Les crises, même les plus graves et les plus destructrices, peuvent être suivies d'étonnantes renaissances. Elles peuvent même les causer. Le Japon et l'Allemagne d'après-guerre sont les exemples classiques d'un extraordinaire rebond survenu immédiatement dans la foulée de l'horreur et de la destruction.
Dans l'enfer qui depuis six jours écrase les Haïtiens — un peuple et une terre qui aujourd'hui touchent le fond du fond, après des décennies de malheurs, d'origine naturelle ou politique, locale ou étrangère —, il peut paraître prématuré de parler d'une renaissance future, à partir du champ de ruines actuel.
Pourtant, au-delà de l'urgence poignante à laquelle le monde semble répondre de façon extraordinaire, ce dernier épisode de l'interminable tragédie haïtienne pose de nombreuses et difficiles questions.
Une chose est de répondre adéquatement à l'urgence: hormis d'énormes et inévitables problèmes logistiques, la volonté et les moyens sont bien là. Le monde entier se bouscule pour leur porter secours; les Haïtiens savent qu'ils ne seront pas seuls en cet hiver 2010.
Une tout autre chose est de déterminer comment faire — sur le plus long terme — pour ne pas retomber dans les vieilles ornières. Cette question s'adresse tout autant aux Haïtiens et à leurs élites — partiellement responsables de leurs deux siècles de malheur — qu'à la meute des pays et organisations étrangères qui, avec un mélange de mauvaise foi et de bonnes intentions, de brutalité et de maladresse, ont tour à tour pillé, aidé, piétiné et soigné ce peuple, cette terre poussiéreuse jadis luxuriante.
***
Bien sûr, au Japon et en Allemagne, il y avait un passé proche, notamment économique, une habitude de l'organisation sociale, une localisation géopolitique aussi, qui ont favorisé le rebond après la destruction.
Mais il y a également l'intensité du choc, qui peut provoquer une sorte de catharsis et un changement de culture. Culture de la pauvreté. Culture de la dépendance. Culture de l'aide internationale.
Pourquoi Haïti est-il un pays misérable, alors que la République dominicaine voisine — avec qui il partage la géographie (l'île d'Hispaniola) et une partie de son histoire coloniale — s'en tire beaucoup mieux? Ceux qui ont survolé en avion la frontière entre les deux pays ont vu cette spectaculaire ligne de démarcation — la verdure d'un côté, le désert de l'autre. Pourquoi? Pourquoi la Barbade, qui a elle aussi connu le colonialisme et l'esclavage, est-elle, par habitant, quinze fois plus riche qu'Haïti?
Mais pourquoi, aussi, les milliards d'aide déversés au fil des ans ne sont-ils pas arrivés — ou si peu — à élever le niveau de vie? Les États-Unis versent quelque chose comme 200 millions par an en aide directe. Des milliers et des milliers de microprojets, soutenus par nos impôts — et dont on peut, à la pièce, souvent dire du bien — ne semblent pas à même de changer les choses fondamentalement, d'un point de vue macro-économique. Quand on arrive à Port-au-Prince — et là, je parle d'avant le 12 janvier 2010 —, c'est toujours la même misère.
N'y aurait-il pas quelque chose dans la culture locale — soit dit en gardant bien en tête l'extraordinaire résilience des Haïtiens forcés de vivre avec le minimum, résilience admirable dans l'épreuve actuelle — quelque chose qui bloquerait le développement économique, l'esprit d'entreprise, la construction et les projets... au-delà de la simple survie et du strict quotidien?
Le vaudou et les superstitions, si forts en Haïti, sont «un empêchement au progrès», me disait Max Chauvet, directeur du quotidien Le Nouvelliste, en 2008 dans son bureau de Port-au-Prince, aujourd'hui détruit. Ces croyances n'ont-elles pas pour effet d'enfoncer dans la tête des Haïtiens un funeste fatalisme?
Non pas que les puissances étrangères n'aient rien à voir avec les malheurs d'Haïti, pays littéralement défoncé par la cupidité des colons français au XVIIIe siècle, occupé pendant 20 ans au début du XXe siècle par l'armée américaine...
Mais les torts actuels de la communauté internationale vis-à-vis de l'ancienne «Perle des Antilles» sont peut-être d'un autre ordre: une aide massive, mais mal conçue, qui entretient la dépendance, et qui ne donne pas ce coup de fouet — cet électrochoc — qui enfin changerait la culture du pays. Non pas toute sa culture — l'haïtienne est souvent admirable —, mais la culture économique, la culture de la vie quotidienne sans lendemain. Peut-être — qui sait? — cet électrochoc est-il arrivé.
***
François Brousseau est chroniqueur d'information internationale à Radio-Canada. On peut l'entendre tous les jours à l'émission Désautels à la Première Chaîne radio et lire ses carnets dans www.radio-canada.ca/nouvelles/carnets.
***
francobrousso@hotmail.com
Les conditions de la renaissance
SPECIAL HAITI
François Brousseau92 articles
François Brousseau est chroniqueur et affectateur responsable de l'information internationale à la radio de Radio-Canada.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé