Je n’ai pas encore vu le film de Richard Desjardins, et déjà j’imagine ce que je vais aller voir. Le titre – Le peuple invisible – me fait étrangement penser à ce livre de Jack London que j’ai lu il y a près de trente ans et qui s’intitulait « Le peuple de l’abîme ». Jack London ne traitait pas du quotidien des autochtones, mais des sans-abri américains du début du XXe siècle qui n’arrivaient même pas à se loger, même s’ils travaillaient à titre de journaliers. Pour avoir déjà été à Senneterre en 1974, je crois – je me souviens d’avoir vu par la fenêtre de mon wagon de train quelques baraquements qui servaient de maisons aux algonquins. Le souvenir ne m’est pas agréable et je ne m’attends pas à ce que le documentaire de Desjardins me laisse indifférent. Et les chiffres parlent toujours : le salaire des travailleurs non autochtones de l’Abitibi-Témiscamingue était en moyenne de 29 000$ en 2001, alors qu’il était de 21 500$ pour les travailleurs des Nations cries et algonquines (Secrétariat aux alliances économiques de la nation Crie – Abitibi-Témiscamingue). Taux de chômage ? 13,7% pour les Blancs, 21,1% pour les Autochtones.
Beaucoup de Québécois – dont plusieurs indépendantistes - entretiennent des préjugés indécrottables envers les Nations autochtones. Vous les avez tous entendus ces commentaires : boivent comme des trous, vivent grassement au crochet « du gouvernement », ne paient pas de taxes, ont plus de droits que les Québécois, etc. Parmi ceux qui disent cela, il y en a plusieurs pour affirmer que c’est Ottawa et « les Anglais » qui ont fait qu’on ne se sente pas chez nous dans le Canada. Bref, nous avons été lésés et dominés, et ils ont tout à fait raison.
Ce que trop de gens oublient, c’est que la situation des Autochtones est toute autre. Au Québec, ce sont les Autochtones qui ont souffert le plus de l’oppression et de la déculturation. On aura beau retourner la question de tout bord, tout côté, ce fait est indéniable. Ces gens ont sombré dans le quart-monde parce que, historiquement, on leur a imposé les « accommodements » les plus déraisonnables qui soient. La faute revient en premier lieu à Ottawa et à l’establishment canadian. Trop souvent avec notre complicité, hélas !
Bien que le parquage des autochtones dans des réserves ne découle pas d’une politique « canadienne-française », il n’en reste pas moins que nos propres élus – au niveau fédéral, principalement - ont collaboré pour qu’il en soit ainsi. Pas étonnant, donc, que nombre de nos concitoyens se sont laissé emporter par le mépris envers les Premières Nations. Pourquoi ? Probablement parce que, opprimés nous-mêmes, nous avons ressenti le besoin de jeter notre dévolu sur moins nantis que nous. Pourtant, il fut une époque où notre peuple en devenir commerçait avec les Autochtones et traitait avec eux sur une base de reconnaissance réciproque :
En 1716, les ordres de Sa Majesté n'exigent pas seulement la paix entre les colons et les Autochtones, dans l'intérêt du commerce et des missions, mais interdisent aussi de cultiver la terre et de s'établir à l'ouest des seigneuries de la région de Montréal. Dans les Pays d’en haut, on s'assure d'obtenir la permission des Autochtones avant d'établir un poste de traite, de construire un fort, d'ériger une mission ou d'installer une petite communauté agricole comme dans les territoires de Detroit et de l'Illinois. À la suite d'une conférence à Québec, à l'automne de 1748, où sont présents 80 délégués iroquois, le gouverneur La Galissonière et l'intendant Bigot confirment à nouveau que « ces Autochtones se disent et sont un peuple indépendant de toutes les nations, et il est incontestable que les territoires qu'ils habitent leur appartiennent » (Encyclopédie canadienne, site Internet.).
Certes, la citation qui précède ne veut pas dire que nos ancêtres étaient parfaits, loin de là ! Mais le fait demeure que les relations n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. La grande [Paix de Montréal de 1701->archives/ds-societe/index-1701.html] – 37 Nations y étaient représentées - en est la preuve éclatante. Et que dire de toutes ces guerres et batailles que nos ancêtres n’auraient pu gagner sans la participation des guerriers des Nations autochtones pour qui la défense du territoire contre les Anglais était une cause aussi juste qu’elle pouvait l’être pour nous. La Conquête de 1763 nous aura fait perdre une partie de notre mémoire. Aussi faut-il admettre que notre devise – « Je me souviens » - ne doit pas concerner que nous-mêmes, mais elle doit aussi englober et reconnaître ceux qui à l’époque ont eux aussi sacrifié leur sang face à un ennemi qui nous était commun.
Je le répète, je n’ai pas encore vu le documentaire de Richard Desjardins. J’en sais toutefois assez sur la question pour savoir qu’il n’a pas exagéré. La situation prévalant chez certaines communautés Abitibi et dans le parc de La Vérendrye parle par elle-même, et le ministre Pelletier erre lorsqu’il se plaint que Desjardins n’ait pas nuancé. Le quart-monde ne se nuance pas, M. Pelletier : il se vit dans l’indigence, un point c’est tout. Surtout, il ne faut pas nier ou encore culpabiliser. Ni la négation, ni la culpabilisation ne feront avancer la cause de ces Algonquins, ni la nôtre par le fait même. Il faut simplement vouloir comprendre. Se demander ce qui peut être fait, cela sans sombrer dans le paternaliste ou devenir moralisateur.
L’Autochtone n’a que faire d’un interlocuteur qui se prétend être un Indian Lover. L’horreur quotidienne vécue par certains groupes autochtones est à la fois le fruit d’un colonialisme historique, des politiques canadiennes et – il faut le dire – de notre collaboration. Sans oublier le laxisme ambiant et que – comme tout autre être humain – un part de responsabilité leur revient.
Il faut que le Gouvernement du Québec assume son leadership, quitte à tasser Ottawa dans l’affaire. Jeter le blâme sur Ottawa et le colonialisme anglo-saxon d’hier n’est d’aucune utilité si notre Nation ne tend pas la main aux Nations autochtones. Il faut construire ensemble, accepter que le « Québec aux Québécois » doit aussi être le « Québec des autochtones ».
Nous devons nous inclure mutuellement dans notre œuvre de libération. L’élection de Alexis Wawanoloath dans Abitibi-Est, un Abénakis, sous la bannière du PQ, ne doit pas être qu’un accident de parcours. Cela doit devenir la norme, il faut désormais converger vers ce qui nous unit.
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2 commentaires
Georges-Étienne Cartier Répondre
12 novembre 2007L`article 91, par 27 de l`AANB ( Acte de l`Amérique du Nord Britannique) de 1867 accorde à l`État Fédéral, par un texte des plus lapidaires, la compétence exclusive sur "Les indiens et les terres réservées aux indiens".
Ceci étant, qu`est ce qui empêcherait l`État Québécois, dans un acte souverain de volonté politique et de défi, d`accorder eu égard à tout ce qui est de sa compétence, que le fédéral aime ça ou pas, tous les droit de citoyenneté , y compris sur leurs terres "réservées", en autant qu`ils acceptent les exigences préalables à l`octroi de la dite citoyenneté telles que prévues dans les Projets de Loi 195 et 196 du PQ ?
Il ne s`agit là que d`un des nombreux domaines où un Gouvernement Québécois bien décidé pourrait envahir les champs de juridiction fédéraux en mettant Ottawa sur la défensive non seulement face aux juristes ésotériques mais surtout face à l`opinion et, si bien géré, c`est à dire sans pusillanimité( j`admes qu`il y a ici un gros obstacle : il faudrait d`abord faire taire B.L et al....) face à l`émotion publique !
Il appartiendrait ensuite au fédéral de venir nier ces droits
( par exemple, ceux relevant du Code Civil) là ( garanties...)où ils entrent en conflit avec la "Loi sur les Indiens") devant les tribunaux où les "indiens" visés seraient défendus aux frais de "Sa Majesté la Reine du Chef du Québec"...
M`est avis qu`une telle "guerilla" clarifierait bien des choses ...Et les ferait surtout avancer concrètement !
Archives de Vigile Répondre
12 novembre 2007Sur ce thème voir aussi: Québec, un état optimal pour un peuple invisible.
http://www.vigile.net/Quebec-un-etat-optimal-pour-un