Charte de la laïcité

Le prix de la trahison

Chronique de Louis Lapointe

Cette idée proposée par Francine Pelletier que la Charte de laïcité serait le prix de consolation des Québécois en réaction aux deux derniers échecs référendaires m’a trotté dans la tête toute la semaine.

Les indépendantistes se satisferaient-ils d’une charte de la laïcité, quitte à rester dans le Canada à défaut de gagner le prochain référendum sur l’indépendance ?

Je ne connais aucun indépendantiste sensé qui serait prêt à troquer l’indépendance pour la Charte de la laïcité.

Cette charte n’a pas été conçue pour les indépendantistes, mais bien pour les Québécois qui ne le sont pas.

Plutôt ceux qui ont été soulagés par les deux derniers échecs référendaires.

Ceux qui ont voté non en 1980 et qui n’ont pas encore digéré le sapin qu’ils se sont fait passer par Pierre Trudeau en 1982, même s'ils ont hésité en 1995.

Les frustrés de Meech.

Un prix à la trahison de 1982, plutôt qu'un prix de consolation?

Comme le disait si bien Louise Arbour dans sa lettre publiée dans la Presse la semaine dernière et à laquelle j’ai consacré mon dernier billet,

« Il faut garder à l’esprit à quel point il est facile de restreindre la liberté des autres, surtout lorsque cette initiative ne coûte rien à celles et ceux qui la préconisent. (…)

Banaliser cette atteinte aux droits ne sert aucun objectif utile ; c’est aussi une tactique fréquemment employée par ceux qui nient les droits des autres. (...)

Dans une démocratie constitutionnelle, le pouvoir judiciaire est une branche à part entière de la gouvernance, à laquelle il incombe de baliser l’exercice des pouvoirs législatif et exécutif, entre autres par l’interprétation des normes constitutionnelles. Or, nous avons la chance de vivre dans un État de droit.(…)

En fait, le plus difficile dans la reconnaissance des droits, c’est de leur donner effet quand cela dérange, et plus cela dérange, plus on doit être prudent avant de les écarter. Pour bien vivre en société, il faut faire preuve d’une certaine empathie politique qui nous amène à véritablement voir le monde du point de vue des autres.» Louise Arbour

Ces phrases que Louise Arbour destinait à la Charte de la laïcité auraient très bien pu convenir à la Charte canadienne des droits et libertés de la personne imposée aux Québécois par le reste du Canada en 1982.

Depuis l’imposition de cette charte en 1982, le Canada banalise les droits des Québécois, quand il ne les nie pas, et ses cours de justice de juridiction supérieure, dont les juges sont tous nommés par le gouvernement fédéral, se comportent à l’égard des Québécois en tribunaux coloniaux, lorsqu’il est question de constitution.

Les autres Canadiens n’ont fait preuve d’aucune empathie lorsqu’il fût question d’imposer au Québécois, sans leur accord, cette charte et cette constitution.

En ce sens, la Charte de la laïcité est la conséquence directe de l'intransigeance avec laquelle la Charte canadienne des droits et libertés a été imposée à ces Québécois qui avaient fait confiance à Pierre Trudeau lors du référendum de 1980.

Un vieux compte à régler, la réponse de plusieurs Québécois - les frustrés de Meech - à l’affront de 1982, même si elle ne survient que plusieurs années après le fait.

Cependant, si la Charte de la laïcité est vraiment un prix de consolation, elle ne l’est certainement pas pour ceux qui veulent faire l’indépendance du Québec, alors qu'elle pourrait le devenir pour ceux qui ont toujours voulu demeurer dans le Canada.

Mais rien n'est moins sûr.

Plus les fédéralistes dénonceront avec hargne cette charte, plus ils traiteront ceux qui l’approuvent de xénophobes, plus ces détracteurs feront la preuve qu’il n’y a pas de place dans le Canada pour ces Québécois qui étaient prêts à se satisfaire de la société distincte proposée dans les accords du Lac Meech afin de demeurer dans le Canada.

Cette charte deviendrait alors le prix de la trahison du ROC, la preuve que les Québécois ne peuvent plus vivre dans une société qui manque totalement d’empathie politique à leur égard, où on les considère comme des moins que ces autres.

Face à tant d'animosité, peut-être les Québécois comprendront-ils alors que ce n’est pas tant d’une charte de la laïcité dont ils ont besoin, mais bien d’un pays indépendant où ils seront enfin égaux entre eux.

***

Sur le même sujet :

En mission commandée, Louise Arbour?

Avec toute son expérience, comment Louise Arbour n’a-t-elle pas pu voir le lien causal entre l’imposition au Québec de la Charte de 1982 et le projet de Charte de laïcité du gouvernement du Québec ?

Grand Jeu ou cavalier seul ?

Le combat des indépendantistes n’est pas celui d’un Québec laïque dans Canada uni, mais bien celui d’un Québec indépendant exerçant pleinement sa souveraineté, notamment en matière de laïcité.

De la cage à la marmite à homards

Si la Cour Suprême donne raison aux tenants de la Charte de la laïcité, cela rendra-t-il la Charte canadienne des droits davantage légitime aux yeux d’une majorité de Québécois ?

De la cage où elle nous enfermait, en raison du discours que tiennent tous ceux qui confondent identité et souveraineté, la Charte canadienne des droits deviendrait une véritable marmite à homards pour tous les Québécois.

Le syllogisme identitaire

En fait, si ce projet reçoit l’appui d’une majorité de Québécois dont la fibre nationaliste vibre et même si faire du Québec une province laïque est un projet légitime, cela ne fait pas du Québec un pays.

Cela risque même d’en retarder l’échéance, satisfaisant la plupart des nationalistes mous qui souhaitent habiter un Québec fort dans un Canada uni si le recours à la clause dérogatoire leur permet de le faire.

Quitter l’enfer canadien... sans tourner le regard

Le Canada ne reconnaîtra jamais que les Québécois puissent être leurs égaux au plan constitutionnel. Nous sommes leurs pupilles juridiques. Chaque modification constitutionnelle depuis la conquête n’a fait que renforcer cet état de droit, le point culminant étant l’adoption de Charte canadienne des droits en 1982. (...)

Le vrai changement ne consiste donc pas à réaménager le cadre canadien actuel avec des lois du Québec qui seront invalidées un jour ou l’autre par la Cour Suprême où nous ne nommons aucun juge, une antinomie juridique, mais bien de sortir du cadre canadien.

Le cadeau de Pierre Trudeau

Tout juriste qui se respecte sait, qu’en droit, une partie à un contrat ne peut pas le rompre et en imposer un nouveau sans l’accord de l’autre partie, et prétendre ensuite qu’un tel geste est légal. Pourtant, Pierre Trudeau a réussi à le faire. Grâce à la complicité de la Cour Suprême, il a réussi à rendre légal ce qui ne l’était pas aux yeux du Monde, de tous les Canadiens et des Québécois, parce qu’il avait nommé tous les juges qui siégeaient à cette cour.

Le coup le plus magistral de sa carrière politique qui lui permettrait d'enfin mâter le Québec et de lui imposer une charte qui allait contribuer à gruger lentement mais sûrement la Charte de la langue française.

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Louis Lapointe534 articles

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L'auteur a été avocat, chroniqueur, directeur de l'École du Barreau, cadre universitaire, administrateur d'un établissement du réseau de la santé et des services sociaux et administrateur de fondation.





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6 commentaires

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    20 septembre 2016

    ERRATA
    Lire avouée plutôt qu'abouée
    JLPM

  • Jean-Louis Pérez-Martel Répondre

    20 septembre 2016

    L'intention abouée du front commun multiculturaliste envers la Nation Canadienne Française est : avec vos lois accommodantes et auto-destructives, nous allons vous conquérir jusqu'à vous marginaliser totalement ; avec nos lois racistes et antidémocratiques, nous allons vous gouverner en étant des apatrides dans ce qu'était le Québec des Canadiens français.
    JLPM

  • Peter Benoit Répondre

    20 septembre 2016

    Le débat ou le non-débat sur la laïcité se résume à ajouter une autre camisole de force visant à étouffer encore davantage le peuple québécois pour le banaliser en un simple groupe folklorique. Je m'explique.
    Si on accepte que le POUVOIR se décline en ses composantes politiques, économiques, juridiques et médiatiques, il y a les éléments (pas nécessairement les seuls...) suivants qui me viennent à l'esprit:
    1) La dimension politique se résume à un débat sur le référendum dans le but d'empêcher d'expliquer le projet d'indépendance. Si l'indépendance était si peu porteuse, soyez certains que les fédéralistes en parleraient tout le temps. En fait, cela se trouve à nier une réalité forte et puissante: Aucun pays n'a fait pire après son accession à l'indépendance. Même de petites îles des Caraïbes ont toujours fait mieux en illustrant parfaitement qu'un peuple ne se pose jamais un problème qu'il ne peut résoudre.
    2) La dimension économique est réduite essentiellement à un débat sur la péréquation que peu de gens comprennent pour la simple et bonne raison que le gouvernement fédéral ne publiera jamais ses données réelles. On assiste alors à un débat d'experts à l'avantage des fédéralistes qui ont tout le loisir d'utiliser des hypothèses exagérées, sinon fantaisistes. Dixit Goebbels: La force de la propagande réside dans l'énergie et les efforts que doivent fournir nos adversaires qui ne CONTRÔLENT pas l'état. Pendant qu'ils s'épuisent, nous nous occupons des vraies affaires...
    3) La dimension juridique est importante et vient rejoindre la question identitaire. Comme la Constitution canadienne et sa Charte proclament un état canadien multiculturaliste, il suffit de porter le débat sur la xénophobie et le racisme pour éviter de discuter de la Constitution elle-même.
    Il y a peu de Québécois qui savent que nous sommes finalement que des sujets de Sa Majesté et non des citoyens. Comment justifier aux Québécois le retour des religions après qu'ils eurent toutes les misères du monde à s'en défaire.
    Les états-nations sont nés dans l'histoire dans le but de restreindre les pouvoirs de la monarchie et des religieux. Les nations sont aussi devenues des remparts pour contrer la création d'empires qui n'étaient que des constructions multiculturelles abstraites dans le seul but d'enrichir la noblesse et d'appauvrir la plèbe.
    Évidemment, pour équilibrer les excès des états-nations (nazisme, URSS et autres dictateurs), il a fallu introduire des Chartes de droit qui protègent les minorités et les individus. À l'usage, plusieurs Chartes sont finalement devenues des outils à fragiliser et déconstruire l'état. D'où l'utilité de la Charte de la laïcité pour revenir équilibrer les choses.
    Évidemment, la fierté et le patriotisme sont devenus du repli sur soi.
    4) Enfin, le pouvoir médiatique qui est largement contrôlé par les fédéralistes qui a pour but d'étouffer tout débat en ne parlant que de référendums, de péréquation et de xénophobie. La question à de demander est de savoir quelle sera la prochaine étape ? Parler français ?
    Pour briser ce cercle vicieux, je propose ceci:
    A) Au niveau économique, il faut publier un projet de pays bien expliqué comme les Écossais ont fait, mais en précisant la monnaie à utiliser. Éviter de discussions frontales sur la péréquation en insistant sur la difficulté ou l'impossibilité d'en débattre. Mettre en relief le peu de retombées du gouvernement fédéral qui est sans doute un des plus inefficaces du monde occidental. forcer le débat sur le commerce intra-provincial.
    B) Les questions politiques et juridiques (identitaires) doivent être le fait d'un projet de Constitution québécoise provisoire qui deviendrait permanente avec un référendum. Le référendum doit apparaître et être un aboutissant d'un processus exhaustif de consultation publique.
    C) Sur les médias, il sera nécessaire d'établir un contrepoids avec l'engagement de patriotes à changer les choses. Et la participation de l'IRAI...

  • Archives de Vigile Répondre

    12 février 2014

    Je ne sais pas ce qui motive Mme Pelletier, mais elle n'en démord pas. Elle est peut-être aussi en service commandé, encore ce matin,dans son billet, il y a toujours ,un petit mot pour dénoncer la charte.Cela ressemble à une obsession.

  • Ouhgo (Hugues) St-Pierre Répondre

    12 février 2014

    "Face à tant d’animosité, peut-être les Québécois comprendront-ils alors que ce n’est pas d’une charte de la laïcité (dont) ils ont tant besoin, mais bien d’un pays indépendant où ils seront enfin égaux entre eux."
    Conclusion essentielle, Me Lapointe.
    Mais grammaticalement contaminée par une erreur populaire: "de cela dont" constitue un bégaiement inutile: le complément d'objet indirect étant déjà marqué par le "de" il devient redondant d'ajouter "dont". Vous le savez, mais pour un rappel général, concluons qu'il suffit de dire: "c'est de cela qu'ils ont tant besoin".
    À chaud, dans un discours, on laisse passer, à cause d'une habitude qui s'installe dans le public, mais dans un si beau texte... Les meilleurs s'y font prendre (Marois, Couillard... Arbour, peut-être? et même certains Français!)

  • Marcel Haché Répondre

    12 février 2014

    La Charte des valeurs n’est pas un prix de consolation, c’est un retentissant succès. Comme d’habitude, Francine Pelletier n’a rien compris.
    Que le projet de loi 60 soit adopté tel quel, ou même charcuté, ou même encore si le projet était éventuellement retiré, il reste un indéniable succès de cohésion nationale, cette idée qui a déserté Le Devoir depuis longtemps.
    Le projet de loi 60 porte le même espoir qui avait porté l’entente du lac Meech. À cette différence près que cette fois ce sont les indépendantistes qui portent l’espoir, contrairement aux fédéralistes de Meech, les pro-Meech, qui avaient porté l’espoir (de l’honneur et de l’enthousiasme) et qui avaient été trahis par les anti-Nous dans leur camp. Car Meech fut une misérable patente de fédéralistes. Une patente qui a sombré lamentablement, résultant de la non moins lamentable victoire du Non de 1980. Ceux et celles comme Pelletier et Seymour n’ont jamais été à même de comprendre ni même d’admettre la longue présence du Bloc à Ottawa.
    La première manche est déjà gagnée par les indépendantistes. La prochaine élection le sera aussi, si le gouvernement péquiste voulait bientôt arrêter de s’enfarger dans les « beaux chantiers en chantier » de l’ineffable vice-premier-ministre.
    Quant à moi, Le Devoir manque à tous ses devoirs. Il en paiera éventuellement le prix.