Les forces américaines ont commencé, lundi 7 octobre au matin, à se retirer de certaines zones aux abords de la frontière turque dans le nord de la Syrie. Une offensive turque sur la zone est imminente, a annoncé dans la foulée le président turc, Recep Tayyip Erdogan. Dans un revirement majeur de la politique américaine en Syrie, le président américain Donald Trump avait donné, la veille, le feu vert à son homologue turc pour lancer « bientôt » une incursion militaire dans le nord de la Syrie. Si les Etats-Unis ne soutiendront pas l’opération, ils n’interviendront pas, lui a assuré le président Trump, lors d’une conversation téléphonique dont la teneur n’a été rendue publique qu’à 23 heures, heure locale, par la Maison Blanche, dans un communiqué.
La décision du président Trump a pris tout le monde de court. Elle va à l’encontre des recommandations des responsables du Pentagone et du département d’Etat, favorables au maintien d’un petit contingent de troupes pour contrer toute résurgence de l’organisation Etat islamique (EI) et faire contrepoids à l’influence de l’Iran et de la Russie en Syrie. Ces derniers avaient réussi, en décembre 2018, à convaincre le président américain de temporiser après l’annonce d’un retrait des troupes américaines de Syrie et à éviter de lâcher leurs alliés kurdes au sein des Forces démocratiques syriennes (FDS), cibles de la Turquie, qui les considère comme une « organisation terroriste ».
Mille éléments des forces spéciales américaines sont toujours déployés dans le nord-est syrien aux côtés des combattants kurdes, artisans de la victoire contre l’Etat islamique (EI). Le 6 août, à la veille d’un accord entre Washington et Ankara sur la création d’un centre d’opérations conjoint et d’un « corridor de paix », le secrétaire américain à la défense, Mark Esper, avait assuré que les Etats-Unis n’avaient « aucune ambition d’abandonner » les combattants kurdes face à une possible incursion turque en Syrie. « Clairement, nous pensons que toute action unilatérale de leur part serait inacceptable », avait ajouté Mark Esper, disant travailler à un arrangement avec la Turquie.
Nous sommes déterminés à protéger notre (…) sécurité en nettoyant cette région des terroristes », Mevlüt Cavusoglu, ministre des affaires étrangères turques
Le président Donald Trump a cédé à l’impatience de Recep Tayyip Erdogan qui brandit la menace, depuis plusieurs jours, d’une opération militaire sur le nord-est syrien. Lors d’une allocution télévisée, mardi, M. Erdogan avait affirmé que la Turquie arrivait à bout de sa patience vis-à-vis des Etats-Unis au sujet de la création d’une zone de sécurité dans le nord de la Syrie, promise en août. Ankara souhaite prendre le contrôle d’une bande d’environ 30 kilomètres de profondeur et 400 kilomètres de long entre la frontière turque et les zones syriennes contrôlées par la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG), principale composante des FDS soutenue par les Etats-Unis.
Si la Turquie argue que cette zone de sécurité sera réservée au retour d’au moins un million de réfugiés syriens actuellement présents sur son territoire, elle entend surtout repousser la milice kurde des YPG loin de sa frontière. Lundi, réagissant à l’annonce américaine, le ministre des affaires étrangères turc ne s’en est pas caché. « Depuis le début de la guerre en Syrie, nous avons soutenu l’intégrité territoriale de la Syrie et nous continuerons de le faire. Nous sommes déterminés à protéger notre (…) sécurité en nettoyant cette région des terroristes », a déclaré Mevlüt Cavusoglu.
La décision du président Trump est un sérieux revers, un « lâchage » même, pour les Forces démocratiques syriennes. Après avoir combattu les djihadistes de l’EI aux côtés de la coalition internationale, les combattants kurdes devraient se trouver seuls face à l’invasion turque. Leurs responsables ont annoncé renforcer leurs défenses à Ras Al-Aïn, Tal Abyad et Kobané. « Les forces américaines ne respectent pas leurs engagements et retirent leurs forces le long de la frontière avec la Turquie, ont déploré les FDS dans un communiqué. L’opération militaire turque dans le nord et l’est syrien va avoir un immense impact négatif sur notre guerre contre l’EI. » Sur Twitter, ils ont averti sur le risque de faire de la Syrie « une zone de conflit permanent » et d’entraîner un « retour des chefs de l’EI ».
« Donald Trump n’est pas le chef des armées. Il prend des décisions impulsives sans connaissance ni délibération », Brett McGurk, ex-envoyé spécial américain pour la Syrie
Les critiques les plus vives contre l’abandon des combattants kurdes face à une offensive turque sont venues des Etats-Unis. « Donald Trump n’est pas le chef des armées. Il prend des décisions impulsives sans connaissance ni délibération. Il envoie des militaires au danger sans aucun soutien. Il bafouille puis laisse nos alliés exposés lorsqu'’il fait face à un coup de fil difficile », a critiqué sur Twitter Brett McGurk, l’ancien envoyé spécial américain pour la Syrie, parlant d’un « cadeau fait à la Russie, à l’Iran et à l’EI ».
« Autoriser la Turquie à avancer dans le nord-est de la Syrie est l’un des actes les plus déstabilisants que nous puissions faire au Moyen-Orient. Les Kurdes ne feront plus jamais confiance aux Etats-Unis. Ils vont chercher de nouvelles alliances ou l’indépendance pour se protéger », a pour sa part déclaré sur Twitter le représentant démocrate de l’Arizona, Ruben Gallego.
Dans son communiqué de dimanche soir, la Maison Blanche évoque également la possibilité de confier à la Turquie la responsabilité des combattants européens de l’EI actuellement détenus en Syrie par les Kurdes. « Le gouvernement des Etats-Unis a pressé la France, l’Allemagne et d’autres pays européens, d’où viennent beaucoup des combattants de l’EI capturés, de les reprendre, mais ils ne veulent pas et refusent », déclare la Maison Blanche, ajoutant que « la Turquie va maintenant être responsable pour tous les combattants de l’EI dans la zone, capturés dans les deux dernières années ». Les combattants kurdes détiennent dans des camps plus de 10 000 combattants de l’EI, dont 2 000 étrangers, ainsi que 80 000 membres de leurs familles, en majorité des femmes et des enfants.
En réaction, la France a exhorté, lundi, la Turquie à s’abstenir de toute opération militaire en Syrie qui contribuerait à la résurgence du groupe Etat islamique, et a plaidé pour le maintien des jihadistes étrangers dans des camps sous contrôle kurde dans le nord-est du pays. « Nous appelons la Turquie à éviter une initiative qui irait à l’encontre des intérêts de la coalition globale contre Daech [acronyme arabe de l’EI] dont elle fait partie », a déclaré dans un communiqué la porte-parole du ministère français des affaires étrangères, Agnès von der Mühll.