Nous vivons dans une démocratie parlementaire. Cela signifie que la population n'élit pas un premier ministre. Les électeurs votent pour un député. Dans chaque circonscription, le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de votes gagne, même s'il ne franchit pas le seuil de 50 % des voix. Mais cette règle ne s'applique pas au choix du premier ministre: celui-ci doit obtenir le soutien de la majorité absolue des députés à la Chambre des Communes. Le premier ministre et le gouvernement qu'il dirige tirent donc leur légitimité de la Chambre des communes et, indirectement, de la population.
Lorsqu'aucun parti n'obtient une majorité de sièges, qui gagne l'élection? Pour ainsi dire, personne ne gagne. Aucun parti, pas même celui qui obtient le plus grand nombre de sièges, n'obtient à lui seul un mandat de gouverner. Le gagnant sera le chef de parti qui réussira à s'entendre avec d'autres partis afin d'obtenir le soutien d'une majorité de députés. La démocratie, c'est le règne de la majorité et non le règne de la plus forte des minorités.
Options diverses
En l'absence de majorité, plusieurs options peuvent être envisagées. Un parti peut former seul un gouvernement dit «minoritaire»; malgré son nom, ce type de gouvernement doit obtenir un soutien majoritaire, mais il le fait au cas par cas, en s'entendant avec des partis différents pour chaque projet de loi ou vote de confiance, comme M. Harper l'a fait depuis cinq ans. On peut aussi envisager une entente par laquelle un parti s'engage à en appuyer un autre pour un temps déterminé, comme ce fut le cas en Ontario entre 1985 et 1987. Enfin, une coalition où des membres de deux partis deviennent ministres au sein du gouvernement peut également être formée, comme au Royaume-Uni depuis 2010.
Dans une telle situation, le premier ministre sortant jouit d'un léger avantage. Il peut rester en poste, que son parti soit arrivé premier ou deuxième en nombre de sièges. Mais il ne jouit pas nécessairement du soutien d'une majorité de députés. Il devra donc se présenter devant la Chambre, et les autres partis pourront le défaire. (Cela est d'autant plus probable si l'élection a été déclenchée à la suite d'un vote de défiance.)
Si cela se produit, nos traditions veulent que le gouverneur général demande au chef de celui des autres partis qui détient le plus de sièges de former un gouvernement. Celui-ci pourra alors soit former un gouvernement minoritaire, soit conclure une entente de gouvernement avec un autre parti, soit former une coalition. Un vote de confiance tenu peu après l'élection est donc une manière de déterminer qui a réellement gagné l'élection. Par ailleurs, s'il devient évident, à la suite d'une entente entre les autres partis, que le premier ministre n'aura pas le soutien de la Chambre, il peut aussi choisir de démissionner avant un vote de défiance, comme l'a fait Gordon Brown au Royaume-Uni en 2010.
Capacité d'entente
Certains se demandent s'il est bien légitime qu'un chef de parti qui est arrivé deuxième en nombre de sièges devienne premier ministre: n'y a-t-il pas là trahison de la volonté du peuple? Au contraire, le fait qu'un parti soit arrivé premier sans pour autant obtenir une majorité ne constitue pas une indication de la volonté du peuple, pris dans son ensemble, de porter ce parti au pouvoir. Le sens du vote est plus nuancé. Les possibilités concrètes d'ententes entre les différents partis sont sans doute le reflet des convergences entre les opinions des électeurs qui ont voté pour chacun d'eux et un meilleur révélateur du sens du vote que le seul fait qu'un parti ait devancé les autres.
Et si les chefs de parti se trompent sur le sens à donner au vote, les électeurs pourront les sanctionner lors de la prochaine élection. Il faut donc se méfier de ceux qui prétendent avoir gagné une élection sans avoir remporté une majorité de sièges. La vraie mesure de leur succès réside dans leur capacité à s'entendre avec les autres partis.
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Sébastien Grammond - Doyen de la Section de droit civil de l'Université d'Ottawa
Élections fédérales
Le sens du vote
Recomposition politique au Québec - 2011
Sébastien Grammond6 articles
Sébastien Grammond is the dean of Civil Law at the University of Ottawa
Professeur de droit à l'Université d'Ottawa. Il a été recherchiste à la Cour suprême et y a ensuite plaidé (en français).
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