Le 15 mai 2012, le président François Hollande n’avait pas attendu 48 heures pour se rendre à Berlin saluer la chancelière Angela Merkel. « Cette réunion n’avait pas vocation à régler toutes les questions, mais pour premier objet de mieux nous connaître, d’engager une méthode de travail pour trouver ensemble des solutions », avait déclaré le président à peine élu. Il suffirait de changer le nom de François Hollande par celui d’Emmanuel Macron pour revivre la visite qu’a faite ce dernier à Berlin le 12 mai dernier. Sans oublier celle de Nicolas Sarkozy le 16 mai 2007.
C’est devenu une tradition, il ne doit pas s’écouler plus de 48 heures avant que le nouveau président français se rende à Berlin. Cette visite symbolique montre bien que la France n’est plus depuis longtemps la première puissance européenne et que son président ne saurait réussir sans le soutien de son puissant voisin. En 2012, il avait suffi de quelques semaines pour comprendre que l’Allemagne n’entendait aucunement se rendre aux demandes de François Hollande qui avait promis à l’Europe du Sud qu’il négocierait un assouplissement des politiques de rigueur européennes. En ira-t-il de même pour son successeur ?
Les récentes frictions entre le président américain et la chancelière pourraient laisser penser que contrairement à 2012, Angela Merkel ne pourra pas se passer de resserrer les liens avec son allié français. Donc, de faire des concessions. D’aucuns veulent voir dans le Brexit et la rudesse de Donald Trump à l’égard de l’Allemagne l’occasion d’une véritable relance européenne. Cet enthousiasme n’a pas épargné la presse française, où l’on parle abondamment d’une « refondation » de l’Europe.
« Les Français dépensent trop »
Jamais, depuis François Mitterrand, la France n’avait eu un gouvernement aussi proeuropéen. Mais les demandes d’Emmanuel Macron ne sont pas si nouvelles. Cela fait des années que la France propose la création d’un véritable budget européen, d’un ministre européen des Finances et d’une plus grande mutualisation de la dette. Le 16 mai dernier, après leur première rencontre, Angela Merkel avait eu ces mots : « Je lui fais pleine confiance. Il sait ce qu’il doit faire. » Puis, elle avait ajouté que « le soutien allemand ne pouvait remplacer les réformes françaises ».
Une façon on ne peut plus claire de redire à la France qu’on ne l’écoutera même pas si elle ne rentre pas dans les clous de Maastricht, ceux d’un déficit de moins de 3 %. Sans cela, rien ne se fera. Un ministre des Finances de la zone euro, pourquoi pas, a d’ailleurs répondu le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, mais à condition qu’« il puisse pouvoir imposer le respect par tous des règles budgétaires ». À commencer par le 3 % !
Édouard Husson, historien
Or, si Emmanuel Macron a parlé de la dette, il n’en a pas fait un élément majeur de son programme, comme l’avait fait par exemple le candidat malheureux de la droite François Fillon. La campagne des législatives s’achèvera d’ailleurs dans une semaine sans que personne ait mentionné l’importance de réduire les déficits. La droite, qui n’en est pas à une contradiction près, a même fait campagne contre l’augmentation de la CSG, un impôt qui devrait rapporter autour de 20 milliards d’euros au nouveau gouvernement.
« Les Français dépensent trop », a pourtant répété le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, sitôt passées les félicitations d’usage. Si Emmanuel Macron doit engager dès cet été sa réforme du Code du travail, aussi réclamée par Bruxelles, on voit mal comment il pourrait réduire radicalement les dépenses alors que les Français attendent au contraire des hausses de budgets dans de nombreux secteurs, comme la police, l’armée et la justice, comme l’a promis le candidat en campagne. Sans compter que, malgré l’élection d’un président et la nomination d’un gouvernement ultra-européen, « l’électorat [français] dans son ensemble n’est en réalité guère favorable à plus d’intégration européenne », écrit le politologue Christophe Bouillaud de l’Institut d’études politiques de Grenoble. On peut d’ailleurs craindre que la nette majorité eurosceptique qui s’est manifestée depuis cinq ans et lors des élections présidentielles ne soit pratiquement pas représentée au Parlement après les élections législatives des 11 et 18 juin prochains.
Pas de virage à Berlin
À Berlin, une fois passée l’euphorie suscitée par l’élection d’Emmanuel Macron, qu’avait d’ailleurs ouvertement soutenu le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, on ne sent guère de virage politique. En pleine campagne électorale, les responsables allemands ne manquent jamais une occasion de critiquer les taux d’intérêt trop faibles de la Banque centrale européenne. Des taux qui déplaisent suprêmement aux épargnants allemands qui votent pour Angela Merkel. Mais sans lesquels, pourtant, le financement de la dette française deviendrait vite insoutenable.
La chancelière fait d’ailleurs campagne en dénonçant ouvertement la propension de son adversaire du SPD, l’ancien président du Parlement européen Martin Schulz, à distribuer l’argent allemand à travers l’Europe. L’économiste Hans-Werner Sinn, qui conseille directement le ministère des Finances, n’est pas loin d’exprimer une opinion majoritaire lorsqu’il affirme qu’en réclamant plus de mutualisation des dettes, Emmanuel Macron a un objectif clair : « Soutenir l’économie française au détriment des autres. » Donc, de l’Allemagne.
La renégociation prochaine de la dette grecque devrait montrer si l’Allemagne est prête à certaines concessions dans ce domaine. En pleine campagne électorale, il serait étonnant qu’Angela Merkel se montre plus ouverte à la mutualisation des dettes européennes qu’elle ne le fut avec François Hollande. Selon le Spiegel, l’Allemagne aurait même l’intention de rompre avec le « laxisme » monétaire de Mario Draghi, en proposant la nomination de Jens Weidmann, président de la Bundesbank, à la tête de la BCE (face au Français François Villeroy de Galhau). Bref, un partisan de l’orthodoxie budgétaire et monétaire allemande.
Les intérêts français
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