Les villes doivent-elles flirter avec la production de marijuana?

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La collusion avec l'industrie de la marijuana va en s'intensifiant

Création de nouveaux emplois et relance de l’économie locale, la perspective de jours meilleurs avec l’arrivée du marché du cannabis pousse plusieurs petites villes à prendre les devants et à courtiser des entrepreneurs pour qu’ils viennent s’installer chez elles. Un flirt qui n’est pas sans risques, préviennent des experts, qui soulèvent plusieurs enjeux éthiques.



Souhaitant accueillir des projets de culture de marijuana, des villes ouvrent grandes leurs portes aux futurs producteurs de cannabis. Que ce soit par exemple en modifiant un règlement de zonage ou encore en réservant un terrain pour les futurs producteurs, des municipalités tentent de tirer leur épingle du jeu.



« Faire du développement économique, ça fait partie des responsabilités d’une municipalité, mais il faut le faire avec une extrême prudence », prévient Rémy Trudel, professeur d’administration publique à l’ENAP.



Les villes ne devraient jamais prendre de risques financiers, souligne l’expert, d’abord parce que l’industrie du cannabis en est actuellement à ses balbutiements, mais aussi parce que les intérêts des producteurs sont d’abord économiques.



Le cas de la Ville de Weedon laisse l’expert perplexe. Selon lui, la Ville a fait preuve de sagesse en se limitant à réserver un terrain pour l’entreprise. Mais la municipalité se place dans une position inconfortable en permettant à son directeur général adjoint, Fabian Garcia, de travailler à temps partiel pour l’entreprise MYM, qui mène le projet de serres de cannabis.



« Que la municipalité facilite l’implantation à travers les pouvoirs qu’elle a, j’en suis. Par contre, qu’on utilise quelqu’un de l’administration publique au profit de l’entreprise privée, il y a une question éthique qui se pose », note M. Trudel.



La Ville se défend en précisant que M. Garcia travaille pour la Corporation de développement économique de Weedon. Pour lui assurer un emploi à temps plein, la Corporation, présidée par le maire, sous-traite ses services à la fois à la Ville de Weedon et à l’entreprise MYM Neutraceuticals.



« Juridiquement, ça se peut que ce soit acceptable, mais sur le plan de l’éthique, l’étanchéité entre les deux rôles, le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on entre sur le terrain de l’apparence du conflit d’intérêts », analyse M. Trudel.



Il rappelle que la perception des enjeux éthiques peut différer du public au privé. « Quand tu es dans l’administration publique, rien ne peut se faire sans autorisation, tandis que lorsque tu es dans l’entreprise privée, tout peut se faire, sauf ce qui est défendu par la loi », souligne-t-il.



Entrer dans le marché



Autre élément à ne pas perdre de vue, selon le politologue André Lamoureux, c’est que n’entre pas qui veut dans le marché du cannabis. « Tout dépend de Santé Canada, qui d’abord autorise la production et ensuite la vente », souligne M. Lamoureux.



Actuellement au Québec, seulement six sites de production de cannabis ont reçu une licence de Santé Canada.



Il observe toutefois que certaines entreprises, dont MYM avec le projet Weedon, n’hésitent pas à promouvoir leurs projets avant même d’avoir obtenu les autorisations nécessaires.



« Je ne vois pas beaucoup d’ancrage dans la mise en oeuvre concrète. On présente une certaine vision grandiose, mais je crois qu’il faudrait être plus prudents lorsqu’on parle de développement économique parce qu’on ne peut pas créer des attentes qui ne seront pas satisfaites », dit-il.



Selon les experts, un modèle intéressant est celui de la ville de Louiseville, en Mauricie. En 2016, le maire, Yvon Deshaies, s’est non seulement dit favorable à la légalisation du cannabis, mais il a aussi lancé une invitation aux producteurs de marijuana à s’installer dans la municipalité de 7500 habitants.


Il faut être très prudent. Oui, j’ai dit que j’étais ouvert à la venue d’entreprises de production, mais les entrepreneurs ont des étapes à suivre.


Yvon Deshaies, maire de Louiseville


La prudence



C’est toutefois la Municipalité régionale de comté (MRC), composée de toutes les villes du territoire, qui a agi comme intermédiaire. « Selon moi, il faut être très prudent. Oui, j’ai dit que j’étais ouvert à la venue d’entreprises de production de cannabis, mais après ça, les entrepreneurs ont des étapes à suivre », souligne le maire Deshaies.



D’ailleurs, il s’étonne de voir la municipalité de Weedon promouvoir le projet.



« On peut se réjouir de l’arrivée d’une entreprise, mais il faut faire attention à la publicité qu’on en fait. Le processus pour obtenir une autorisation de Santé Canada est très pointilleux », indique-t-il.



La Ville de Pointe-Claire, dans l’ouest de l’île de Montréal, qui s’est retrouvée dans la mire du producteur de cannabis albertain Aurora, l’a accueilli comme toute autre entreprise qui s’installe dans le quartier industriel.



« Toute entreprise qui souhaite s’installer à Pointe-Claire doit respecter les règlements de zonage de la Ville qui déterminent les usages permis selon les secteurs pour l’ensemble du territoire », fait valoir le maire, John Belvedere.



Selon M. Lamoureux, il est possible que des projets comme celui de Weedon débloquent, mais pour l’instant, estime-t-il, plusieurs relèvent davantage « de l’intention que du réel ».


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