Le Québec de la Cour suprême: une entité insignifiante

La position de la Grande-Bretagne en 1866 et celle de la Cour suprême en 1981 attestent en quelque sorte le caractère mythique de la thèse des deux nations fondatrices

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Personne n'est vraiment surpris

Même si les fuites de Bora Laskin s’avèrent véridiques, il y a peu de chances qu’elles soient considérées d’une gravité telle que la Cour estime le rapatriement entaché d’irrégularités qui le rendent réfutable. Les juges actuels prétendront plutôt, documents à l’appui, que les juges de 1981 n’ont subi ni pression pour accélérer leurs délibérations ni contrainte pour rédiger leur jugement.
Un tel constat incitera le gouvernement du Canada et les partis politiques canadiens à trouver inutile de faire toute la lumière sur le rapatriement de la Constitution de 1982, comme le souhaitent unanimement les parlementaires de l’Assemblée nationale, qui réclament un accès aux archives canadiennes.
Ces fuites, bien qu’inadmissibles et porteuses d’incidences politiques, furent cependant moins déterminantes que le fait que cette Cour ait jugé pertinent de se prononcer sur les conventions, la légalité du processus et ses conséquences prévisibles. Comme l’a rappelé le chroniqueur Michel David, Peter Hogg, éminent spécialiste en matière constitutionnelle canadienne, considéra à l’époque ces questions hors des fonctions juridiques de cette Cour et prétendit qu’en acceptant de les traiter, les juges s’immisçaient dans le champ du politique.
Aussi, s’il est un comportement de la Cour qu’il faille éclairer, c’est celui-là, car, en acceptant de s’immiscer dans le champ du politique, les juges ne pouvaient pas ne pas savoir qu’ils aborderaient une question politique d’un point de vue juridique et constitutionnel, dont les conséquences seraient d’octroyer ou d’abolir des pouvoirs politiques aux provinces et au Canada. C’est ce qui s’est produit.
La Constitution de 1867
Pour saisir ce point, il faut se rappeler que la Constitution de 1867, de type fédéral, octroie des pouvoirs aux provinces, que le gouvernement du Canada peut néanmoins limiter. Il faut aussi se rappeler que cette Constitution ne fut jamais adoptée par le peuple. Seul fut tenu un vote des élus de la Province du Canada issue de l’Acte d’Union (1840) et des provinces de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick.
Autre point important : le Parti des rouges du Québec, opposé à ce projet, fut exclu des délibérations ayant mené à cette Constitution. Leur chef, Antoine-Aimé Dorion, favorable à la tenue d’une consultation populaire dans le Bas-Canada, fut débouté par les élus de la Province du Canada qui approuvèrent le refus de Macdonald et de Cartier de débattre de ces questions.
La création du Canada devint alors l’affaire de parlementaires qui cherchèrent, avec la Grande-Bretagne, à regrouper en une seule entité les colonies britanniques au nord des États-Unis. Ces parlementaires voulaient pallier l’abandon du Traité de réciprocité et éviter toute charge de l’armée de l’Union en représailles au support donné par la Grande-Bretagne aux États confédérés du Sud lors de la guerre de Sécession (1861-1865).
Lors de ces délibérations, il ne fut jamais question de nations fondatrices. Seules furent prises en compte les entités coloniales que la Grande-Bretagne souhaitait réunir. Elle s’est d’ailleurs investie pour que ses sujets ne se rebellent pas. Son approche ressembla à celles déployées en 1774, en 1791 et en 1840. Dans chaque cas, il fut surtout question d’alliances avec des élites locales pour protéger les intérêts de la Grande-Bretagne.
En 1981, en avançant qu’il n’y a aucun veto inscrit dans la Constitution de 1867, que le Canada a déjà fait des changements sans l’accord de toutes les provinces et que le rapatriement envisagé est légal, la Cour suprême confirme en fait que le Canada peut procéder comme en 1866, confortant du coup la position du gouvernement du Canada.
Sachant cela, les autres provinces ont collaboré à la démarche dont fut évincé le Québec. Après ce jugement, l’accord du Québec était devenu accessoire, de telle sorte que les oppositions du premier ministre du Québec n’eurent pas plus d’importance que les arguments mis de l’avant par Dorion en 1864-1867.
C’est dans cette perspective qu’il faut saisir les révélations de Frédéric Bastien. Grâce à elles, le peuple québécois apprend une fois de plus que, si des choses bizarres se jouent dans les coulisses du pouvoir, il ne détient pas, comme son premier ministre, un pouvoir réel sur son avenir.
En 1866, il l’a appris de la Grande-Bretagne, puisqu’elle se fit complice et consentante des politiciens des trois provinces fondatrices sans exiger que le peuple se prononce. En quelque sorte, elle devint la caution du processus. En 1981, c’est la Cour suprême qui la remplaça dans ce rôle, car la Grande-Bretagne ne pouvait qu’accéder à la demande du Canada, un pays indépendant reconnu sur la scène internationale depuis 1931 ayant une Cour suprême exemptée en 1949 de tout appel devant le Comité judiciaire du Conseil privé de Sa Majesté la reine de la Grande-Bretagne.
La position de la Grande-Bretagne en 1866 et celle de la Cour suprême en 1981 attestent en quelque sorte le caractère mythique de la thèse des deux nations fondatrices. Avec ce jugement, le Canada put considérer comme superfétatoire l’accord de la province de Québec, ce que fit l’aval de la Grande-Bretagne à la démarche des provinces fondatrices.
Si la Grande-Bretagne et le Canada purent agir ainsi, c’est qu’en 1836, le peuple du Bas-Canada se vit refuser par la Grande-Bretagne le pouvoir de voter ses lois et de contrôler le pouvoir exécutif. Inséré peu après dans la province du Canada puis dans le Dominion du Canada, le Québec s’est retrouvé dans un rapport de subordination, ce qu’a avalisé la Cour et ce que seul le peuple québécois peut changer en se dotant d’une entité signifiante indépendante du Canada.

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Claude Bariteau49 articles

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Claude Bariteau est anthropologue. Détenteur d'un doctorat de l'Université McGill, il est professeur titulaire au département d'anthropologie de l'Université Laval depuis 1976. Professeur engagé, il publie régulièrement ses réflexions sur le Québec dans Le Devoir, La Presse, Le Soleil et L'Action nationale.





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