jamais elle ne lirait un livre écrit par un batteur de femmes. Elle semblait au courant de tous les déboires de ce jeune vieux écrivain qui avait été condamné à trois ou quatre reprises pour avoir tapoché ses blondes. Moi, je n’ai jamais frappé une femme, même si j’ai reçu à quelques reprises quelques bonnes claques sur la gueule, sûrement méritées, et il ne me serait jamais venu à l’esprit de riposter et de frapper une femme. Sans doute mon vieux fond chevaleresque, un héritage de mon éducation catholique, mon côté «macho positif» qui m’interdit ce genre de comportement, je ne sais pas vraiment. Mais je fus tout de même très peu étonné de sa réaction. Je me sentais en territoire ami et je n’étais prêt ni à la juger ni à la condamner, au nom de l’unité de la grande famille littéraire.
Que penser de cette femme, et des nombreuses autres, qui pensent de la sorte? Elles doivent se dire à peu près la même chose que moi je me dis à propos de Richler: je ne suis pas assez masochiste pour encourager, par ma lecture, un écrivain obtu qui s’en prend à plus faible que lui, que son écriture soit, ou non, géniale. Est-elle bornée, cette jeune femme qui me semble tout à fait normale dans sa démarche et dans ses choix? Est-ce que Mistral manque à sa culture? Sans doute pas. Est-ce que Mordecai Richler manque à ma culture? Sans doute pas. Lire, c’est aussi choisir, et le choix est vaste, la planète livres n’ayant pour ainsi dire pas de limites, tout comme les plaisirs de lectures. Pourquoi lirais-je un auteur qu’on dit génial, en faisant abstraction de ses attaques à ma dignité, des calomnies, des injures grossières et des railleries qu’il a dites sur moi? Suis-je né pour tendre sans cesse l’autre joue à celui qui tient des propos injurieux et dégradants à mon égard, pour me fermer les yeux et me boucher les oreilles devant tant d’infamies? Je ne le crois pas. C’est mon choix, j’en ai payé le prix, et cela dès mon adolescence.
Je peux comprendre que d’autres personnes puissent se sentir en terrain ami et faire abstraction de ces considérations. Ces lecteurs et ces écrivains ne se sont pas sentis visés par les propos haineux de Mordecai Richler, grand bien leur en fasse, et je ne leur demande même pas de me comprendre, ce serait un combat perdu d’avance, j’en suis certain. Mais moi, qui ne suis pas amnésique, oui je me suis senti visé et j’en ai été blessé. J’ai pourtant la «couenne» assez dure. Et je ne suis pas prêt à transformer l’agresseur en victime, du simple fait qu’il n’est plus là pour se défendre et s’expliquer.
Shalom.
Mordecai Richler, écrivain méconnu ou écrivain malveillant?
Pourquoi lirais-je un auteur qu’on dit génial, en faisant abstraction de ses attaques à ma dignité, des calomnies, des injures grossières et des railleries qu’il a dites sur moi?
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