Les autorités italiennes servent un sérieux avertissement au Canada et au Québec dans leur lutte contre la mafia. Nos lois ne sont pas assez sévères et le crime organisé italien en profite.
Un rapport de la Chambre des députés italiens de 2018 rapporte que les gouvernements provinciaux et fédéraux ne semblent avoir rien appris de la commission Charbonneau sur la corruption et ne « prennent pas au sérieux » le pouvoir de la mafia montréalaise et du clan Rizzuto.
On y nomme plusieurs acteurs du crime organisé montréalais et l’implication de la mafia dans l’infiltration de l’économie légale.
Pour documenter ce sentiment de frustration, notre Bureau d’enquête et l’équipe de l’émission JE ont mené plus d’une dizaine d’entrevues à Montréal, à Rome, en Calabre et en Sicile. Des juges, des avocats, des policiers et des victimes de la mafia partagent tous ce même sentiment.
« Beaucoup d’argent est investi [par la mafia] au Canada, à Montréal et à Toronto. Pourquoi ? Parce que chez vous, ils peuvent le faire fructifier. Ici, c’est plus compliqué », évalue l’avocat romain Antonino Lastoria, qui a défendu plusieurs mafiosi dans le passé.
Frustration
« Je suis frustré, je suis obligé de dire que je suis frustré. Particulièrement dans le cas des crimes financiers commis par la mafia. La législation est presque inexistante. Bien sûr que le Canada est conscient du problème, mais c’est comme ça », affirme le juge antimafia Ottavio Sferlazza, qui a été l’élève de Giovanni Falcone, le plus célèbre magistrat italien assassiné par la mafia en Sicile.
« L’Italie a les meilleures lois au monde, ce sont les règles les plus dures à l’endroit de la mafia. Les mafias privilégient les endroits où les législations sont les moins sévères à leur endroit », poursuit celui qui vit sous escorte policière 24 heures sur 24.
Le Service de police de la Ville de Montréal apporte toutefois quelques nuances.
« Il y a une énorme différence culturelle entre le Québec et l’Italie, et une énorme différence entre le système de justice aussi. Si nous avions de telles lois, il faudrait qu’elles passent plusieurs tests avant d’être en vigueur », dit le commandant de la police de Montréal, Michel Bourque.
Les dernières enquêtes policières portant sur le crime organisé d’origine italienne montrent que le clan Rizzuto continue de faire ce que faisait l’ancien parrain Vito Rizzuto, le père de Leonardo, pour infiltrer l’économie légale.
Des millions $ dans l’immobilier
Notre Bureau d’enquête a pu consulter des documents confidentiels du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE).
Dans ceux-ci, la Banque de Montréal soupçonne des transferts suspects de 15 millions $ qui proviennent d’Italie et qui transitent par des paradis fiscaux pour atterrir à Montréal.
Où ? Dans des compagnies liées à un important promoteur immobilier de Montréal et à ses connaissances.
Il s’agit d’un homme d’affaires italo-canadien ayant déjà eu des liens avec le clan Rizzuto. Un autre document relate une filature des policiers sur Leonardo Rizzuto sur lequel on le voit entrer à l’hôtel Montréal, sur la rue Saint-Jacques.
Les caméras de la police ne peuvent pénétrer à l’intérieur, mais des policiers sont attablés tout près de leur cible.
« Neuf millions en argent cash... je voulais 10 millions », l’entend-on dire.
Selon des sources policières, l’interlocuteur de Leonardo Rizzuto serait un homme d’affaires de la métropole.
Des entreprises toujours forcées de payer le pizzo
Plusieurs entreprises montréalaises doivent toujours payer le pizzo, une forme de taxe exigée par les criminels, aux commerçants, petits ou gros, en échange de la protection de la mafia. On l’appelle aussi « racket de protection ».
Des rapports de renseignements consultés par notre Bureau d’enquête rapportent des tentatives d’extorsion par la mafia au marché Jean-Talon, le plus populaire des marchés publics montréalais.
Selon les auteurs du livre Mafia inc., André Cédilot et André Noël, 600 commerçants de la métropole québécoise devaient payer le pizzo à la mafia en 2010.
Pour le docteur Tiberio Bentivoglio, un commerçant de Reggio, en Calabre, cette histoire ressasse de bien mauvais souvenirs.
Refus
En 2010, il a refusé de payer le pizzo que lui imposait la ‘Ndrangheta, la plus puissante des mafias de la planète.
« lls [la police] ont fait de l’écoute électronique et trois individus ont été reconnus coupables d’association mafieuse. En 2010, j’étais dans ma maison de campagne et ils ont tiré sur moi », raconte celui qui vient d’ouvrir un nouveau commerce dans un bâtiment saisi à la mafia par le gouvernement et qui lui a été remis.
« Je suis accompagné par la police pendant toute la journée et protégé jour et nuit par les militaires. Cet endroit a été désigné caserne militaire par le gouvernement pour ma protection », affirme-t-il.
« Payer le pizzo signifie perdre sa dignité. Payer le pizzo signifie que je ne pourrais plus regarder mon fils dans les yeux », conclut-il, ému.
Leonardo Rizzuto, le nouveau parrain ?
Le journal de la ville d’Agrigente en Italie, Grandangolo, qualifiait le 18 janvier dernier l’héritier du clan Rizzuto de Capo di tutti capi, que l’on pourrait traduire par « chef de tous les chefs ».
Cette information est également confirmée dans un document judiciaire obtenu par notre Bureau d’enquête qui place Leonardo Rizzuto comme « nouveau chef de la faction montréalaise du crime organisé italien ».
D’ailleurs, une visite à Cattolica Eraclea, d’où le clan mafieux est originaire, confirme un retour en force des Siciliens dans la métropole.
« Leonardo Rizzuto est venu ici cet été avec sa mère », rapporte le journaliste spécialisé Franco Castaldo.
« Leonardo est maintenant le personnage le plus important du clan Rizzuto. Selon mes informations, il pourrait être considéré comme le nouveau parrain de la mafia montréalaise », ajoute cette véritable bible de la mafia.