Denis Lessard - (Québec) Le premier ministre Jean Charest a ordonné sans détour à son ministre de la Justice, Marc Bellemare, d'approuver les choix d'un argentier du parti pour des nominations de juges.
Dans sa déposition, fort attendue à la commission Bastarache ce matin, Me Bellemare a, dans le détail, établi la chronologie des interventions en faveur de la nomination de Marc Bisson à la Cour criminelle et de la promotion de Michel Simard comme juge en chef adjoint à la Cour du Québec. Responsable du financement du PLQ dans la région de Québec, Franco Fava était intervenu avec insistance durant l'été 2003 pour obtenir la nomination de Me Bisson, un avocat de l'Outaouais, fils d'un important organisateur libéral de la région.
Surtout, Me Bellemare a levé le voile sur une rencontre qu'il a eue avec le premier ministre Charest à son bureau de Québec, le 2 septembre 2003. M. Fava exerçait des pressions «colossales» pour Me Bisson. Il avait rencontré le ministre à quatre ou cinq reprises dans des restaurants de Québec et passé une dizaine de coups de fil au cabinet. Fin août, Jean Charest croise son ministre à la réunion hebdomadaire du conseil et indique qu'il est bien au courant que Me Bellemare «a des problèmes avec Franco».
À la rencontre du 2 septembre, M. Charest met cartes sur table selon M. Bellemare. «Franco est un ami personnel, c'est un collecteur influent du parti et on a besoin de ces gars-là», a dit l'ex-ministre, rapportant les propos de son ex-patron. «Il faut les écouter. Si Franco te dit de nommer Bisson et Simard, nomme-les», aurait insisté M. Charest. M. Bellemare a aussi révélé qu'il avait au même moment dénoncé une demande d'intervention «inacceptable» de l'un des conseillers du premier ministre, Denis Roy, dans un procès criminel. Me Roy est depuis plusieurs années passé à la présidence de la Commission des services juridiques, responsable de l'aide juridique.
Pour Me Bellemare, il est clair que Me Bisson faisait partie de la courte liste retenue par le comité indépendant chargé d'analyser les candidatures. Mais il est inexplicable que l'organisateur Fava ait été au courant des résultats. M. Fava en menait très large dans les officines libérales, soutenait avoir des rencontres hebdomadaires avec la responsable des nominations au cabinet du premier ministre, Chantal Landry.
«Ça fait neuf ans qu'on est dans l'opposition, il faut nommer notre monde», disait fréquemment M. Fava au dire de l'ex-ministre Bellemare. Pour M. Fava, le père de Marc Bisson, Guy, avait puissamment contribué à l'élection de députés libéraux, de Norm MacMillan notamment.
Pour la promotion de Michel Simard comme juge en chef adjoint, c'est surtout un autre financier libéral de Québec, Charles Rondeau, qui était intervenu pour son ami de longue date, se souvient Me Bellemare. Les deux juristes étaient compétents, mais, rappelle M. Bellemare, «ce n'était pas mes choix». Pour le poste de juge en chef, le ministre avait même rencontré un autre juge, Claude Chicoine, de la Rive-Sud de Montréal. Plus jeune, et sensible aux problèmes des délais dans la Justice à Montréal, M. Chicoine aurait été un meilleur choix, soutient encore Me Bellemare.
L'influence de M. Fava dans le gouvernement était telle qu'il «savait avant moi que j'allais être nommé au conseil des ministres. Il était plogué pas à peu près», a déclaré M. Bellemare soulignant que l'entrepreneur insistait lourdement sur son «amitié» avec Jean Charest. «En politique le premier ministre c'est le pape. On lui doit tout», explique Me Bellemare quand on lui a demandé pourquoi il avait obtempéré à ces directives. Il était resté pour faire avancer ses réformes, en vain. «Si j'avais su dès ce moment que les réformes ne seraient pas mises en oeuvre j'aurais démissionné dès le 2 septembre 2003», a-t-il affirmé ce matin.
Après le 2 septembre, il était devenu clair que «MM. Bisson et Simard allaient être nommés», des choix qui relevaient de la «décision de Jean Charest», soutient Me Bellemare. Procureur chef de la commission, Me Guiseppe Battista, a voulu établir le contexte de ces interventions. D'autres juges ont été nommés par M. Bellemare sans qu'il y ait eu d'influences externes. Il a aussi relevé que dans sa lettre de démission du gouvernement, en avril 2004, Me Bellemare n'avait jamais mentionné ses divergences de vues sur les nominations. L'ex-ministre avait expliqué son départ par le «sabotage» de ses projets de réformes du tribunal administratif du Québec.
Les audiences de la commission présidée par Michel Bastarache se poursuivent cet après-midi. La commission avait été formée en avril dernier pour lever le voile sur les allégations de Marc Bellemare sur l'intervention de tiers dans le processus de nomination des juges.
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