Madame Vallée, voici le compte-rendu fidèle de ma conversation surréaliste avec une employée du Carnaval de Québec/Carnival of Quebec rejeton 2019 :
« -Bonjour Madame, j’aimerais faire découvrir la culture québécoise et francophone à des touristes, et je me perds un peu dans la programmation… Qu’avez-vous à leur offrir cette année ? »
- Euuhh, attendez (longues minutes de recherche, d’attente et d’hésitation)… Peut-être… Pascale Labbé ? (Je valide sur Internet en même temps) - Non, tout ce qu’on peut trouver d’elle est en anglais. Mais donnons d’autres chances aux artistes portant des noms français.
- Euuhh (malaise) alors peut-être… Maude Carrier ou Maude Brochu ? – Non : leur répertoire exclut leur langue maternelle…
- Liana Drouin et son « High Five Cover Band » : anglais !
- Le duo Mixtape (Claudine Beaudoin et Maxime Tessier) ? Que de l’anglais !
- Westley Drouin ? -You bet ! English !
- Le duo Frank & P-O ? Les moins pires : à 60 % anglais…
Hum… Les artistes francophones ont donc massivement adopté l’anglais… Alors essayons les noms anglais, qui sait ?
- The Lost fingers ? The Unplugged Band ? Steve & Ginnie Jackson ? Rien à espérer !
- Le duo 2 For The Show ? Et 50 Shades of Punk Rock ? Désespérant !
À bout de souffle et visiblement irritée par ma patience, mon interlocutrice se rabat sur le duo de chansonniers Bélanger/Veillette. Je vérifie leur démo de 2016 : à 50 % en anglais avec, selon leur site, la « possibilité d’un spectacle 100 % francophone ». Praise The Lord!
À cet extraordinaire « buffet of the Commonwealth » ne survit que le folklore, avec Les Jarrets noirs et le duo Yan et Félix… Comme en Louisiane ou en Acadie !
En somme, le message même pas subliminal du Carnival of Quebec ? La musique québécoise, c’est folklorique. Quand c’est récent et cool, c’est anglais.
La francophonie ignorée
Il est où, oui, il est où le français dans la ville anglomane où j’ai grandi ? Quelqu’un a-t-il au moins pris la peine d’inviter, à défaut d’artistes québécois chantant dans notre langue commune, des Français, Africains ou Antillais, qu’on entend si peu ici ? Les organisateurs du Carnaval sont tellement ouverts aux autres (xénophiles) qu’ils sont devenus fermés à eux-mêmes (oikophobes), comme si l’un excluait l’autre… Et nos taxes et impôts financent cette acculturation !
Bref, le francophone indigène et le touriste francophile ne trouveront que des miettes en français à se mettre sous la dent pendant 10 longues journées au cœur du « berceau de la francophonie en Amérique ». Une honte immense m’habite quand je le dis, mais Québec n’offre au monde (presque) plus rien de francophone.
Le 400e et le Festival d’été
Avant de raccrocher, j’ai ajouté que je m’abstiendrais de participer au Carnaval cette année, me rabattant sur le Festival d’été de Québec… mais je me suis vite repris : j’avais oublié que la même anglophilie y règne en maitre, y compris le 14 juillet, où sur les Plaines, d’année en année, les groupes anglophones se succèdent. Il faut croire que les Québécois préfèrent voir 42 fois Metallica ou AC/DC plutôt que 42 artistes francophones différents. Money talks!
Je comprends maintenant pourquoi, le 31 décembre 2008 à minuit à place d’Youville, le Pascale Picard Band a inauguré la première heure du 400e de Québec en offrant une prestation 100 % en anglais. Cette avant-gardiste avait compris que si elle voulait gagner sa pitance et faire pleuvoir les bidous dans la ville où elle est née, elle devrait utiliser la langue du conquérant, du dominant. Le Carnaval nous confirme qu’elle avait, mais alors là, tout à fait raison.
Si l’anglais a dominé au 400e de Québec et domine au Festival d’été et au Carnaval, ce n’est peut-être pas étranger au fait que Daniel Gélinas a laissé son empreinte anglolâtre aux trois endroits. Il n’a surement pas tiré les conclusions qui s’imposent de la chanson Mommy, qu’un autre Gélinas, Marc de son prénom, écrivait en 1971.
Et combien le groupe RBO était prophétique quand il chantait « I wan’t to pogne/I don’t want to speak my tongue ! »
Prière de m’avertir si un jour Québec se réveille de son parti pris pour l’anglais quasi exclusif : seulement alors, je consentirai à y laisser choir mes dollars.
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2 commentaires
André Goyette Répondre
17 février 2019Bravo Monsieur Vallée. C'est curieux comme peu de gens peuvent se ternir debout face à l'anglicisation.
J'imagine que c'est par effet de mode ou manque de confiance en soi. Quant au Carnaval, par peur de faire moins d'argent ? Il y en a qui vendrait leur mère pour de l'argent, pourquoi pas sa langue et le respect de soi...
Bravo encore et merci pour cette belle lettre.
Jean-François Vallée Répondre
18 février 2019De rien Monsieur Goyette, mon indignation vient du fond du coeur. Merci de partager le plus largement possible.