Un de mes anciens collègues de travail m’a dit un jour, Louis, si j’ai un seul conseil à te donner, n’investit jamais dans un domaine que tu ne connais pas. Il avait lui-même perdu sa chemise dans l’immobilier à la fin des années 1970, alors qu’il était un prospère assureur de risques miniers. En raison de sa faillite personnelle, il avait été contraint de vendre sa participation dans son bureau à ses associés pour payer ses créanciers.
L’aventure de l’Îlot Voyageur est de la même nature. Bien que l’UQAM ne connaissait rien dans les PPP, elle a pourtant décidé d’investir dans un projet dont elle avait confié la maîtrise d’œuvre à des professionnels de l’immobilier, croyant qu’on pouvait faire confiance au privé pour s’enrichir. Elle s’y est plutôt considérablement appauvrie, mettant en péril ses activités principales que sont l’enseignement et la recherche.
S’étant jetée dans cette aventure à l’aveuglette, il lui fallait des professionnels aguerris pour la tirer de ce bourbier où elle s’était enlisée, n'ayant pas l'expertise nécessaire pour ce faire. L'UQAM porta donc son choix sur l’avocat Lucien Bouchard, un ancien premier ministre, en raison de ses qualités de négociateurs, même si ce dernier s’était surtout illustré, au fil des années, dans le domaine des relations de travail, pas dans celui de l'immobilier.
Connaissant bien le milieu universitaire pour y avoir travaillé comme cadre, conseiller juridique et spécialiste en relations du travail, si je me suis déjà permis de critiquer les hérésies de l’UQAM, jamais je n’aurais pensé avoir les compétences requises pour l’aider à se défaire du contrat qui la liait à Busac. Négocié avec des professeurs, oui, avec Busac, non. Mes connaissances du domaine du droit immobilier auraient été probablement trop limitées pour que je sois d’une quelconque aide pour l'UQAM. En analysant le dossier sous l’angle professionnel, je répondais alors à la fameuse question du quoi.
Dans cette perspective, pourquoi l’UQAM a-t-elle engagé Lucien Bouchard, un spécialiste des relations de travail, pour régler un problème immobilier?
Le même genre de questions que se sont posées de nombreux Québécois lorsqu’une des plus importantes firmes d’avocats au Canada, Osler, Hoskin et Harcourt, a engagé Monique Jérôme-Forget, une non-avocate, comme conseillère spéciale, mais tout de même une ancienne ministre des Finances du gouvernement libéral de Jean Charest.
Dans cette ligue où les sommes en jeu sont très importantes, on se pose d’abord la question du qui. Qui connaît qui ? Qui peut décrocher ce contrat ? La question du quoi ne venant que plus tard, lorsqu’on forme l’équipe d’avocats qui va résoudre le dossier autour du rainmaker, de celui qui décroche les contrats et fait entrer l'argent dans le cabinet.
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Les anciens ministres et premiers ministres qui ont eu l’opportunité d’établir, au cours de leur carrière, d’importants réseaux de contacts à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement, constituent un avantage certain pour un cabinet agressif qui souhaite augmenter sa clientèle d'affaires et décrocher de lucratifs contrats auprès de nouveaux clients.
Si Davies, Wards, Phillips et Vineberg a pu profiter assez rapidement des services de Lucien Bouchard, parce qu’il était avocat, Osler, Hoskin et Harcourt, une autre firme d'avocats, a décidé d’engager Monique Jérôme-Forget, une non-avocate, immédiatement après sa démission du conseil des ministres, au lieu d’attendre deux ans avant qu’elle puisse faire des activités de lobbyisme auprès de son ancien gouvernement. Un investissement à moyen terme qui finira bien par rapporter un jour, lorsqu’elle pourra légalement utiliser ses contacts pour décrocher de lucratifs contrats, même si contrairement à Lucien Bouchard, elle ne sera jamais rainmaker.
À l’image de Monique Jérôme-Forget qui n’est pas avocate, si Lucien Bouchard était d’abord reconnu comme étant un redoutable négociateur lorsque DWPV l’a recruté, sa valeur résidait surtout dans le fait qu’il avait été premier ministre du Québec et ministre conservateur à Ottawa, c’est-à-dire dans son réseau de contacts. La question du lobbyisme ne se posait pas alors, puisqu'aucune loi n'encadrait ces activités à l'époque.
Il faut dire, aussi, que cette firme avait déjà une longueur d’avance sur toutes les autres lorsqu’elle a mis l'ancien premier ministre sous contrat, puisque, si je me souviens bien, des représentants de DWPV avaient accompagné deux missions internationales dirigées par Lucien Bouchard, celle en Chine et celle à New York.
Je ne sais pas si la participation de DWPV à ces missions a été déterminante dans le recrutement de Lucien Bouchard, toutefois, je dois dire que, contrairement aux autres firmes de Montréal, le conseil d’administration de ce cabinet a fait preuve de beaucoup de clairvoyance en ignorant les préjugés qui circulaient au sujet des indépendantistes et en embauchant Lucien Bouchard.
Plusieurs mois avant sa démission, les paris étaient déjà ouverts sur la possibilité qu’aucun grand cabinet n’embauche Lucien Bouchard à la fin de sa carrière politique parce qu’il était souverainiste. Je me souviens même avoir eu une conversation avec un associé d’un grand cabinet qui était catégorique au sujet de l'unanimité qui régnait dans les firmes de Montréal et du peu de chances de Lucien Bouchard.
Pourtant, Heenan Blaikie, une firme alors identifiée au PCC, avait déjà recruté Pierre Trudeau et Pierre-Marc Johnson, alors qu’Ogilvy Renault, un cabinet identifié au PLC, avait retenu les services de Bryan Mulroney. Pourquoi Lucien Bouchard aurait-il dû rester sur le carreau ? Pourquoi ne pas lui faire une offre suffisamment intéressante pour qu’il accepte de ne plus parler de souveraineté ou qu’il finisse par en parler au passé?
Que DWPV, une firme plutôt conservatrice et fédéraliste, embauche Lucien Bouchard comme associé n’était pas si étrange que ça. Un bon contrat délimitant son devoir de réserve et le versement de généreux honoraires – on dit que son tarif horaire est de 600$ de l’heure - allaient convaincre l’homme d’éviter l’arène publique pendant plusieurs années, de même que les questions controversées au sujet de la souveraineté du Québec.
Donc, quand on lit dans Rue Frontenac que Lucien Bouchard a facturé 2.7 millions$ en honoraires à l’UQAM, on n'est guère étonné et on comprend aussitôt pourquoi les grands cabinets de Montréal sont aussi intéressés à recruter d’anciens premiers ministres et ministres, même s’ils ne sont pas des avocats et parfois des souverainistes. L’objectif étant l’argent, faire le plus d’argent possible. Or, justement, grâce à leurs réseaux de contacts, ces "ex" peuvent leur permettre d’en faire beaucoup plus et peut-être plus encore lorsqu’ils ont du talent, comme c'est le cas de Lucien Bouchard!
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Sur le même sujet dans Rue Frontenac, 2,7 M$ pour Lucien Bouchard et sa firme – Étudiants et enseignants de l'UQAM choqués.
Pour en savoir plus sur les clients de Lucien Bouchard et DWPV, lire dans le Devoir , La STM pourrait devoir verser 2,5 millions à la firme de Bouchard.
Une facture de 2.7 millions$ à l'UQAM
Lucien Bouchard, le rainmaker
Chronique de Louis Lapointe
Louis Lapointe534 articles
L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fon...
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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.
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1 commentaire
Archives de Vigile Répondre
23 mars 2010Merci pour votre éclairage toujours pertinent qui nous révèle les vilains petits secrets de la politique.
Dans votre billet au sujet de Bouchard, le plus étonnant concerne sans l'ombre d'un doute la relation incestueuse qui existe entre la politique et la justice alors que tout le monde reconnaît qu'il doit exister une cloison étanche entre ces domaines afin d'assurer leur indépendance d'action. S'il doit y avoir une enquête pour rétablir l'ordre dans les choses de la cité, elle doit commencer à la racine. Sans la complaisance de la justice, la corruption de la classe politique ne serait perdurer bien longtemps. Si les responsables de ce trafic d'influence peuvent ainsi agir au grand jour sans craindre les foudres de la justice, c'est qu'il s’avère que la cour du Québec réunit tout un aréopage diversifié de juges complaisants, davantage reconnus pour leur servilité, leur obédience et leur carence éthique que pour la rigueur de leur jugement. Les militants de Fathers-4-Justice réclamaient une telle commission d'enquête du haut du pont Jacques-Cartier au printemps et à l'automne 2005. Les événements qui émaillent les manchettes depuis plus d'un an confirment la pertinence de cette demande.