Ce lundi 15 mars à Montréal aura lieu la manifestation annuelle « contre la brutalité policière ». Cette manifestation est devenue une occasion pour une jeunesse marginalisée, de lancer à la face du monde « normal » un cri de désespoir. Organisée depuis une quinzaine d’années à Montréal, cette manifestation est à l’occasion tranquille, mais elle a pris un tournant plus radical depuis quelques années, avec régulièrement des dégâts matériels assortis de quelques centaines d’arrestations et quelques dizaines d’inculpations. D’ailleurs la cinquantaine de manifestants inculpés l’an dernier sont toujours en instance de procès.
Tout en permettant l’expression de la colère de jeunes marginaux ou marginalisés, ce « Carnaval » anti-policier a une fonction inattendue : celle de maintien de l’ordre social. En effet, le lendemain de ce défoulement « manifestif », c’est le retour à l’ordre, à la « normalité », assorti pour les plus téméraires d’inculpations qui les mettront ou les remettront dans le circuit des processus judiciaires et des contraintes qui en découlent.
Ce qui est nouveau cette année, dans l’appel à la manifestation diffusé il y a quelques semaines par le Collectif Opposé à la Brutalité Policière (COBP), c’est l’introduction d’une nouvelle thématique et le ciblage d’un quartier. Ainsi, la manifestation a comme précédemment l’objectif de dénoncer « la brutalité policière » (Affaire Villanueva, etc.), mais elle y associe aussi la thématique du logement dans le quartier montréalais d’Hochelaga-Maisonneuve. Il s’agit de dénoncer la police qui aurait « pour but de «nettoyer» le Hochelag des pauvres pour attirer une nouvelle catégorie sociale de résidentes et résidents privilégié-es pour son nouveau ghetto embourgeoisé » : la police serait « au service non pas de la population dans le besoin, mais du développement résidentiel privé et des spéculateurs immobiliers. » (Communiqué du COBP, février 2010).
Il y a effectivement un problème social du logement dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve, et le défi de la « revitalisation » est d’éviter que le mouvement d’implantation de nouveaux habitants dans les condominiums, n’affecte la population « défavorisée », qui souffre depuis deux générations de la désindustrialisation qui détruit les emplois de cette zone urbaine. On constate une pression à la hausse sur le prix des loyers, des produits et des services, qui est insuffisamment compensée par le développement de logements sociaux et de prestations sociales.
Or les organismes communautaires du quartier, en particulier ceux qui se consacrent au logement (Comité-Bail et Entraide Logement), n’ont été aucunement informés de l’intervention du COBP dans le quartier et sur cette thématique. On est en droit de se demander pourquoi le COBP intervient dans ce quartier sans égard à la population et à ses organisations sociales !
Par ailleurs, on ne peut écarter le fait que la population du quartier Hochelaga-Maisonneuve ait à subir les habituels débordements de la manifestation « contre la brutalité policière ». Le COBP, comme il le rappelle sur son site internet, a l’habitude de se dégager de toute responsabilité quant aux conséquences de la manifestation qu’il organise : « Nous n’encourageons pas les dits actes de violence qui sont commis lors de la manifestation annuelle du 15 mars, mais nous ne les condamnons pas. ».
Le COBP n’a pas officiellement condamné l’appel d’un groupe qui préconise la lutte « contre le capitalisme » par le feu dans le quartier : « Le moins que l'on peut faire c'est de brûler leurs voitures, SUV, chars de polices, leurs nouveaux développements immobiliers, leurs grosses maisons, leurs hôtels ». Les opérations incendiaires que ce groupe a effectuées précédemment dans le quartier n’ont heureusement pas fait de victimes humaines. Mais qu’en sera-t-il dans une manifestation qui pourrait « déraper » ?
Certains militants du quartier, bien informés …, ont-ils raison de s’inquiéter du fait que des logements sociaux puissent être confondus avec des condos ? Les rumeurs d’association d’incendiaires avec les Cripz en émergence dans le quartier sont-elles farfelues ? Comment interpréter les multiples graffitis qui répandent sur les murs du quartier un imaginaire d’incendie (« Beau comme un condo qui brûle ! », « Brûle ton école ! », « La police en feu, ça me rend heureux ! », etc.) ?
Face à ces interrogations, le COBP doit informer clairement la population du quartier Hochelaga-Maisonneuve de ses intentions, et des mesures qu’il entend prendre pour éviter toute dérive tragique d’une manifestation qui a quand même réussi antérieurement à se dérouler sans problème majeur.
Alors que la population du quartier et ses organismes sociaux se mobilisent depuis des années pour améliorer ses conditions de vie et son image collective, il serait navrant que des interventions irresponsables viennent affecter un patient travail de développement social et culturel.
Yves Claudé - sociologue
Montréal, le 11 mars 2010
ycsocio@yahoo.ca
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Un imaginaire d'incendie ... :
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1 commentaire
Yves Claudé Répondre
20 mars 2010Je suis arrivé tout à fait par hasard sur les lieux de cet événement ce lundi 15 mars, car j’avais un billet pour le match des Redskins contre les Alouettes, mais je m’étais trompé de date et j’ignorais en plus que le stade n’était pas encore terminé… J’ai quand même assisté à un bon match lundi dernier : www.bit.ly/aUTRfY
Yves Claudé – sociologue – humoriste incompris
20-3-2010
ycsocio[@]yahoo.ca