Le risque québécois

Ottawa regrettera-t-il l'embarquement des soldats de Valcartier pour l'Afghanistan?

NON à l'aventure afghane

Le militaire Dominique Allard serre dans ses bras sa fille de six ans, Marianne, peu avant son départ vers l'Afghanistan au sein du premier contingent de soldats québécois, hier, à Valcartier.
Photo: Le Devoir
Ça y est, ils sont partis... non sans avoir été poussés par un vent de controverse. L'envoi hier d'un premier contingent de 200 soldats québécois en Afghanistan pour relever les autres Canadiens déjà en poste ne fait pas l'unanimité. Affrontant une impopularité croissante -- un sondage récent a révélé que 70 % des Québécois s'opposent à cette opération --, le gouvernement conservateur de Stephen Harper tente par tous les moyens de renverser la vapeur et de justifier son action.

Au total, plus de 2000 soldats de la base de Valcartier seront déployés au cours de l'été, pour cette dangereuse mission de six mois visant à sécuriser et reconstruire le sud de l'Afghanistan. Une mission que le ministre de la Défense nationale, Gordon O'Connor, s'est empressé de saluer. «Vous effectuerez un travail essentiel pour notre propre pays, parce qu'il est dans notre intérêt national de contrer le terrorisme à sa source, pour protéger les Canadiens», a-t-il lancé aux militaires à quelques minutes de leur embarquement.
En compagnie de la ministre de la Coopération internationale, Josée Verner, le ministre s'est dit très fier du courage des troupes qui, selon lui, forment une «une équipe de Canadiens exceptionnels». «Vous allez aussi défendre nos valeurs de liberté, des droits de la personne et de la démocratie», a-t-il insisté.
En plus d'avoir des conséquences politiques pour les conservateurs, qui misent sur une percée dans la province francophone aux prochaines élections pour obtenir la majorité au Parlement, cette mission à haut risque demeure difficile à avaler pour le Québec. Que ce soit en 1917 ou 1944, lorsque des lois sur la conscription avaient tourné en véritable crise politique au Québec -- peu de francophones étaient enthousiastes à l'idée d'aller défendre la Couronne britannique --, l'histoire démontre que les Québécois ont toujours été majoritairement opposés à la guerre. Plus récemment, en 2003, plus de 250 000 personnes avaient manifesté à Montréal et ailleurs dans la province contre la guerre en Irak. Jean Chrétien, à l'époque premier ministre, avait dû se résoudre à ne pas envoyer de soldats canadiens se battre aux côtés des États-Unis.
«Le fait que des soldats québécois se fassent tuer au combat va rendre la mission encore plus impopulaire. Ça peut fragiliser les députés conservateurs qui viennent de la région de Québec lors d'une prochaine élection générale», soutient Jocelyn Coulon, spécialiste de politique internationale et chercheur à l'Université de Montréal.
Depuis 2002, 66 soldats canadiens sont morts en Afghanistan, mais la quasi-totalité des victimes ne provenaient pas du Québec. Dorénavant, cette statistique pourrait changer. Car, même si un contingent de soldats québécois combat déjà dans le sud de l'Afghanistan, les francophones seront désormais majoritaires au sein des troupes canadiennes dans cette région.
«Quand les dépouilles ou des soldats blessés reviennent au pays, il y a une cérémonie médiatisée. Dans certaines régions, ça suscite la fierté, mais au Québec ce n'est pas la même chose. Les gens disent: "Pourquoi sommes-nous là? Pourquoi devons-nous subir des pertes comme ça?"», constate Desmond Morton, professeur d'histoire militaire à l'université McGill. Il craint de voir ces réactions «exploitées» par les nationalistes québécois.
Un objectif confus
Pour certains, il règne une certaine confusion autour de la mission qui n'aide en rien à rendre positive l'image des politiciens. «Est-ce que c'est une mission américaine? Pour eux, il y a un lien avec l'Irak, on va faire le sale travail des Américains», constate Jocelyn Coulon, pour qui les politiques n'ont pas réussi à «expliquer» la mission à la population.
Béatrice Pouligny, chercheuse au Centre d'études et de recherches internationales (CERI) de Paris, abonde en ce sens. «D'emblée, il y a une confusion entre deux opérations parallèles. Cette intervention a été conçue comme une mission de paix, mais il y a toujours eu une lutte contre le terrorisme, qui a maintenant pris le pas sur la seconde», croit Mme Pouligny, qui qualifie de «dérapage total» l'opération de paix menée en partie par les forces de l'OTAN. «Maintenant, la mission a tellement basculé que je ne vois pas comment les militaires peuvent prétendre faire la paix», a-t-elle ajouté.
Selon elle, la lutte contre le terrorisme effectuée à mots couverts, doublée du décès de nombreux soldats et civils, fait perdre toute crédibilité aux autorités derrière la mission. Cette fois, il n'y a pas que les Québécois qui désapprouveront la mission. Les civils afghans aussi. «Comment les gens sur place vont-ils pouvoir croire des militaires qui disent protéger la population? Ce discours-là ne peut pas être crédible», affirme-t-elle. Elle encourage le Canada et les pays en cause à changer leur fusil d'épaule et à clarifier la situation, qu'elle qualifie «d'échec». Environ 30 000 militaires de 37 pays participent à la mission de la Force internationale d'assistance à la sécurité (ISAF) de l'OTAN.
Quant au ministre de la Défense, qui s'évertue à redorer le blason de la mission, sa tâche sera plus ardue. «Il fait son possible pour rétablir un respect envers les militaires, mais il peut moins bien le faire au Québec... parce qu'il n'est pas francophone», estime Desmond Morton.
La peur et le risque
À Val-Cartier, hier, l'heure était aux adieux. En attendant leur départ pour la ligne de feu, plusieurs militaires avaient du mal à cacher leur anxiété.
«C'est évident qu'il y a un risque plus élevé que pour la majorité des missions, il y a beaucoup de facteurs qui sont hors de notre contrôle, a commencé le commandant Jason Langelier. Par contre, on a suffisamment d'entraînement et de techniques; si on reste motivés et qu'on les applique pendant six mois, on reviendra tout le monde ensemble et on aura fait une différence», a-t-il poursuivi.
Le capitaine Frédéric Létourneau, pour sa part, trépignait d'impatience. «C'est comme le test ultime, on va mettre en pratique ce qu'on a appris, et l'échec n'est pas une option», a-t-il dit aux côtés de son père, Pierre Létourneau, qui, bien qu'il soit lui-même militaire, trouvait cette séparation difficile à vivre.
Questionné sur le faible appui de la population québécoise à la mission canadienne en Afghanistan, M. Létourneau a demandé un appui moral de la part de ses concitoyens. «Je comprends qu'il y ait différentes opinions, mais l'important c'est que les Québécois soient derrière les militaires, que l'on sente leur support.»
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Avec la Presse canadienne et l'AFP


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