Un groupe d’entrepreneurs affirme avoir versé plus de 30 000 $ en argent comptant, depuis 17 ans, à un architecte d’Hydro-Québec qui l’aide à faire de bonnes affaires auprès de la société d’État. Notre Bureau d’enquête a même pu assister à la remise d’une enveloppe de 500 $ au début du mois.
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André Dansereau, ancien actionnaire minoritaire chez Acrylicon Canada, dit avoir commencé à corrompre l’architecte Guy Huot en 2003.
À cette époque, il cherchait à faire homologuer le produit Acrylicon Décor Système, une peinture résistante s’appliquant sur les planchers des centrales hydroélectriques.
« J’ai sollicité et obtenu un “lunch meeting” avec tous les architectes d’Hydro au centre-ville. Guy Huot m’a fait sortir dans le corridor pour me dire que la présentation avait été parfaite, mais pour que mes produits soient homologués, il faut que ça se paye », se souvient-il.
- Le journaliste Félix Séguin est revenu sur le dossier à l'émission Dutrizac, sur QUB Radio:
Selon M. Dansereau, la somme exigée par le fonctionnaire était de 5000 $. C’est après une réunion avec ses associés qu’il a décidé de payer.
Deux montants
« La semaine suivante, j’ai rencontré Guy Huot et offert de payer un premier 2500 $ pour l’homologation et le deuxième 2500 $ à l’obtention du contrat », raconte l’entrepreneur. Il dit avoir payé ces montants.
Le revêtement Acrylicon Décor a bel et bien été homologué par Hydro. « Le devis [...] a été bâti pour qu’il soit impossible, pour tous nos concurrents, d’obtenir le contrat », ajoute l’entrepreneur.
Notre Bureau d’enquête a contacté les ex-partenaires d’affaires d’André Dansereau, qui ont exigé de garder l’anonymat en échange de leurs témoignages.
« Moi, j’ai fourni [2000 $] une fois », raconte l’un d’eux. « J’étais là, puis j’y ai participé », dit un autre.
« Faut comprendre que je feel un peu cheap. Je fais partie de la corruption, admet André Dansereau. Mais, si tu veux faire partie du système, c’est de même que ça marche. »
La « longue association » entre André Dansereau et Guy Huot se poursuit toujours. Entre 2003 et 2020, l’entrepreneur affirme que lui et ses associés ont donné de l’argent à M. Huot dans le cadre d’au moins six contrats de fourniture et d’application de peinture.
Il s’agit, selon lui, de mandats aux centrales Outarde-3 et Outarde-4, sur la Côte-Nord, ainsi que Bryson, Paugan, Chelsea et Rapides-Farmer, en Outaouais.
Selon lui, les sommes sont versées lors de dîners au restaurant. Avec sa collaboration, nous avons pu être témoins d’une remise d’enveloppe au début février.
Suspendu
Questionné par notre Bureau d’enquête sans savoir que sa rencontre au restaurant avait été filmée, Guy Huot a reconnu s’y être rendu, mais a nié y avoir reçu de l’argent.
« Je n’ai jamais reçu d’argent d’entrepreneurs », a ajouté celui qui a été honoré par son employeur, en octobre, pour ses 30 ans de carrière. Ses proches soulignaient, à cette époque, que son « côté altruiste a grandement contribué aux accomplissements d’architecture et d’urbanisme chez Hydro. »
Hydro-Québec a décidé de suspendre son employé sans solde le temps de l'enquête. Dans un communiqué, la société d'État soutient qu'elle «juge inacceptables les gestes dévoilés par TVA et le Journal de Montréal». Elle a d'ailleurs pris contact tôt ce matin avec l'Unité permanente anticorruption (UPAC), avec qui elle compte collaborer pour que «toutes les personnes qui ont commis des malversations en subissent les conséquences».
Des policiers étaient déjà présents, lundi matin, dans le bureau de l'architecte ce matin pour s'assurer qu'aucune preuve ne soit détruite.
Ce n’est pas la première fois que de tels soupçons planent sur un employé d’Hydro. En mai 2019, Denis Hervieux, un ancien cadre, a été accusé de fraude et d’abus de confiance.
Il aurait accepté des pots-de-vin, comme un barbecue, une cafetière et la location d’un entrepôt pour sa Porsche par une compagnie sous contrat avec Hydro.
– Avec Andrea Valeria et Dominique Cambron-Goulet
Qui est Guy Huot
- Architecte depuis 1984
- Membre de l’Ordre des Architectes du Québec et de l’Ordre des urbanistes du Québec
- Responsable de la conception mécanique structure et architecture chez Hydro Québec.
Comment Guy Huot a été pris sur le fait
1. IL VEUT DÉBALLER SON SAC
L’entrepreneur André Dansereau rencontre notre Bureau d’enquête le 30 janvier. Il affirme donner de l’argent comptant à Guy Huot, architecte chez Hydro-Québec, depuis 17 ans.
« Je veux être bien clair envers tous les Québécois. Ce qui m’a inspiré à dénoncer et à raconter mon histoire [...], c’est que j’ai vu toutes les manigances, et toutes les malversations, et toute la pression, et l’intimidation mises par [des employés] d’Hydro Québec et j’ai commencé à en avoir mon voyage », dit-il.
L’entrepreneur nous propose alors de filmer la prochaine remise d’enveloppe, pour appuyer ses allégations.
« Je me dis que la construction, au Québec, c’est devenu un cancer », soupire André Dansereau.
2. LE RENDEZ-VOUS
Le 4 février, André Dansereau appelle Guy Huot et les deux hommes conviennent d’un rendez-vous le 6 février, dans un restaurant de la rue Sainte-Catherine Est, à Montréal.
L’objet de cette rencontre est de faciliter le règlement d’un litige commercial entre M. Dansereau, Hydro-Québec et un de ses sous-traitants.
M. Dansereau souhaite que Guy Huot l’aide à récupérer les 170 000 $ qui lui seraient dus en lien avec des travaux exécutés aux centrales Chelsea et Rapides-Farmer, en Outaouais.
3. 500 $ DANS UNE ENVELOPPE
Le 6 février, en prévision de la rencontre, l’entrepreneur retire 500 $ en billets de 20 $ dans un guichet automatique. Il place le tout sous nos yeux dans une enveloppe. Il entend remettre cette somme à son « ami » d’Hydro. Nous lui remettons une caméra cachée qui lui permettra d’immortaliser la scène.
4. LA RENCONTRE
À midi, l’architecte d’Hydro-Québec se présente comme convenu au rendez-vous. Les deux hommes commandent des pintes de bière.
André Dansereau ne perd pas de temps. Il demande à Guy Huot un coup de main pour qu’Hydro-Québec lui verse plus d’argent, dans le cadre de son litige de 170 000 $.
L’entrepreneur demande à l’architecte de plaider en sa faveur lorsqu’il enverra un courriel de réclamation à Hydro-Québec.
« Tu peux me mettre en c. c., mais moi, je ne suis pas supposé être au courant de ça, je ne suis pas autorisé à négocier la partie “contrat”, mais si tu me mets en copie, ils vont me demander mon avis », lui répond Guy Huot.
« Moi, si je sauve 4000 $, je peux t’en donner un [1000 $] », promet M. Dansereau à son facilitateur.
« Oui, pas de problème », rétorque l’architecte d’Hydro.
5. LA REMISE DE L’ENVELOPPE
Guy Huot, qui travaille chez Hydro depuis 30 ans, est visiblement mal à l’aise. Lorsque son interlocuteur prononce trop fort le nom de la société d’État, l’architecte lui demande de baisser le ton.
« Rends-moi ce service-là, puis je vais bien l’apprécier », chuchote l’entrepreneur.
« Oui, pas de problème », répond l’architecte à voix basse.
« Comme ça, tout le monde est content. Cheers ! » lance M. Dansereau, avant de lui glisser discrètement l’enveloppe de 500 $ en guise d’avance de fonds.
À l’aide d’une deuxième caméra cachée, notre Bureau d’enquête capte cette remise de l’enveloppe sous la table.
6. TROP VISIBLE DANS SA POCHE
L’architecte d’Hydro-Québec laisse sa pinte de bière de côté et prend l’enveloppe blanche. Il tente alors de la glisser dans sa poche de chemise, mais l’enveloppe est trop grosse.
7. IL CACHE L’ARGENT DANS SON MANTEAU
L’employé de la société d’État finit par insérer les 500 $ dans la poche intérieure de son manteau.
8. LES BONS COMPTES FONT LES BONS AMIS
L’employé d’Hydro semble nerveux. « Moi, je demande rien, là », dit-il.
« C’est pas grand-chose, mais tu vas pouvoir amener ta femme souper. On a toujours eu une bonne entente, mon Guy », lui rétorque le corrupteur.
« Oui », répond Guy Huot.
Le dîner dure un peu moins d’une heure trente et les deux hommes se saluent poliment avant de sortir. Même s’il a accepté l’enveloppe, l’architecte d’Hydro laisse tout de même l’entrepreneur se charger de la facture de 87 $.