Madame la Première Ministre,
Ne décevez pas notre jeunesse. Elle a été au cours de ce printemps 2012 d’une étonnante perspicacité. Vous avez vous même pris courageusement la rue avec elle. Tout à l’opposé de ce que Charest, comme vous l’avez habilement dit, qui n’osait pas se présenter en public sans sa cohorte de gardes du corps.
Cette jeunesse mobilisée, avec un grand souci d’unir le plus grand nombre, y compris la population en générale, nous a servi une belle leçon de politique. Celle de ne jamais sous-estimer les Québécois quand il s’agit de faire savoir au pouvoir quelle avenue ils privilégient sur la meilleure manière de progresser vers leur émancipation. Dans ce sens, des étudiants bien éduqués flaireront, bien mieux que nous peut-être, l’arnaque canadienne.
Nous ne sommes pas plus indignes que n’importe quelle autre nation du monde parce qu’on nous a imposé un joug auquel nous avons toujours résisté avec valeur. À vrai dire, quelle nation n’a pas été historiquement placée devant des choix déchirants pour assurer sa pérennité historique comme entité politique ? Ici, il est question de la capacité de notre société de maintenir ou de développer un des instruments du processus qui nous conduira à l’indépendance, l’éducation gratuite pour tous.
L’éducation gratuite de la maternelle à l’université fait désormais partie de ces horizons indépassables qui sont mis à l’ordre du jour des agendas politiques. Un peu comme les garderies l’ont été à une autre époque que vous connaissez bien.
Il est plus que jamais nécessaire et possible d’inclure dans le projet souverainiste, ou sur ce que nous comprenons de la « gouvernance souverainiste », cet appel à instruire massivement, tout en faisant disparaître les frais de scolarité, pour ne pas alourdir inutilement le fardeau financier et le parcours scolaire d’une telle jeunesse.
Celle-ci aspire à donner le maximum d’elle-même à l’évolution du Québec et du monde contemporain. Il ne faut donc pas, au début de leur vie professionnelle, les mettre à la merci des banquiers. Les ressources de la nation devraient plutôt être mises à la disposition des étudiants et des futurs travailleurs.
Comme leader du Québec, vous ne pouvez pas, sans vous imaginer vous-même au début de votre propre engagement politique, ne pas constater que le printemps érable appelait aussi, par un cri du cœur massif et populaire, à laisser s’ouvrir devant notre jeunesse les différentes voies de la révolution dans tous les aspects qui taraudent de l’intérieur la grande majorité des sociétés du monde.
J’en évoque quelques-unes pour vous :
Une des plus fascinante est sans doute celle qui est la plus connue par la publicité commerciale qu’on lui fait : la révolution technologique qui plonge ses racines jusqu'aux « Lumières », ces précurseurs de toutes les sciences modernes qui ont accompagné l’évolution de l’humanité depuis la grande révolution française.
Nos ingénieurs et nos scientifiques, ces acteurs vigilants de la recherche jamais assouvie de la connaissance de notre univers ou de notre planète, sont en grande partie passés par le système d’éducation du Québec d’aujourd’hui. Nul doute que de donner de l’oxygène à ce système nous entraînerait vers ces horizons nouveaux de la recherche appliquée ou fondamentale. Le moteur roue d’Hydro-Québec illustre particulièrement bien comment notre potentiel est celui espéré ou attendu de la communauté scientifique internationale.
Pensons aussi à la révolution des genres ou sexuelle qui inquiète toujours nos frileux conservateurs. Les plus vieux d’entre nous, éduqués souvent à l’école de la vie, pourront évoquer auprès des jeunes comment les pulsions naturelles et parfaitement légitimes d’une vie sexuelle active a été l’un des motif puissant de mai 68, une autre révolution inspirée par les jeunes.
Est-ce qu’une saine éducation à la vie sexuelle ne passe pas par une offre pédagogique sans tabou au sein du système scolaire ? Contraception, planification des naissances, hygiène, respect des orientations de chacun… Tous ces aspects d’une vie enrichie sont conditionnés par l’attitude que le système d’éducation prendra au nom d’une société décomplexée pour transmettre des valeurs et des habitudes d’une vie saine.
Comment autrement faire reculer la pornographie aliénante au profit d’une culture de l’érotisme dans des relations harmonieuses entre les sexes ? Quel meilleur moyen que l’école pour une mise en garde contre le commerce des personnes aboutissant à la prostitution juvénile ?
Qui ne peut pas observer cette révolution culturelle dont il est difficile d’établir les motifs sinon ceux de l’audace et de la volonté de jeter une lumière neuve et surprenante sur la réalité par des artistes dans tous les domaines ? Vous savez très bien que les artistes québécois ouverts au monde n’auraient pas atteint de tels sommets sans le support de nos CEGEP et de nos universités.
Qu’est-ce qui empêche de donner plus de moyens encore à ce système scolaire pour lui proposer la mission d’une éducation artistique de masse afin qu’émergent encore plus les talents qui s’afficheront déjà dès le plus jeune âge ? Déjà, Emploi-Québec offre un cours de gestion de carrière pour les jeunes musiciens. Pourquoi ne pas étendre l’expérience à toute la population ? Que la musique ou le théâtre prennent racines chez ce peuple que vous appelez à être souverain.
Rappelons aussi cet autre domaine où la révolution semble le moteur idéal pour enclencher la reprise en main de leur destin par des gens dont le parcours de vie les ont exposés aux conséquences les plus dégradantes du capitalisme ou de la réaction : il s’agit de la révolution sociale que portent en eux les groupes populaires.
Le Québec a une histoire très riche, au grand dam de la droite qui y voit une perte de temps et d’argent puisqu’il n’y a pas de profit à la clé, dans la façon dont l’État a pris le relai pour donner à des initiatives populaires un caractère de services publics sous le contrôle de la population. Il faut citer ici les CLSC, les garderies, les différents refuges pour les « poqués du capitalisme » ou les victimes de la violence patriarcale.
Un groupe populaire, de cette mouture des plus anciens qui eux ont attiré l’attention des réformistes à la tête de l’État, est particulièrement innovateur, mais est laissé orphelin de moyens plus généreux de la part de Québec. C’est une initiative de jeunes travailleuses sociales (n’avez-vous pas, Madame Marois, étudié en service social ?) de la Ville Québec qui ont créé et raffiné une expérience de regroupement de femmes sans emploi en leur offrant de restaurer leur dignité et d’améliorer leur condition de vie autour d’un projet participatif qui s’appelle Rose du Nord ( www.rosedunord.org ) et qui pose en même temps le lourd problème du retard de l’État-entreprise des Labeaume et Charest à se préoccuper de ces femmes. Elles n’ont pas manqué de visiter les Libéraux et vous aurez peut-être aussi leur visite. Comme femme, engagée en politique pour servir, aurez-vous la délicate attention de femme d’État que nous avons été habitués de voir dans les années des débuts du PQ et que vous avez connues vous aussi ?
Finalement, peut-on vous parler de révolution politique ? Pacifiquement, en gros (admettez qu’à 10,000 participants, une foule peut faire beaucoup plus de ravage que de casser quelques vitres : ils ont été fort disciplinés, somme toute, bien plus que d’autres en tout cas), une bonne proportion de cette jeunesse n’avait pas comme principal objectif de seulement voir leur condition s’améliorer. Éduqués à la citoyenneté dans les écoles du Québec, ils se sont peut-être tout simplement dit que tous ces beaux principes de « gouvernance » devaient être mis à l’épreuve de la pratique. Et ils se sont impliqués, comme nous à leur âge, révélant au Québec entier, toute cette énergie contenue que la jeunesse étudiante avait accumulée sur les bancs d’école. Contenue, oui, cette soif d’innovation que toutes les jeunesses de la planète partagent entre elles et qui laisseraient un monde bien démuni si elles ne prenaient pas la rue à la manière dont l’histoire les a inspirées pour devenir les acteurs de leur propre destin.
En fait, la jeunesse québécoise appelait à secouer l’ordre établi capitaliste dont les Libéraux et la CAQ font la promotion. En effet Charest a eu le sentiment, et il l’a avoué, que ce à quoi la jeunesse l’avait exposé était justement une massive contestation des valeurs libérales dont il s’était fait le promoteur au cours de ses neufs années de règne. Ce qui fait encore trembler les Libéraux et la CAQ, malgré les arrogances affichées, c’est bien cette mise au ban de la société québécoise d’une gestion libérale, ou néolibérale, c’est selon, dont les conséquences ont conduit à une mesquine et perverse collusion officielle avec l’entreprenariat. Rappelons que le Conseil des Ministres de Charest était à moitié composé d’hommes d’affaires.
Il a fallu ce réveil citoyen de la jeunesse étudiante pour qu’une majorité se rende compte de la pertinence de leur donner à l’école, ou à n’importe quel citoyen qui le souhaite, le réflexe politique de la révolte quand le pouvoir ne s’exerce plus en fonction du bien commun, mais de celui du monde des affaires.
Cette dernière révolution, plus près de nos aspirations comme communistes, devrait aussi vous inspirer, non seulement pour la crainte de vous voir le pouvoir retiré, mais surtout parce que notre émancipation sociale et politique en dépend.
En effet, si vous n’adhérez pas à cette ribambelle de révolutions non-violentes qui heurtent la réaction, vous serez peut-être touchée par leurs conséquences pratiques pour la population québécoise. Tous ces changements révolutionnaires se sont plus ou moins inspirés des grands mouvements d’émancipation qui ont émaillé ce XX ième siècle. Pourquoi le XXI ième siècle de la jeunesse ne porterait-il pas autant d’espoir, sinon plus, et de volonté de changements radicaux que ce siècle passé où le monde a connu une bien sinueuse histoire ?
Ne laissez surtout pas les Libéraux ou la CAQ confisquer l’avenir de nos jeunes au profit du Québec rabougri que nous annoncent ces voix réactionnaires.
L’audace a toujours bien servi les Québécois et ces jeunes qui en sont souvent les protagonistes. Ils sont notre réservoir d’énergie subversive qui fera du pays tant souhaité un moyen de nous préserver des périls qui nous attendent si nous livrons notre projet aux plus réactionnaires d’entre nous. Tous ces barrages, qui nous procurent une énergie relativement soutenable, pourraient bien servir de symboles de la manière dont la nation québécoise, particulièrement sa classe ouvrière, s’est protégée des reculs de société qu’ont représentés et qui représentent encore la menace de notre engourdissement. Il aurait comme conséquences de sous-estimer que le Québec a aussi un rôle éminemment progressiste auprès des différentes nations du monde qui cherchent aussi à se dépêtrer de leur dépendance de l’impérialisme.
Ne rognez pas les ailes de notre jeunesse au profit d’une sujétion qui a trop durée déjà. Mettez à leur disposition dès maintenant une école accessible et gratuite qui leur ouvrira cette perspective d’une nation souveraine et d’un avenir sans le carcan que leur imposerait la réaction politique fédéraliste.
La gratuité scolaire, un instrument de notre émancipation
Lettre ouverte à Madame Marois sur l'éducation
Ne mettez pas notre jeunesse à la merci des banques
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
28 janvier 2013Le sujet tabou du débat social sur l’«accessibilité aux études» est bien celui d’une fonction cachée de l’école, mais absolument opérante comme le démontrent les études de sociologiques : la reproduction systémique des inégalités et des classes sociales par le système scolaire.
C’est le fait de détenir, d’une manière quasi-monopolistique, le capital culturel et le capital scolaire, qui permet à la petite-bourgeoisie de maintenir générationnellement sa position de classe, entre la bourgeoisie et la classe ouvrière.
De fait, un véritable projet de démocratisation de l’école devrait être orienté prioritairement vers le soutien aux familles jeunes et démunies et à leurs enfants, devrait cibler le préscolaire, ainsi que l’école primaire et secondaire.
Les petits-bourgeois radicaux qui revendiquent la gratuité scolaire pour le système scolaire postsecondaire «prêchent pour leur paroisse» … aux dépens des enfants qui sont massivement et très jeunes mis hors course dans le jeu sélectif des capitaux mis en œuvre stratégiquement et efficacement par la bourgeoisie et la petite-bourgeoise : le jeu des capitaux économiques, culturels, scolaires, sociaux, etc, de leur familles et réseaux familiaux.
Yves Claudé - sociologue
Archives de Vigile Répondre
23 janvier 2013En parallèle à ce texte motivateur, j’aimerais qu’on me parle des moyens financiers actuels, non d’un avenir rêvé, dont dispose le gouvernement pour mettre en place la gratuité scolaire. Comme je l’ai déjà écrit, ici, de l’argent il y en a, il faut avoir la volonté politique d’aller le chercher. Pourquoi ne pas taxer les plus riches et les grandes entreprises, lutter contre l’évasion fiscale, diminuer les programmes et les subventions de l’État, etc. Mesures difficiles à réaliser et qui ne sont pas encore mises en œuvres ou si peu.