Puis, M. Dumont, ça va mieux? Et vous, Mme Marois, vous avez survécu à l'angoisse des 48 dernières heures?
La question se pose, après tout: ces deux-là avaient l'air tellement bouleversés, mardi, de devoir attendre deux jours de plus pour lire le rapport final de la commission Bouchard-Taylor.
L'économie continue de montrer d'inquiétants signes de ralentissement, le prix de l'essence atteint des sommets à la pompe, les profs boudent la réforme et les urgences sont toujours aussi pleines. Et que fait l'opposition à Québec? Elle EXIGE du gouvernement de tout arrêter, séance tenante, pour publier précipitamment un rapport qui doit sortir de toute façon dans 48 heures Tout ça pour une fuite dans un journal?
Chose certaine, Pauline Marois et Mario Dumont n'auront pas attendu longtemps, hier, pour avoir une première réponse de Jean Charest au rapport Bouchard-Taylor. La conférence de presse des deux commissaires n'était même pas terminée, hier midi à Montréal, que le gouvernement Charest déposait à Québec une motion pour rejeter l'une de ses recommandations les plus controversées: retirer le crucifix du Salon bleu de l'Assemblée nationale. Ce gouvernement, décidément, ne perd pas de temps pour «tabletter» les rapports qu'il a pourtant lui-même commandés. Castonguay, Montmarquette, Coulombe, Bouchard-Taylor: R.I.P.
Évidemment, aucun parti à Québec ne veut lancer une polémique sur le symbolisme du crucifix à l'Assemblée nationale (il y est depuis Duplessis, en 1936). Mais Jean Charest n'est pas très convaincant quand il nous dit que le crucifix du Salon bleu n'est pas qu'un symbole religieux. Faudrait savoir: on sort la religion catholique des écoles publiques au nom de la laïcité, mais on garde le symbole le plus fort de cette même religion au sein même de la plus publique des institutions québécoises, l'Assemblée nationale?
Mais bon, on y reviendra. Parlons des retombées politiques de Bouchard-Taylor pour le moment.
Maintenant que le rapport a été rendu public, force est de constater que Mme Marois et M. Dumont se sont beaucoup excités pour pas grand-chose. Les fuites des derniers jours nous annonçaient une charge contre les vilains Canadiens français fermés et réfractaires aux immigrants, mais les commissaires Bouchard et Taylor ont pondu dans les faits une analyse beaucoup plus fine, beaucoup plus équilibrée. En fait, ce rapport est un parfait petit recueil de voeux pieux et de nobles sentiments enrobés dans un langage ronflant et parfois même carrément incompréhensible.
Dans ce savant verbiage, une conclusion ressort toutefois: les Québécois aussi se sont beaucoup excités pour rien depuis deux ans avec les accommodements raisonnables. À la lecture des quelque 300 pages du rapport Bouchard-Taylor, on en arrive même à se demander pourquoi il fallait dépenser autant d'argent (3,7 millions) et d'énergie pour si peu. Cela dit, ce rapport a le mérite de replacer le débat dans son juste contexte: ce ne sont pas les accommodements raisonnables qui posent problème au Québec; c'est la perception qu'en ont les Québécois qui a provoqué la «crise». Crise alimentée par les médias et par le chef de l'ADQ, laissent entendre les deux intellectuels, sans toutefois blâmer directement qui que ce soit.
Ils n'ont pas tort. Les chiffres compilés par leur service de recherche le démontrent d'ailleurs clairement: au cours des 22 dernières années, seulement 73 cas (des accrochages, des incidents, des faits divers), dont une bonne partie ne sont même pas des accommodements raisonnables, ont été répertoriés. Une moyenne de 3,3 par année. Difficile de parler d'un grave problème.
Suivant une chronologie détaillée et fort documentée, la commission a reconstitué la scène des accommodements raisonnables pour démontrer que la «crise» a en fait été gonflée par une mauvaise perception, par des manchettes sensationnalistes (des histoires le plus souvent erronées), par des rumeurs et une mauvaise perception de la population.
Le Québec est à un tournant, certes, écrivent les commissaires, mais il a su à ce jour éviter de sombrer dans l'intolérance et la ghettoïsation. Encore là, il n'était probablement pas nécessaire de déployer tant d'efforts pour en arriver à de telles conclusions, mais les commissaires Bouchard et Taylor ne peuvent être tenus responsable des actes de Jean Charest, qui a décidé en février 2007 de se débarrasser de la «patate chaude» des accommodements raisonnables en créant une commission. Et puis, les conclusions du rapport viendront clouer le bec à ceux qui prédisent la disparition imminente de la culture québécoise.
Bref, Jean Charest trouvera tout ce qu'il veut dans ce rapport pour démontrer qu'il n'y a pas péril en la demeure et qu'il n'y aucune raison de paniquer.
Voilà tout le paradoxe de ce rapport. Il n'y a pas de vrai problème de cohabitation au Québec, qui n'a pas à rougir de son bilan en la matière; mais nous avons frôlé un grave dérapage social, disent les commissaires. Ils proposent donc toute une série de recommandations, dont certaines plutôt lourdes, comme l'adoption d'une loi ou d'un énoncé de politique sur l'interculturalisme et un livre blanc sur la laïcité.
Dans le contexte d'un gouvernement minoritaire, ces deux recommandations n'iront pas loin. Comme la majorité des recommandations, d'ailleurs. La majorité d'entre elles sont assez vagues (on parle beaucoup de nouveaux comités, de structures, d'études, etc.) et il y a suffisamment de voeux pieux pour que le gouvernement laisse le rapport mourir de sa belle mort. Quelques mesures très ciblées suffiront, comme celle, annoncée hier, d'obliger les candidats à l'immigration à signer un engagement à respecter les valeurs du Québec.
Quant aux projets d'une Constitution québécoise, défendue par l'ADQ et le PQ, le premier ministre Charest a très clairement indiqué qu'il ne veut rien savoir d'engager un débat en ce sens. Mme Marois et M. Dumont peuvent s'accrocher à cette idée, mais il est loin d'être certain que la population les suivra. La Constitution, c'est loin des préoccupations des Québécois ces jours-ci.
L'idée pour le gouvernement, maintenant que ce très attendu rapport est déposé, c'est de se rendre sans trop de vagues jusqu'à l'été, dans un mois. Après, on passera à autre chose, souhaitent les libéraux.
Au fait, la prochaine fois, pour éviter le psychodrame surréaliste de l'avant-dépôt de rapport, il suffirait que le gouvernement remette, sous engagement de respecter l'embargo, un exemplaire aux deux chefs de l'opposition. Dans un parlement de cohabitation, ce serait un accommodement raisonnable.
Les suites d'une fausse crise
En fait, ce rapport est un parfait petit recueil de voeux pieux et de nobles sentiments enrobés dans un langage ronflant et parfois même carrément incompréhensible.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé