À écouter et à lire plusieurs observateurs, on a l’impression que les juges ne devraient faire l’objet d’aucune critique sur la place publique.
Ils mériteraient un statut s’apparentant à celui de saintes et de saints. Et seul un juge pourrait en critiquer un autre.
Les récentes polémiques qui ont éclaté lorsque la Cour d’appel entendait la demande de suspension de la loi 21 sur la laïcité ont exposé plus que jamais cette quasi-vénération.
En déposant une plainte en déontologie dénonçant les apparences de partialité de la juge en chef Duval Hesler, l’historien Frédéric Bastien a choqué ceux qui vouent une sorte de culte aux juges.
Comment un quidam, non-juriste de surcroît, ose-t-il ainsi se pencher sur les agissements d’un magistrat? Quelle horreur!
Critiquer les pouvoirs
Or, en démocratie, critiquer les représentants de chacun des pouvoirs (législatif, exécutif, judiciaire) est un droit fondamental.
La constitution de 1982, imposée au Québec et à son Assemblée nationale, a conféré aux juges une importance et un prestige exorbitants.
Les conséquences n’ont pas été uniquement mauvaises. Ils ont fait reconnaître des droits, défendu des minorités.
Mais on ne peut nier que les juges, nommés exclusivement par Ottawa (cours supérieure, d'appel et suprême), aient joué un rôle politique dans la saga du rapatriement, la perte de droit de veto du Québec et l’affaiblissement de la loi 101.
Du reste, les progrès reliés aux chartes et le rôle très grand que les juges ont pris depuis leur adoption semblent avoir donné l’impression qu’on avait défini une formule idéale pour obtenir une société juste.
Dialogue démocratique
Les élus eux-mêmes en abandonnent parfois leur propre rôle de législateur. Ils ont tendance à se délester de questions épineuses en les rejetant dans la cour des juges.
Passer le «test des tribunaux» est même devenu l’objectif cardinal.
Comme si c’était un test scientifique ou informatique infaillible. Les juges sont des humains, avec toute la diversité et les marges d’erreur que cela implique. Plusieurs raisonnements valables, légitimes, coexistent dans nos tribunaux et peuvent conduire à des décisions très divergentes. Susceptibles de changer radicalement à travers le temps.
Pensons à l’aide médicale à mourir, autrefois condamnée par la Cour suprême, mais acceptée depuis l’arrêt Carter en 2015, grâce à l’impulsion des élus québécois qui ont osé légiférer sur la question!
En 2013, l’ancien ministre libéral, Benoît Pelletier, lui-même constitutionnaliste, reprochait à son parti de s’en remettre «d’une façon trop fataliste et volontaire à des juges qui, pour bien intentionnés qu’ils puissent être, n’en sont pas moins dépourvus de légitimité démocratique», n’ayant «aucun compte à rendre à la population».
La sacralisation du judiciaire, la notion de «test des tribunaux» et la diabolisation des dispositions de dérogation conduisent à un appauvrissement de notre démocratie en tuant le dialogue nécessaire entre les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire.
Que l’on soit favorable ou non à la loi 21, elle a le grand mérite de relancer cette question.