À l’extérieur, un savant jeu de lumière
tournait en spirale autour du sapin.
Un bonhomme de neige gonflable,
la carotte en l’air, souriait benoîtement
sous son chapeau haut-de-forme,
comme un ivrogne.
Ding ! Dong !
Une couronne de houx obstruait la porte.
Ça sentait bon la dinde rôtie aux marrons et canneberges,
la tourtière du Lac, les cretons maison, le jambon persillé,
la galantine de porc, les grands-pères à l’érable.
Tante Janette croulait sous les bijoux
et le sapin, sous les boules
les guirlandes, les glaçons, les cheveux d’ange,
la canne de mémé, les flocons.
La cheminée du foyer décoratif
s’ornait des seules cartes des députés du Bloc et du PQ.
Rien n’avait été laissé au hasard.
C’était un Noël comme les autres Noël
un beau Noël.
Pourtant, quelque chose manquait.
Quoi donc ?
Chacun se posait la question mais ne la posait à personne.
Était-ce lié à l’absence de neige ?
À la température trop clémente ?
Au soleil radieux ?
Il valait mieux boire et manger
se raccrocher aux saines habitudes.
La fête a continué.
Les jeunes ont pioché dans leur assiette
avant de se ruer devant les écrans des télés,
des ordinateurs, de leur cellulaire, de leur game boy.
Les moins jeunes continuaient de s’empiffrer
en jouant à Tabou
un jeu qui consiste à prendre la parole
sans jamais mentionner les mots
indépendance-français-Québec-Noël-Père Noël-sapin
à la manière des politiciens.
Fred qui, parce qu’on lui interdisait
de fumer dans la maison, ne pipait mot
s’est aussitôt vu disqualifié.
Rita, sobre depuis vingt ans,
les réflexes aussi aiguisés qu’une joueuse de bingo
notait le pointage.
La boisson déliait les langues
surtout celle de cette vipère fédéraliste de Roger
qui devenait de plus en plus rouge
avec le Cabernet Sauvignon
prédisant que Stéphane Dion, un jour,
donnerait son nom à une rue.
Raoul était bleu.
Cannelle a prétendu que le créateur des têtes à claques
s’était inspiré d’André Boisclair
pour ses personnages.
Pruneau s’est dit d’avis que les gens de la région de Québec
avaient voté Conservateur parce que leur instinct leur dictait
que Harper et le bonhomme carnaval
ne formaient qu’une seule et même personne.
Mémé a essuyé une larme de crocodile
en affirmant, comme à chaque année,
que c’était son dernier Noël.
Rita a fait un X à mémé qui avait dit Noël.
Tout le monde a ri
en se tapant les cuisses
ce qui a produit de la musique
comme il ne s’en fait plus.
Roland a ouvert un œil.
Sa fausse barbe de Père Noël
lui pendait au bout du nez.
Il a cru que le moment de la distribution des cadeaux
était venu. Il s’est mis à la recherche de ses lunettes
de presbyte
fichées dans sa barbe.
Parce qu’il avait trop bu de Marie Sanglant,
il s’est affalé de tout son long
sur le tapis du salon.
Mémé a soupiré :
le Père Noël est un dégénéré.
Rita a tracé un X pour mémé
qui l’a traitée de duplessiste.
Rita a fait la sourde oreille.
Elle a baissé le volume de son appareil auditif
ce qui a vexé mémé
qui a protesté en posant son dentier bien en évidence
sur la nappe.
L’idée que quelque chose clochait
continuait de faire son chemin
dans les esprits de plus en plus embrouillés.
Les jeunes ont finalement consenti à
s’arracher de leur bonheur électrisé
le temps de déballer les cadeaux
qui prenaient beaucoup de place autour du sapin
avec Roland qui ronflait dans sa barbe.
Mémé a suggéré de rouler le Père Noël loin du sapin
et s’est vu gratifier de deux nouveaux X
par Rita qui ne lâchait pas sa feuille de pointage.
Raoul a proposé Roger,
pour ses bajoues, en remplacement de Roland
qui dormait comme une bûche.
Roger a piqué un fard : Moi, des bajoues !
Raoul a dit oui, des bajoues de Premier ministre !
Comme chaque année, Pruneau et Cannelle,
avant qu’ils n’en viennent aux poings, les ont séparés.
Furibond, Roger a failli perdre pied en enjambant Roland
pour atteindre son fauteuil de Père Noël.
La distribution de cadeaux a duré
à peine un quart d’heure.
Tout le monde déchirait de longues bandes de papier
ouvrait des boîtes, les refermait, sautait d’une joie
aussi fausse que les dents de mémé,
s’embrassait.
Mémé demandait :
Pourquoi on me donne des chaussettes sans pieds ?
Janette s’exclamait :
Oh ! La jolie bonbonnière vide !
Les enfants étaient retournés à leurs activités
sauf Dédé qui s’appliquait à séparer le papier du carton
à des fins de recyclage
et que Roger a traité de fif
allant jusqu’à lui proposer un fer pour les repasser.
Dédé s’est lancé dans une longue tirade
sur le réchauffement de la planète
ce qui a jeté un froid.
L’inconfort que chacun éprouvait
depuis le début de la soirée
s’était accentué.
À minuit, lorsque mémé
a chevroté un Joyeux Noël,
que Rita s’est empressée d’inscrire à son tableau,
tous avaient deviné l’origine de
ce malaise qui leur vrillait les nerfs
mais qu’ils s’obstinaient à balayer du doigt.
Roland a rempli les flûtes de champagne.
Il a levé la bouteille qu’il s’était réservée
et a éructé un Joyeux Nono
qui a fait de lui le vainqueur
de la soirée au grand dépit de mémé
dont c’était le dernier Noël
et qui aurait voulu partir
la tête haute.
En faisant tinter leur verre
les uns contre les autres
chacun, en son for intérieur, semblait
admettre que cette fin d’année marquait
la fin d’un monde
et que ce qui manquait en ce Noël, ce doux Noël
était le cœur :
le cœur n’y était pas.
FIN
Les bûches
Conte de Noël à rebours…
Billet de Caroline
Caroline Moreno476 articles
Château de banlieue
Mieux vaut en rire que d'en pleurer !
Chapitre 1
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Chapitre 2
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Chapitre 3
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