par Bill Van Auken- Dans sa déclaration sur le tremblement de terre d’Haïti, le président américain Barak Obama a parlé de la « longue histoire qui lie [nos deux pays] ». Ni lui ni les médias américains ne se sont cependant montrés très enclins à regarder de près l’histoire de ces relations et son influence sur la catastrophe que doit actuellement affronter le peuple haïtien.
On présente comme une situation naturelle et même comme la faute des Haïtiens eux-mêmes l’état d’arriération et de pauvreté du pays ayant joué un rôle si important dans la multiplication des victimes. Celles-ci se comptent en dizaines et peut-être même en centaines de milliers. Les Etats-Unis sont présentés comme des bienfaiteurs, prêts à venir en aide à Haïti avec des dons, des équipes de secours, des navires de guerre et des Marines.
Un éditorial cynique et malhonnête du New York Times de jeudi commence ainsi : « Une fois de plus le monde pleure avec Haïti » ; ce pays est ensuite décrit comme étant caractérisé par « la pauvreté, le désespoir et le dysfonctionnement qui seraient un désastre partout ailleurs mais qui, à Haïti, sont la norme. »
Et l’éditorial de poursuivre : « Regardez Haïti et vous verrez ce que des générations de mauvais gouvernement et de conflit politique font à un pays. »
Dans un article destiné à montrer les dessous du désastre haïtien, le New York Times dit encore que ce pays « est connu pour ses nombreux malheurs qui sont le produit de l’homme – sa grande misère, ses conflits politiques internes et sa propension à l’insurrection ».
Dans un court éditorial plus dédaigneux encore, le Wall Street Journal célèbre le fait que c’est l’armée américaine qui va jouer le principal rôle dans la réaction de Washington au tremblement de terre, ceci étant « un nouveau rappel que l’étendue de la puissance de Washington correspond à l’étendue de sa bonté ».
Il poursuit en faisant une comparaison indécente entre le tremblement de terre d’Haïti et celui qui a frappé le sud de la Californie en 1994 et au cours duquel sont mortes soixante-douze personnes. Le journal déclare que « la différence réside dans la fonction d’une société créatrice de richesse et respectueuse de la loi qui peut se permettre, entre autres choses, les dépenses liées à de véritables normes de construction ».
Le message est clair : s’ils ont à déplorer des centaines de milliers de morts et de blessés, les Haïtiens n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes car ils n’ont pas su créer des richesses suffisantes et ils ont manqué de respect vis-à-vis de la loi et de l’ordre.
Ce qu’on cache délibérément à l’aide de cette comparaison c’est le rapport véritable qui s’est établi en plus d’un siècle entre la « création de richesse » aux Etats-Unis et la pauvreté d’Haïti. C’est là un rapport basé sur l’usage de la force à la poursuite des intérêts prédateurs de l’impérialisme américain dans un pays opprimé au cours de l’histoire.
Si l’administration Obama et le Pentagone réalisent les plans rapportés dans la presse de déployer un corps expéditionnaire de Marines à Haïti, ce sera la quatrième fois en quatre-vingt quinze ans que les forces armées américaines auront occupé cette nation appauvrie des Caraïbes. Cette fois-ci encore, l’objectif principal d’une telle opération militaire sera de défendre les intérêts des Etats-Unis et de se prémunir contre ce que le Times appelle la « propension à l’insurrection », plutôt que d’aider le peuple Haïtien.
La nature de ces relations remonte à la naissance d’Haïti en tant que première république noire indépendante en 1804 et qui fut le résultat d’une révolution d’esclaves dirigée par Toussaint Louverture et de la défaite ensuite d’une armée française envoyée par Napoléon.
Les classes dirigeantes du monde n’ont jamais pardonné à Haïti sa victoire révolutionnaire. Haïti fut soumise à un embargo international dirigé par les Etats-Unis qui craignaient que l’exemple haïtien n’aille inspirer une révolte similaire dans les Etats esclavagistes du Sud. Ce ne fut qu’avec la sécession du Sud et la Guerre civile que le Nord reconnut Haïti – quelque 60 ans après son indépendance.
Au début du vingtième siècle, Haïti passa sous la domination des Etats-Unis et des banques américaines, dont les intérêts furent défendus par l’envoi des Marines et une occupation de plus de 20 ans, maintenue au moyen d’une répression sanglante de la résistance haïtienne.
Les Marines ne quittèrent l’île qu’après avoir réalisé une « haïtianisation » -- comme le New York Times l’appela à l’époque – de la guerre contre le peuple haïtien en construisant une armée vouée à la répression interne.
Par la suite, Washington appuya la dictature des Duvalier qui dura trente ans et commença avec l’arrivée au pouvoir de Papa Doc en 1957. Des milliers d’Haïtiens moururent aux mains de l’armée et des redoutés Tontons macoute mais l’impérialisme américain considérait cette dictature meurtrière comme un rempart contre le communisme et la révolution dans les Caraïbes.
Depuis les soulèvements de masse qui ont entraîné la chute des Duvalier en 1986, des gouvernements américains successifs, républicains comme démocrates, ont cherché à reconstituer un Etat satellite fiable et capable de défendre les marchés et les investissements de sociétés américaines, attirées par des salaires de famine, et la propriété et la richesse de l’élite dirigeante haïtienne. Cela voulait dire empêcher tout défi lancé à un ordre socio-économique maintenant 80 pour cent de la population dans une pauvreté extrême.
Cet effort continue à ce jour sous la tutelle de Bill et Hillary Clinton – respectivement représentant spécial des Nations Unies pour Haïti et secrétaire d’Etat aux Affaires étrangères des Etats-Unis – et qui ont tous deux du sang haïtien sur les mains.
Washington a appuyé deux coups d’Etat et a par deux fois envoyé des troupes en Haïti ces vingt dernières années. Les deux coups d’Etat furent montés pour renverser Jean-Bertrand Aristide, le premier président haïtien à être élu par un vote populaire et sans l’approbation de Washington. Les coups d’Etat de 1994 et 2004 ont fait 13.000 victimes haïtiennes. Lors du renversement du gouvernement en 2004, Aristide fut transporté de force hors du pays par des agents américains.
Parce qu’ils avaient besoin des troupes en Irak, les Etats-Unis les ont retirées en 2004, déléguant le travail de répression à une force de maintien de la paix des Nations unies, forte de 9.000 soldats et placée sous la direction de l’armée brésilienne.
Malgré la capitulation d’Aristide aux demandes du Fonds monétaire international et malgré sa disposition à faire des compromis avec Washington, le soutien de masse qu’il mobilisa avec son discours anti-impérialiste en firent une abomination pour les élites dirigeantes tant à Washington qu’à Port-au-Prince. Sur les ordres de l’administration Obama on lui a interdit de retourner en Haïti et son parti politique, Fanmi Lavalas, demeure en réalité hors la loi.
C’est là l’histoire réelle et continue qui « lie », selon la formule d’Obama, Haïti à l’impérialisme US et qui est principalement responsable des conditions terribles ayant fortement aggravé l’hécatombe due au tremblement de terre.
Mais il existe aussi d’autres liens, profondément ressentis devant le déroulement de cette tragédie. Il y a officiellement plus d’un demi million d’Haïtiens résidant aux Etats-Unis et sans aucun doute des centaines de milliers d’autres qui n’y ont pas d’existence officielle. Leur présence est la manifestation des intérêts de classe et de la solidarité qui unissent les travailleurs haïtiens et américains. Leur tâche est d’éliminer ensemble les conditions de pauvreté et de ruine existant dans les deux pays et le système de profit capitaliste qui les a créées.
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Article original, WSWS, publié le 15 janvier 2010.
Bill Van Auken est un collaborateur régulier de Mondialisation.ca.
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