Les indépendantistes au pouvoir

PQ - XVIe congrès avril 2011

par
Richard Gervais (*)
Dans le dernier numéro de L'Action nationale, Pierre Cloutier propose une « courte étude » où il relève les « contorsions » auxquelles le Parti québécois ne cesse de se livrer depuis sa création (« Parti québécois : 41 ans de contorsions », octobre 2010, p. 66-99). Déjà [publié dans Vigile (17 juillet 2010)->29299], ce condensé historique est saisissant de clarté et tout à fait à propos. Quelle chute, toutefois, quand vient le temps pour Cloutier de conclure ! Là, l'auteur semble frappé de cécité, incapable de tirer la leçon qui s'impose.
La récupération péquiste du projet d'indépendance, sa dénaturation dans l'associationnisme, l'étapisme, le référendisme, l'affirmationnisme, le « beau risque », la « gouvernance souverainiste » et autres détournements dont Cloutier fait l'imparable et minutieux inventaire, prouve que le Parti québécois comme parti de l'indépendance est un mythe. Si, pour un parti, faire de la politique, c'est rivaliser pour le pouvoir et, une fois qu'il le détient, s'en servir afin de réaliser son programme, alors le Parti québécois n'a jamais fait de politique indépendantiste. Il s'est au contraire systématiquement refusé à conjuguer pouvoir et indépendance.

Cloutier préfère tirer une autre leçon, qui ne suit nullement de ses prémisses. Selon lui, le contorsionnisme chronique du PQ démontrerait que « l'accession à la liberté collective du peuple québécois ne passe plus nécessairement par le militantisme partisan » (p. 99). Au lieu de conclure logiquement à la vanité du militantisme péquiste, Cloutier propose le militantisme non partisan. C'est très tendance dans la « nébuleuse péquiste » de sortir ainsi l'indépendance de la politique en pensant qu'on fait un pas en avant. On entend ce discours chez les Intellectuels pour la souveraineté, au Conseil de la souveraineté, sur Vigile. C'est bien pourquoi aussi cette nébuleuse tourne en rond, toujours finalement autour d'un Parti québécois pas fâché d'être ainsi déchargé de l'action pour l'indépendance.

Puisque le Parti québécois, tant dans l'opposition qu'au gouvernement, refuse délibérément de conjuguer l'indépendance avec le pouvoir, on décrète que l'indépendantisme est autre chose qu'une politique, autre chose autrement dit qu'une action ayant pour enjeu la prise et l'exercice du pouvoir. On se dope à l'indépendance « projet de société », « union sacrée de la nation », « rassemblement de groupes de la société civile », « états généraux » et autres mouvements sociaux ou citoyens ayant pour dénominateur commun de ne pas viser le pouvoir.
L'essentiel alors se perd, à savoir que l'indépendance est un acte politique, un acte du pouvoir. On s'avance à affirmer, au PQ même, qu'une fois qu'on se verra confier à nouveau les rênes du gouvernement, on saura poser des « gestes de souveraineté ». Il sont jolis, parfois, les mots creux. Vous remarquerez dans ce nouveau mantra que le geste de souveraineté principal, celui de déclarer l'indépendance, est toujours immanquablement absent. Pourquoi ? Il ne saurait même en être question parce que ce qui lie la nébuleuse péquiste, son principe gravitationnel, consiste en ceci : on dénie aux élus du peuple québécois à l'Assemblée nationale le droit de déclarer l'indépendance. Tout, référendisme et attentisme en tout genre, s'ordonne autour de ce faux postulat. D'un principe tordu ne peuvent sortir que des contorsions. C'est l'histoire du PQ. Toutes celles que Cloutier observe dans le parti de René Lévesque sont congénitales à ce parti pour la raison qu'il rejette la démocratie représentative comme principe de solution de la question nationale.

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Faire l'indépendance, c'est mettre les indépendantistes au pouvoir. Ils formeront le gouvernement et feront voter la Loi d'indépendance par l'Assemblée nationale. Parler de l'indépendance en dehors de cette action électorale et parlementaire, en dehors autrement dit de la prise du pouvoir et de son exercice en régime de démocratie représentative, c'est rigoureusement parler pour ne rien dire. C'est se faire accroire qu'on fait de la politique indépendantiste en commençant par se mettre en dehors de la politique.

Le fait massif qui ressort par-dessus tout de l'énumération des « contorsions » péquistes par Cloutier est que jamais, depuis René Lévesque jusqu'à Pauline Marois, le Parti québécois n'a voulu le pouvoir pour faire l'indépendance ni ne l'a pris et utilisé à cette fin. Le plus loin qu'il est allé, c'est sous Jacques Parizeau, où il a pris et utilisé le pouvoir pour faire, non l'indépendance, mais un référendum, lequel n'a même pas porté sur l'indépendance comme telle mais sur la « souveraineté » conditionnelle à une « offre de partenariat » avec le Canada. Et surtout, de toute façon, l'idée du référendum constitue en lui-même un déni du mandat de représentation des élus sur la question nationale. Il est impossible à quelque parti que ce soit de vraiment pratiquer une politique indépendantiste quand il refuse d'emblée de considérer les représentants élus du peuple québécois à l'Assemblée nationale comme les détenteurs légitimes du droit et du pouvoir de déclarer l'indépendance du Québec. Le problème — et la supercherie — commence dès l'élection, quand on présente des candidats à la représentation politique qui refuse précisément de représenter le peuple sur la principale question politique qui le concerne, la question nationale.

L'action partisane pour l'indépendance, c'est l'action qui sert à faire élire un parti qui a l'indépendance pour programme et qui ne renie pas d'avance le droit de l'Assemblée nationale de voter l'indépendance quand il présente à la population des candidats pour y accéder. Et il n'y a actuellement qu'un seul parti reconnu qui correspond à ça, c'est le bien nommé Parti indépendantiste. C'est autour de lui que s'organise aujourd'hui l'action politique pour l'indépendance du Québec. Il est le seul parti indépendantiste sur la scène québécoise dans le sens où il est le seul à mettre vraiment l'indépendance dans la politique, à conjuguer directement indépendance et lutte pour le pouvoir. Les autres supposés partis indépendantistes refusent aux représentants démocratiquement élus à Québec le droit de déclarer l'indépendance et s'interdisent ainsi toute possibilité de traduire l'indépendance en politique.

Renonçant au militantisme politique, c'est-à-dire partisan, au profit d'un vague militantisme citoyen, Cloutier laisse en réalité libre patinoire au parti même dont il vient de dénoncer le contorsionnisme chronique. Que font d'ailleurs ces récents amoureux de la « société civile », ces indépendantistes soi-disant sans-parti, quand viennent les élections ? Ils sont pris de court et retrouvent vite leur réflexe partisan en votant pour le Parti québécois, ou parfois pour Québec solidaire, deux partis de toute façon qui ont le mot souveraineté dans leur programme pour mieux ne pas la mettre dans la politique. Et c'est ainsi que, d'élections en élections, la cause de l'indépendance est laissée dans le vestiaire. Pendant ce temps, les ennemis de la nation continuent leur travail de sape en ne se gênant pas, eux, d'utiliser le pouvoir politique à leurs fins anti-québécoises.

L'indépendantisme conséquent ne s'exclut pas de la lutte pour le pouvoir, mais y participe au contraire afin de le mettre au service de l'indépendance. La résistance nationale sous toutes ses formes (mouvements populaires, groupes de pression, manifestations de rue), aussi inévitable, nécessaire et louable qu'elle soit, n'aboutira pas sans la prise du pouvoir par les indépendantistes et l'utilisation de ce pouvoir pour faire l'indépendance.
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(*) Membre du Parti indépendantiste.


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3 commentaires

  • Archives de Vigile Répondre

    27 octobre 2010


    La démarche que propose Pierre Cloutier, Gilbert Paquette, et Bernard Landry, pour n’en citer que quelques uns, devra avant tout, mettre le cap sur l’indépendance, mais surtout dénoncer l’adéquisation de la position constitutionnel (1) du pq. De plus, me doutant, fort bien, du refus de toute discussion de l’intelligentsia péquiste, ce mouvement, cap sur l’indépendance, devra être en mesure d’offrir une alternative, soit en exigeant une course à la chefferie au sein du pq, soit en présentant des candidats indépendantiste dans chaque comté du Québec, ou soit en rejoignant les rangs du parti indépendantiste sous certaines conditions (conditions déjà discutées, sur ce site).
    Sinon ce mouvement, cap sur l’indépendance, ne sera que le frère jumeau, d’un certain conseil de la souveraineté.
    Pierre Desgagné
    (1) http://pierrelucbrisson.wordpress.com/2010/10/25/un-elephant-dans-la-piece/

  • Archives de Vigile Répondre

    27 octobre 2010

    Excellent!
    Par ailleurs, on voit bien que tous ces partis politiques contorsionnistes ont tous quelque chose en commun: Une peur bleue de perdre au dernier moment le troupeau vers les prés des partis concurrents. On prépare toutes sortes de bonyeux de sauces politiques hétéroclites dans les cuisines politiques pour voir si le peuple aimera la nouvelle moulée. Un comportement de trappeur qui veut attirer la bestiole dans ses pièges.Et si tout fonctionne bien, c'est la surprise-partie pour quatre ans,le party des affairistes comme dans le moment.C'est comme ça depuis quelques siècles.
    Peuple, tu dois choisir aujourdhui de te lever pour aller récolter tes patates toi-même, ou mourir sur ta chaise à écouter la symphonie des menteurs et des bons à rien.

  • Archives de Vigile Répondre

    27 octobre 2010

    Un référendum sert à confirmer s'il y a vraiment une solide majorité de Québécois qui veulent devenir indépendant du ROC. Qui est contre cette idée est contre la démocratie qui veut que la majorité prenne les décisions qui vont changer la constitution.
    Un gouvernement peur être élu avec moins de 40 % de la population. Ça peut suffire à gouverner une province mais pas à faire un pays unilatéralement, je vous le dis.