À la veille du déclenchement des élections, Jean Charest avait confié dans les couloirs de l'Assemblée nationale: «En tout cas, ça ne sera pas une campagne classique.»
Il avait parfaitement raison. Pourtant, le premier ministre l'a entreprise comme s'il s'agissait d'une campagne classique. D'entrée de jeu, il a prétendu s'élever au-dessus de la mêlée alors que son bilan ne justifiait pas cette prétention.
Les mois précédents avaient été trompeurs. La multiplication d'annonces bien accueillies, au moment où même les péquistes n'arrivaient plus à cacher la déception que leur causait André Boisclair, a fait croire à M. Charest que les élections seraient presque une formalité.
Pourtant, sondage après sondage, le taux d'insatisfaction à l'endroit de son gouvernement ne diminuait pas. La population semblait se résigner à lui accorder un deuxième mandat simplement par défaut. La réalité a fini par le rattraper.
Encore jeudi, les urgentologues sont venus souligner que quatre années de gestion libérale n'ont rien changé à l'encombrement des salles d'urgence. Si les réalisations de son gouvernement n'étaient pas à la hauteur de ses engagements, disait M. Charest en 2003, les Québécois sauraient quoi faire. Tout ce qu'il a trouvé à faire aux cours des dernières semaines a été de les réitérer. Recommander aujourd'hui l'élection d'un gouvernement libéral majoritaire relève du sadisme.
Après avoir décidé de leur plan de campagne, les stratèges libéraux ont été incapables de le modifier pour contrer la vague de fond qui portait Mario Dumont. Ils n'avaient pas davantage prévu la résilience d'André Boisclair, qu'ils croyaient au plancher pour le compte avant même que la campagne ne commence.
M. Charest a conservé la même attitude passive au débat télévisé alors qu'une contre-attaque s'imposait de toute urgence. Depuis un mois, les journalistes qui couvrent sa tournée s'interrogent: où était passé le super campaigner dont tout le monde chantait les louanges?
C'est seulement au cours des derniers jours qu'il a semblé retrouver l'énergie de 2003, mais cela ressemblait à l'énergie du désespoir d'un homme qui tente de sauver sa tête. On dit parfois des choses un peu étranges dans le feu d'une campagne, mais son appel aux... souverainistes était vraiment incongru.
Son lapsus de la veille sur sa certitude de «former un gouvernement mino... » avait révélé la modestie de son objectif, mais après la campagne qu'il a menée, M. Charest devrait s'estimer très chanceux d'y parvenir.
La vague adéquiste
Une campagne qui tourne mal est un fait banal, même si Jean-Claude Labrecque a tiré un excellent documentaire de la déconfiture de Bernard Landry en 2003. Ce qui s'est produit au cours du dernier mois semble beaucoup plus important. Lundi soir, le Québec pourrait non seulement se retrouver avec un gouvernement minoritaire pour la première fois depuis 1878 mais également subir une fracture inquiétante pour sa cohésion sociale et politique.
Il y a une vingtaine d'années, Jacques Parizeau parlait déjà d'«un Québec cassé en deux» pour illustrer le clivage grandissant entre riches et pauvres un peu partout au Québec. Cette fois-ci, la ligne de fracture est territoriale. D'un côté, Montréal, totalement insensible au populisme de l'ADQ; de l'autre, le RDQ, le reste du Québec, où le parti de Mario Dumont fait irruption un peu partout. À en croire la série de sondages réalisés pour le compte des journaux du groupe Gesca, la vague adéquiste atteint maintenant la Rive-Sud, du côté de Chambly et de Boucherville.
Pourtant, en octobre dernier, l'ADQ stagnait encore à 12 % dans les sondages. Mario Dumont était lui-même tenu pour battu dans son comté de Rivière-du-Loup. On réfléchit aujourd'hui à ses chances de devenir premier ministre dans deux jours.
Selon lui, c'est l'arrivée de Gilles Taillon qui a modifié le cours des choses. Il est vrai que l'ancien président du Conseil du patronat a redonné une certaine crédibilité à l'ADQ, mais M. Dumont ne devra son succès à personne. Après la déconfiture de 2003, tous ceux qui avaient un peu de notoriété ou d'argent avaient déserté. Cette fois-ci, le programme n'a pas été le fruit de compromis entre des éminences grises et M. Dumont a mené sa campagne à sa guise.
On a écrit qu'il ne «sent» pas Montréal. Erreur. Il connaît mieux la métropole que bien des Montréalais. Il y a étudié et vécu pendant des années, sur le Plateau et dans le quartier Villeray. Il a cependant constaté que cette ville était la chasse gardée du PLQ et du PQ. Il ne s'est pas fait le champion des régions par ignorance de la réalité urbaine mais par calcul politique.
Bienvenue
La soudaine irruption de l'ADQ est peut-être le symptôme d'un malaise, mais la thèse du ras-le-bol n'explique pas tout. Il y a bien des Montréalais qui sont désabusés de la politique et des politiciens. Il y a aussi de jeunes familles et des gens qui se demandent si la solution aux problèmes du réseau de la santé ne consisterait pas à ouvrir franchement la porte au secteur privé. Pourtant, ils ne semblent pas séduits par le message adéquiste.
Certains semblent découvrir avec effroi qu'il existe un sentiment antimontréalais. Bienvenue sur le plancher des vaches. En réalité, il y a déjà longtemps que les ponts sont coupés entre la métropole et l'hinterland québécois, la capitale au premier chef.
Quand les habitants du RDQ entendent le maire Tremblay se plaindre que Montréal est la grande oubliée de la campagne électorale, ils n'en croient pas leurs oreilles. Pour eux, c'est la métropole qui vit aux crochets des régions et non l'inverse. On a caricaturé l'affaire d'Hérouxville, mais bien des proches banlieusards ne se reconnaissent pas davantage dans la mosaïque montréalaise.
Jusqu'à présent, il semblait un peu honteux de voter ADQ. Plus maintenant. Le changement est survenu à la faveur du débat sur les accommodements raisonnables, quand Mario Dumont a déclaré que les Québécois ne devaient pas avoir peur d'imposer leurs valeurs. S'afficher adéquiste est soudainement devenu un acte d'affirmation honorable dans le RDQ.
Certes, le chef de l'ADQ a mené une bonne campagne, mais il a profité de l'indulgence de ceux qui refusent qu'on flétrisse leur étendard. Ses candidats ont eu beau multiplier les conneries, on ne lui en a pas tenu rigueur. Dénoncer la faiblesse de son équipe est presque devenu un signe de mépris pour le «vrai monde».
La question nationale
On ne peut pas reprocher grand-chose à André Boisclair depuis un mois. Plusieurs, dont je suis, s'interrogeaient sur sa capacité de résister au stress d'une campagne. Il a démontré qu'il a les nerfs solides. Sa performance au débat télévisé a été remarquable. Quels que soient les résultats de lundi, il a gagné le respect de tous.
Il n'en demeure pas moins que le PQ a choisi de se donner le chef le plus ostensiblement montréalais depuis sa fondation précisément au moment où le RDQ décidait de s'affirmer devant la métropole. La bonne campagne nationale de M. Boisclair ne signifie pas nécessairement qu'il emportera l'adhésion dans les comtés. Mario Dumont l'a rappelé avec insistance hier: «Un vote pour le PQ est un vote pour André Boisclair.»
Le résultat est que le PQ a perdu son hégémonie traditionnelle sur le vote francophone. Peu importe qui sera appelé à former le gouvernement, le Québec s'installe pour une période indéterminée dans un ménage à trois.
Dans ce nouveau contexte, la capacité pour le PQ de tenir un référendum sur la souveraineté apparaît plus hypothétique que jamais. C'est même toute sa façon d'aborder la question nationale qui devra être revue.
M. Dumont a catégoriquement exclu de concourir à la tenue d'un référendum. Les militants péquistes accepteraient-ils davantage qu'un gouvernement Boisclair minoritaire fasse alliance avec le chef adéquiste pour faire en sorte de limiter le pouvoir de dépenser du fédéral?
Rester dans l'opposition n'évitera pas au PQ un sérieux réexamen de son option. Dans un Québec fracturé, où l'allégeance des francophones serait désormais partagée entre deux partis aux visions inconciliables, quelles sont les chances que le PQ réussisse à retrouver une majorité dans un avenir prévisible sans renoncer au référendum? Mais quelle serait encore la raison d'être du PQ s'il devait y renoncer?
Jean Charest et André Boisclair jouent tous deux leur tête, mais les élections de lundi sont nettement plus cruciales pour l'avenir du PQ que pour celui du PLQ. Peu importe le scénario, Mario Dumont, lui, a déjà gagné.
mdavid@ledevoir.com
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