Manifestation pour un gouvernement belge !

Chronique de José Fontaine

[Assez légitimement, des Québécois pourraient me poser la question de savoir si, quand je m’exprime ici, j’exprime le courant principal de l’opinion wallonne. J’avoue que non. Mais que je me sens proche des 30% de Wallons qui souhaitent qu’on augmente les compétences de la Wallonie ou même de ceux (moins nombreux) qu’on en finisse avec la Belgique. A la fin de cette chronique je citerai l'opinion d’un Bruxellois francophone modéré qui pourra peut-être participer à la manifestation dont je vais parler (et à laquelle je n’irais que pour contre-manifester), mais qui doit à mon sens partager pas mal de réticences à son égard, qui peuvent être les miennes aussi.]
Historique des manifestations unitaristes belges
Il y a eu depuis l'exacerbation de la question nationale en Belgique dans les années 60, quatre manifestations clairement et directement unitaristes, toutes organisées à Bruxelles et réunissant toutes entre 20 et 40.000 personnes (sauf la dernière): en 1963 , en 1993, en 2007 et en 2010. Celle de 2007 (le 18 novembre), ne rassembla que des BCBG bruxellois comme le notait Jean Quatremer dans le journal Libération du 19 novembre 2007 : « Autant dire que, comme beaucoup le craignaient, elle montre qu'un possible éclatement du pays est surtout une inquiétude francophone et, pour tout dire, une inquiétude de la bourgeoisie francophone si l'on en juge par le public largement composé de BCBG des communes de la région de Bruxelles-capitale. ». Pour 1963, (le 31 mars de cette année), La décision politique en Belgique, Crisp, Bruxelles, 1965, p. 145 écrit: «Le rendez-vous des Belges du 31 mars 1963 à Bruxelles rassemblait essentiellement des Flamands francophones plus ou moins bilingues d'Anvers, de Gand, d'Ostende, de Louvain, Tirlemont, etc., beaucoup de francophones installés dans la périphérie bruxelloise et très peu de Wallons (une proportion d'un sixième des effectifs globaux du cortège, de l'aveu même des organisateurs). » Celle du 25 avril 1993, fut décrite par un témoin avisé comme le sociologue Michel Molitor, qui nous le confia à l'époque, comme ne rassemblant que des privilégiés qui n'avaient jamais eu l'occasion de manifester. Le 18 novembre 2007, les images à la RTBF (JT de 13 h de ce jour-là), des femmes et hommes rassemblés vers midi ont donné le même sentiment (d'ailleurs partagé par Jean Quatremer que j'ai cité plus haut). La manifestation n’atteignit sa participation maximum que vers midi, au fur et à mesure que des habitants de Bruxelles en venaient grossir les rangs. Il s'agissait bien de Bruxellois puisque les manifestants parvenus au Cinquantenaire, rentrèrent alors chez eux – « pour dîner » précisait le JT de la RTBF. Cette opinion nationaliste belge non explicitée rationnellement est inapte à déboucher sur un projet politique. Ces manifestations se ressemblent toutes.
La manifestation du 16 mai 2010 pourtant annoncée à grand fracas la veille par la RTBF rassembla, selon la même télé, de 2 à 5000 manifestants (soit beaucoup moins que les trois précédentes qui regroupèrent de 20 à 40.000 participants chacune). Et les journalistes nationalistes belges de la RTBF reconnurent que c’était un échec. On ne peut certes pas contester le fait que beaucoup de Bruxellois francophones (surtout) et de Wallons (jamais fort présents à Bruxelles pour ces manifs, encore moins les Flamands), demeurent attachés au pays. Mais quel est leur projet politique ? Ces manifestations ont été chaque fois suivies régulièrement d'une extension parfois considérable des compétences des Etats fédérés. Et ce processus va s’amplifier précisément si les négociations pour former un gouvernement aboutissent. Or, depuis quelques jours, une autre manifestation, analogue à celles dont je viens de parler, se prépare. Les partisans de celle-ci, omniprésents dans les médias nationalistes belges (c’est-à-dire quasiment tous les médias francophones, avec des nuances), annoncent déjà qu’il pourrait y avoir beaucoup de monde, ce qui est loin d’être objectif et qui peut s’interpréter comme un appel à aller manifester et comme le fait de prendre parti. Mais La Libre Belgique , par exemple, regrette que les objectifs de cette manif ne soient pas clairs, qu’il y ait une confusion dans ses objectifs (mais c'est lié à son idéologie même). L’éditorialiste de ce journal regrette tout cela, car il est manifestement attaché à l’unité du pays. Mais qu'est-ce que cela veut dire encore vraiment? Ma question est honnête, on va le voir.
Une nouvelle manif pour ce 23 janvier
Il y aura donc sans doute encore quelques milliers de gens dans la rue demain, dimanche 23 janvier, mais des responsables de la manifestation ont même parfois demandé qu’il n’y ait pas de drapeaux belges ! (A mon sens, il y en aura). Il faut être le plus neutre possible. Les médias nationalistes belges ont accentué considérablement leur propagande en faveur de cette manifestation. C’est peut-être simplement un appel moral aux hommes politiques de mieux travailler et de travailler plus vite. Mais s'ils y parviennent, cela signifiera aussi, très paradoxalement, qu’il ne sera plus possible de manifester politiquement en faveur de la Belgique. Puisque, si les négociations politiques aboutissent, les Etats fédérés exerceront de 70 à 80% de toutes les compétences étatiques. C.E. Lagasse a déjà calculé dans Les nouvelles institutions de la Belgique et de l'Europe, Erasme, Namur, 2003 (ouvrage de référence), que les ressources pour gouverner des organes supérieurs de l'Etat (l'Etat fédéral et les Etats fédérés), se partagent ainsi: 51% de celles-ci sont allouées aux entités fédérées et 49% à l'Etat fédéral (hors le service de la dette publique: voir cet ouvrage pp. 288-289). Or on prévoit des transferts de compétences massifs vers les entités fédérées (de la politique de l'emploi au code de la route en passant par la Justice, la fiscalité etc.). On pourrait dire, sur cette base, que l'Etat fédéral belge n'exercerait donc plus que 25% des compétences étatiques, moins encore peut-être... Si la Belgique et l'Etat fédéral sont liés (comme toutes les nations et leur Etat), que restera-t-il donc encore de la Belgique? Puisque, dans cette hypothèse, la Flandre aura politiquement et économiquement, comme institution étatique, un plus grand poids que l'Etat fédéral belge?
Depuis 1963, la Belgique a bien changé!
Depuis la manifestation de mars 1963 (il y a presque 50 ans), les rendez-vous des nationalistes belges perdent donc de plus en plus leur signification politique. En raison du fait que l'unité belge de 1963 (qui était celle d'un Etat fortement centralisé), a fait place à l'unité fédérale (ou même confédérale), d'un pays qui n'est plus unitaire et où certaines compétences des Etats fédérés sont analogues à celles d'Etats indépendants (le pouvoir de signer des traités par exemple, sans vrai veto fédéral possible, l'équipollence des normes, l'exclusivité sans défaut des compétences, jamais polluée comme au Canada par le fameux pouvoir de dépenser). Pour plaire à un public de plus en plus large, les politiciens francophones, regroupés dans un système particratique francophone et antiflamand, font de plus en plus disparaître leurs distinctions politiques. Certains commentateurs ont même souligné que certains leaders politiques usent et abusent d'expressions démagogiques (voire poujadistes), comme le fait de dire qu'ils se soucient seulement des vrais problèmes des gens (ce qui a quelque chose d'un peu méprisant comme si les gens ne pouvaient être que cela et pas aussi des citoyens). Même à l’égard des Flamands et entre eux, ils liment leurs différences (de grandes rivalités subsistent cependant, mais sont tues, et, d’autre part, les partis wallons/francophones qui négocient sont de gauche ou du centre-gauche comme les 3/4 des électeurs wallons: en Flandre, ces proportions s'inversent). Le politiquement correct a si bien gagné le grand large que son insignifiance atteint des dimensions océaniques. Et on dirait vraiment que l'on ne peut plus parler de projet politique, surtout en Wallonie, hélas! Où le Parlement est prié de se taire. Or les manifestants de demain n'en ont pas non plus, de projet politique partagé. A quoi tout cela rime-t-il?
Un vide idéologique manifeste
Notons cependant que ce vide correspond à l’idéologie nationaliste belge actuelle qui a nom « belgitude » depuis les années 70. Face à la probable disparition (ou évaporation) du pays, on tente de conjurer le sort en parlant d’une identité belge de la non-identité. Gribouille se jetait à l’eau pour ne pas être mouillé par la pluie. Les militants belgicains jettent les dernières significations politiques de la Belgique dans le vide pour éviter que l'autonomie grandissante de Bruxelles, de la Flandre et de la Wallonie ne viennent plus contredire leur nostalgie d'une Belgique disparue (et qui n'a même probablement jamais existé).
Il est même possible qu’il n’y ait pas grand monde à la manifestation de dimanche (et en tout cas pas grand monde venant d'ailleurs que de Bruxelles), mais les Wallons, les Flamands et les Bruxellois qui veulent bâtir leurs Etats-Régions ne pourront trop s’inquiéter d’une manifestation qui, même massive, est condamnée à l’échec par la volonté même de ses propres initiateurs. Quant aux médias et aux dirigeants politiques wallons et francophones, soucieux avant tout qu’il n’y ait pas de vagues, ils devraient réfléchir au fait qu’il y a sans doute mieux à faire que d’encourager ces initiatives finalement un peu creuses s’ils veulent rester crédibles.
Comme je l’ai dit en commençant cet article, le sentiment dont je fais part ici n’est pas nécessairement marginal et, s’il est minoritaire, il reflète une minorité importante, en plus d’être, je crois, rationnel. Une preuve de cela: Manu Ruys qui a été un important éditorialiste nationaliste flamand, pendant des décennies, dans De Standaard, écrivait au milieu des années 90 que la Belgique n'éclaterait pas, mais s’évaporerait . Cette opinion qui était encore considérée il y a peu comme une opinion tranchée peut être aujourd'hui celle de quelqu’un comme Philippe Van Parijs qui invite d’ailleurs les lecteurs du journal Le Soir à participer à cette évaporation, mais dans un esprit d’entente entre Belges qui ne nie pas les différences ni même la nécessité d’une grande autonomie des trois Régions. En ajoutant qu’il faut, de cette façon, préparer le sort de la nation belge dans l’Europe de demain, soit sa disparition (1). Or, il y a une quinzaine d’années, c’était la position d’un José Happart qui, à cause de ces prises de position (et sa grande popularité en Wallonie où il gagna aux élections européennes des résultats jamais obtenus précédemment), fut lynché par la presse nationaliste belge.
(1) Philippe Van Parijs in En route vers l’évaporation de la Belgique? Il est clair que Van Parijs n’est pas séparatiste évidemment, mais parfois je me demande si je le suis moi-même, même si je n’aime pas la Belgique (parce qu’elle a voulu détruire la Flandre et la Wallonie et sans elles, qu'est la Belgique?).

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José Fontaine355 articles

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Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





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1 commentaire

  • José Fontaine Répondre

    26 janvier 2011

    Juste pour dire que ce soir la personnalité chargée par le roi de réunir des partis en vue de la formation d'un gouvernement a présenté sa démission au roi qui l'a acceptée. L'impasse est vraiment totale. On pourrait se réjouir en tant que Wallon autonomiste, mais il faudra quand même, si l'on veut la Wallonie, continuer à se parler ne serait-ce que pour mettre fin au pays démocratiquement. Comme je m'y attendais, cette quatrième manifestation pour l'unité du pays, organisée par les médias comme on lance une nouvelle marque de savon (300 articles dans la presse écrite en 10 jours! des annonces quasi publicitaires lancées en radio et en télé et cela pour rassembler 25 à 30.000 personnes dont peu de Flamands, c'est un flop monumental), étant apolitique et organisée de l'extérieur n'a eu aucun effet. Celles qui l'ont précédé non plus. Sauf de donner aux Wallons le mauvais conseil d'entrer dans l'avenir à reculons.