Le mouvement anti-charte de la laïcité

Une brèche dans le modèle québécois de solidarité sociale

Tribune libre

Le mouvement multiforme contre la charte, et plus généralement contre le principe sociétal d'une laïcité réelle, constitue non seulement une offensive contre le Québec en tant que projet moderne, mais aussi contre le modèle québécois de solidarité sociale ! Cette offensive postsmoderne/individualiste pourrait constituer, politiquement, juridiquement et socialement, une brèche significative dans ce modèle, avec une régression majeure quant aux progrès effectués par notre société en matière de droits collectifs et de modernité, notamment depuis la Révolution tranquille, avec le développement de l'État-Providence.
Le peuple québécois a toujours défendu et promu ses droits d'une manière solidaire et collective, et l'émergence d'une tendance fortement individualiste dans le débat sur la laïcité, est à considérer très sérieusement, d'autant plus qu'elle fait alliance avec les mouvances et marges les plus opposées à la modernité, en particulier des communautarismes ethno-religieux tels que les salafistes, les hindouistes fondamentalistes et les israélites ultra-orthodoxes, sans compter des sectes religieuses comme les “Raéliens” ! On a pu ainsi remarquer, dans la manifestation salafiste du 14 septembre 2013 à Montréal, organisée par Adil Charkaoui et sa faction fondamentaliste, la présence d'individus se revendiquant d'une curieuse forme d'“anarchisme” tout comme un petit contingent de la militance homosexuelle postmoderne du “Pink Bloc”... ainsi que des “Raéliens”, parmi la foule des femmes voilées et des hommes arborant la barbe islamique ou le turban hindouiste !
Alors que les citoyens favorables à la modernité et à la laïcité sont occupés à se défendre d'accusations telles que celles de “xénophobie”, de “racisme”, d'“intolérance”, voire de “nazisme”, les mêmes qui ont été proférées contre une nation québécoise protégeant ses droits linguistiques avec la loi 101, les enjeux fondamentaux du “débat sur la charte” semblent passablement occultés.
L'Alliance des individualistes/postmodernes et des communautaristes/traditionalistes, contre la modernité et la solidarité sociale
Cette alliance stratégique se structure à partir de trois principales bases d'appui : 1/ celle des communautarismes ethnoreligieux, celui du salafisme majoritairement, organisé autour des mosquées et des micro-communautés fondamentalistes financées au Québec par l'Arabie saoudite et le Qatar ; 2/ la base multiforme de divers groupuscules à dominante ou hégémonie multiculturaliste et anglophone (mouvance “anarchiste”, “No one is illegal”, frange postmoderne/individualiste du mouvement étudiant, enseignants et “intellectuels” en rupture avec la modernité, etc.); 3/ et d'une manière plus officielle et structurée, Québec solidaire et ses bases ethnocommunautaristes, sur le modèle développé par le NPD au Canada anglais.
On a pu observer, depuis plusieurs années, une alliance stratégique de QS avec des groupes ethnoreligieux fondamentalistes, sexistes et patriarcaux, notamment avec le traditionalisme islamiste, ceci assorti d'un discours contradictoire, qui dénonce à la fois le sexisme islamiste et le cautionne dans les faits, dans des orientations idéologiques anti-laïques. QS s'est fait une spécialité de mettre de l'avant des jeunes femmes musulmanes voilées comme porte-parole de ses orientations : l'une de celles-ci, en vedette dans une activité de QS (“Assemblée publique sur la Charte de la laïcité”; 20 octobre 2013) était tout récemment aussi porte-parole d'un groupe ethno-religieux faisant la promotion des “valeurs musulmanes”. QS aurait pourtant dénoncé tout groupe prétendant associer la laïcité aux “valeurs chrétiennes” ! L'individualisme postmoderne mis de l'avant par QS à travers la promotion de la liberté religieuse comme un absolu prévalant sur les droits collectifs, cela parait être en contradiction avec la qualification “solidaire” revendiquée par ce parti dans son appellation.
Les citoyens attentifs au discours médiatique dominant auront remarqué la surreprésentation de l'idéologie individualiste/multiculturaliste, notamment dans certaines émissions ou médias influents. Ainsi, M. Nadeau-Dubois, en tant que figure mythique du mouvement étudiant, proche de QS, a été amplement mis de l'avant, dans une apparente convergence antilaïque; il a cependant été étonnamment muet sur cette question de la laïcité, devant un rassemblement indépendantiste tenu à Montréal le 13 octobre dernier : la contradiction aurait été flagrante entre les droits collectifs de la nation québécoise et la promotion de l'individualisme postmoderne en matière religieuse !
Cette alliance entre traditionalistes et individualistes peut sembler étonnante, mais elle est significative de la rupture avec la modernité qui est opérée par l'individualisme postmoderne. Cette postmodernité s'est orientée vers le culte de la différence, à l'encontre du droit à la ressemblance, valorisant au moins implicitement le refus de l'intégration sociétale, c'est-à-dire le refus des normes et des valeurs communes de la société. Les postmodernes sont disposés, au nom du droit à la “différence”, de la “tolérance”, etc., à légitimer des valeurs éventuellement archaïques ou déviantes de groupes se situant délibérément en marge : communautarismes patriarcaux voire polygamistes, sectes néotraditionalistes, néohippies pédophiles, etc.
On remarquera aussi le fait que la justification postmoderne de l'acceptation, voire de la valorisation des intégrismes ethnoreligieux, se fait au nom d'une sorte de “compassion” paradoxale à l'égard des victimes de ces systèmes inégalitaires et sexistes (cf QS relativement au voile islamiste), une “compassion” qui est assez semblable à celle du néolibéralisme, comme valeur reformatée de l'ancienne charité qui a prévalu avant l'État-Providence, alors que les problèmes sociaux étaient conceptualisés comme problèmes individuels résolubles par une charité également individualisée.
À cette convergence stratégique objective, il faut ajouter la récente intervention de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ), un organisme paraétatique qui s'est prononcé publiquement pour une absolutisation de la liberté religieuse individuelle contre des droits collectifs relatifs à la neutralité des institutions de l'État; la CDPDJ opérant d'ailleurs une rupture majeure avec la conception moderne de la démocratie en privilégiant et légitimant le pouvoir des juges à l'encontre de celui des citoyens.
On remarquera que la CDPDJ, pourtant mandatée pour défendre les “droits de la jeunesse”, est étrangement silencieuse quant à la protection des enfants dans les garderies et les écoles, relativement à l'intrusion des signes religieux ostentatoires dans ces espaces éducatifs !
Les conséquences potentielles de l'offensive postmoderne/traditionaliste
L'offensive convergente des courants individualistes postmodernes et des communautarismes traditionalistes, contre la modernité, et contre la laïcité entre autres, constitue une brèche potentielle majeure dans la conception moderne de la société, et en particulier dans le modèle québécois de solidarité sociale
Cette offensive amorce un changement radical de paradigme sociétal, une rupture avec la modernité, avec la promotion de privilèges individuels à l'encontre des droits collectifs, les droits sociaux dans leur ensemble, ainsi que spécifiquement les droits collectifs identitaires comme celui de la préservation et de la défense du français comme langue commune du Québec. Cette offensive, individualiste, objectivement antisociale, se présente comme une ouverture idéologique et conceptuelle au développement d'un néolibéralisme mondialisé sous la domination du capital financier.
Cette conception individualiste du social, potentiellement néolibérale, s'oppose aux droits sociaux qui ont été développés par l'État québécois, en matière de revenus, de logement, d'égalité et d'équité, etc. Elle constitue une brèche dans laquelle des offensives antisyndicales déjà radicalisées pourront développer une idéologie individualiste des relations de travail, déstructurant un rapport de force employés/employeurs déjà passablement déséquilibré si l'on considère les récentes tentatives de syndicalisation : c'est l'ensemble des droits collectifs acquis de haute lutte par les travailleuses et les travailleurs qui est menacé.
Alors qu'une frange médiatisée du mouvement étudiant se mobilise dans l'offensive individualiste/postmoderne contre la laïcité, on remarquera que cette implication va à l'encontre des revendications de ce mouvement en matière de droits collectifs : la démocratie étudiante a d'ailleurs fortement mis à mal en 2012 par des interventions individuelles judiciarisées sous forme d'injonctions contre l'action collective étudiante.
L'offensive contre la modernité et la laïcité menace aussi les droits collectifs de la société québécoise, en matière de culture, de langue, d'environnement, etc.
Un choix politique et sociétal éclairé à faire !
C'est en tant que sociologue observant et analysant l'évolution de notre société, notamment l'importance de la solidarité dans le développement du Québec moderne, tout autant que les glissements progressifs des valeurs individualistes d'un prêt-à-penser contemporain anarchisant vers le néolibéralisme et l'idéologie libertarienne, que je vous livre ces réflexions.
Les citoyennes et citoyens du Québec ont bien le droit de mettre de l'avant la modernité et la laïcité; ou au contraire une conception individualiste/postmoderne de la liberté religieuse, impliquant le droit d'arborer des signes religieux ostentatoires dans les institutions de l'État, y compris les agents de socialisation étatiques ou paraétatiques qui forment les citoyens en devenir, comme les garderies et les écoles; mais elles-ils doivent assumer la signification et les conséquences ces options politiques sur l'avenir de la société québécoise !


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8 commentaires

  • Yves Claudé Répondre

    23 octobre 2013

    Monsieur Roy,
    Je ne remarque rien dans votre message qui réponde à la réflexion que je propose.
    -Vous devriez savoir que l'allusion à la santé mentale du locuteur («délire») constitue un type de stratégie discursive parfaitement éculé, qui disqualifie d'emblée son utilisateur.
    -Je fais valoir justement le constat selon lequel l'ultra-libéralisme économique et l'ultra-libéralisme religieux relèvent de la même logique, avec des trajectoires convergentes.
    Ainsi une idéologie soi-disant “libertaire” qui met de l'avant l'ultra-libéralisme religieux a dangereusement tendance à converger stratégiquement avec l'ultra-libéralisme économique, quand elle ne lui prépare pas, politiquement, efficacement, un terrain favorable à son offensive, offensive d'ailleurs soutenue par tous les vecteurs idéologiques et médiatiques dont le capital financier dispose pour imposer à l'Humanité entière sa globalisation néolibérale et anti-sociale !
    Il suffit de considérer attentivement le discours médiatique dominant, s'imposant même dans un média supposément “indépendant” comme Le Devoir, pour constater cette double emprise ultra-libérale, à la fois économique et religieuse.
    Les néoféodalités que constituent l'Arabie saoudite et le Qatar sont aussi des exemples révélateurs, paradoxaux en apparence, d'une Sainte-Alliance entre le Capital et les archaïsmes religieux. Ce n'est pas faire preuve d'“islamophobie” que de rappeler le fait que ces néoféodalités et leurs pétrodollars financent abondamment le salafisme ultra-patriarcal qui se développe et se structure, entre autres au Québec, avec la très peu subtile caution des “misérabilistes” professionnels à la “QS” et leurs “musulmanes” de service !
    Encore une fois, le choix s'impose, entre la modernité, et d'autre part la convergence du traditionalisme sexiste et du postmodernisme individualiste !
    Yves Claudé

  • Archives de Vigile Répondre

    22 octobre 2013

    Non mais c'est du délire ! On croirait lire Éric Duhaime avec la théorie de l'agenda islamiste de Khadir ! Misère...

  • Archives de Vigile Répondre

    20 octobre 2013

    Monsieur Claudé,
    Enfin une analyse de gauche qui met en évidence le libéralisme radical (et le postmodernisme),courant majoritaire chez QS.
    Nonbre d'anciens militants que nous avons connus vous et moi, et avec qui nous fraternisions à l'époque, sont devenus totalement incohérents, au point de considérer la gauche prolaïcité comme étant ethnocentrique, xénophobe et fasciste, et de croire que le libéralisme extrême (postmodernisme, rectitude politique, etc.) est de gauche.
    Ça va vraiment brasser un de ces quatre à QS, c'est écrit dans le ciel...

  • Yves Claudé Répondre

    19 octobre 2013

    Monsieur François Berjac,
    Vous avez droit à vos opinions ... mais j'ai de la difficulté à comprendre comment on peut être à la fois souverainiste et légitimer le point de vue de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJ)... qui rejette même le Rapport Bouchard-Taylor !
    Par ailleurs, les militants souverainistes et progressites conséquents n'ont pas de temps à perdre avec les accusations ou allégations de “racisme”, “nazisme”, “sympathies FN”, “stalinisme”, etc. J'ai pris l'habitude de neutraliser ces vaines invectives en remerciant les proférateurs pour leur bienveillante attention, tout en prenant ironiquement ces proférations comme des “compliments”. Point à la ligne.
    Cordialement
    Yves Claudé

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2013


    Et par dessus tout on aurait pu faire un consensus national sur des volets de la charte qui ne posent aucun problème: égalité des sexes, accommodements raisonnables balisés et visage découvert dans le service public.
    Le gouvernement se sert des signes religieux à des fins politiques à court terme. Il attirera le 450 et les régions mais le projet souverainiste en souffrira à long terme et cela nous discréditera sur la scène internationale

  • Archives de Vigile Répondre

    19 octobre 2013

    Donc si je comprends bien, si on s'oppose à la charte on s'oppose au Québec et au modèle québécois. Pourtant des centaines et probablement des milliers de souverainistes, dont je suis, n'accepteront jamais que l'on fasse l'économie des droits individuels au nom de quelconque projet collectif. Combien de crimes et de coups tordus ont eu lieu au nom de l'intérêt dit collectif décrété par des apparatchiks partout dans le monde et en Europe de l'est en particulier. Ce petit totalitarisme qui prétend représenter à lui seul des valeurs collectives (et de quel droit on peut parler en mon nom) et qui se dégage du projet de charte , même s'il est d'opérette au fond tellement il semble folklorique , discréditera le Québec est mettra à mort à terme le projet souverainiste.
    J'ai toujours cru sincèrement que le modèle québécois était plus proche des socialistes français, des Démocrates progressistes américains que du Front National en France qui utilisent depuis longtemps les mêmes argumentaires dont se servent aujourd'hui nos zélés apprentis sorciers en faveur de la charte...
    Ce qui me gêne aussi c'est qu'à Québec on accorde plus d'importance à l'avis d une ancienne animatrice de radio AM spécialisée dans les courriers du coeur qu'à celui de la Commission des droits de la personne. Je vous le dit on va faire rire de nous partout dans le monde et on aura couru après!

  • Marcel Haché Répondre

    19 octobre 2013

    Votre analyse est remarquable.Espérons que les stratèges péquistes s'en emparent bientôt.
    D'un point de vue strictement partisan,Québec Solidaire reste aussi inattaquable qu'inaltérable.Cependant, une partie non négligeable de son électorat reste parfaitement accessible. Ce n'est pas la première fois que je l'écris : il y a moyen d'incendier Québec Solidaire. Vous en fournissez toutes les clés.

  • Jean-Claude Pomerleau Répondre

    19 octobre 2013

    Québec Solidaire c'est une fraude politique qui mine les intérêts du peuple québécois . Il serait temps que le vote idiot utile sortent de là :
    Mon appel lors de l'élection du 4 septembre :
    L’enfumage de Québec solidaire
    http://www.vigile.net/L-enfumage-de-Quebec-solidaire
    Vote stratégique ou idiot utile ?
    http://www.vigile.net/Vote-strategique-ou-idiot-utile
    JCPomerleau