Lettre à Stéphane Dion

À propos du pamphlet et du mythe fondateur

Tribune libre

À M. Stéphane Dion (qui ignore ce qu'est un pamphlet),
À la mort de P.E.T., Pierre Falardeau a écrit un texte Mange d’ la marde! qui s'ouvre sur ces mots : « Elle est enfin morte, la vieille pourriture ».
Je vous admettrai d’emblée que je n’ai pas lu le livre des 28. Cependant, à la manière dont vous le présentez – écrit par « ces indépendantistes, pour la plupart professionnels et artistes en début de carrière » – et vu les citations que vous avez choisies, je vois mal comment vous pouvez en venir à la conclusion qu’il s’agit d’un pamphlet. Et d’une rare intolérance qui plus est.
Que vous considériez le fait de dire que le Canada est un « régime autoritaire, antidémocratique et antisocial » soit une attaque en règle, vous, le père de la loi sur la clarté référendaire (comme si nous n’avions pas déjà considéré le 50-0,5% comme clair…), ne m’étonne pas tant.
Par contre, que vous vous attendiez à de l’argumentation et non pas à autre chose que de la métaphore de la part d’artistes indépendantistes, vous avez peut-être encore moins bien compris à l’art en général que le pamphlet en particulier.
Miron parlait de femmes et d’amour et pourtant il est un des bâtisseurs du mythe de la Nation québécoise. Et je tiens à vous rappeler également que c’est l’alouette qui part en guerre et que Jos Montferrand a le cul sur le cap Diamant et les pieds dans l’eau du Saint-Laurent. Si ce ne sont pas là des images métaphoriques, je ne sais pas ce qu’elles sont.
Un mythe, c’est une image fondatrice. Une nation se fonde sur des mythes. S’ils parlent de couple infonctionnel, d’adolescence qui s’éternise, de locataire indécis, de cage et surtout de troupeau docile et asservi, c’est qu’ils se créent un mythe de martyr dans l’éternel étirement de l’image de petit peuple. Profitez-en et arrêter de vouloir les brimer, c’est le mieux que vous puissiez faire.
Par exemple de l’importance de la simple image, ce n’est pas parce que nous aimons particulièrement les peintures de Pellan que nous avons été outrés l’année dernière par le retrait de celles-ci, mais bien parce que l’on nous efface, peu à peu, du Canada et cela au profit de la Reine.
Par contre, à ce qu’il y a trait au statu quo et à l’état de colonisé, ce ne pourrait pas en être moins le cas et il ne s’agit pas d’une image métaphorique : d’abord les Français chez les Premières Nations, puis les Anglais sur les Canadiens, puis les Canadians sur les Canadiens français…
Non, ce n’est plus de la déportation. Non, nos terres ne sont plus volées-brûlées et nos femmes ne sont plus violés. Les temps ont changé et nous ne sommes ni en Cisjordanie, ni au Tibet, ni au Darfour, et pourtant nous sommes toujours colonisés.
Jusqu’à ce que les Québécois sur des Canadiens français,
ou les Acadiens sur des Canadiens français,
ou les Franco-ontarien,
ou les Franco-manitobains…
Si vous avez tant peur et que vous stigmatisez tout nationalisme qui n’est pas canadien en Canada, c’est que le prochain empire à tomber sera celui que vous servez. Le Québec n’a toujours pas signé la constitution et ce n’est pas pour rien, mais cela, vous vous en souvenez aussi bien que moi.
Ce texte n’est pas un texte de mépris, mais un texte de souvenance et d’écriture d’histoire. Les vainqueurs écrivent l’histoire, M. Dion, mais les peuples imposent leurs rêves. Vous vous opposez farouchement à quelconque expression d’être national, parce que cela dessinerait par-dessus ce statut de sous-nation qu’est celui de Canadien français et qui vous tient tant à cœur…
Et vous vous attendiez à de l’argumentation? Le nationalisme ne s’explique pas, c’est un amour du collectif, du plus grand que soi, qui se forge à force d’images. L’image que vous défendez, celle d’être à la fois Québécois et Canadiens ne sera vraie que lorsque Québec pourra écrire lui-même toutes ses Lois, gérer lui-même tous ses impôts et signer tous ses Traités et que les Québécois pourront avoir leur passeport québécois. Alors là, alors là seulement, nous serons à la fois Québécois et Canadiens. Jusqu’à ce que cela n’arrive, nous ne serons toujours que Canadiens à l’étranger et en lutte nationale chez nous.
D’ailleurs, à vous lire, vous qui utilisez un sondage internet non probabiliste comme final argument quantitatif, je me demande encore pourquoi le seul mythe Canadian qui puisse encore faire peur aux Québécois soit celui des chiffres. Peut-être qu’on ne leur a pas expliqué ce que voulait dire non probabiliste, simplement. Ou peut-être ne voulait-on pas qu’on leur montre la probabilité : un joueur qui ne sait pas compter, c’est plus payant.
Autrement, si vous voulez vous avancer dans l’art du pamphlet, je vous conseille La liberté n’est pas une marque de Yogourt de Falardeau, ou bien encore Avard Chronique de Avard. Vous y trouverez quelques exemples intéressants. Malgré tout, en réalité, je crois que c’est un genre que vous connaissez déjà. Je me souviens d’ailleurs vous avoir vu participer à la chasse, sauf que c’est un genre qui est en voie d’extinction dans les milieux francophones, on ne vous l’avait pas dit? Rangez votre fusil, vous vous trompez de cible, les pamphlétaires intolérants d’aujourd’hui écrivent dans The Gazette.
Mathieu Gingras
Candidat à la maitrise en littérature à l’Université Laval; Vice-président d’Option Nationale - Université Laval; Vice-président d’Option Nationale - Taschereau

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