La circonscription « baromètre » traditionnelle vote du bord gouvernemental selon la tendance générale. D’autres circonscriptions disent autre chose. Celle de Mercier sur le Plateau Mont-Royal est sans aucun doute celle qui exprime le mieux l’état des lieux chez les indépendantistes.
En 1976, elle élisait Gérald Godin, poète emprisonné pour des motifs politiques quelques années auparavant, en battant le premier ministre Bourassa dans son comté. L’exploit n’était pas banal non plus sur le plan des comportements linguistiques électoraux : élire un député du PQ dans une circonscription où les électeurs ne sont qu’à 77% de langue maternelle française mérite qu’on s’y attarde.
Contrairement à ce que notre bonententisme atavique nous suggère, ce ne sont pas les anglos et les allophones qui ont eu un comportement différent et déterminant dans ce cas. Portée par les universitaires et les artistes installés en grand nombre sur son territoire, la majorité francophone de la circonscription s’est révélée cette fois-là et depuis ce temps comme la plus indépendantiste du Québec. Que des allophones se soient montrés plus ouverts à l’indépendance à la suite des mandats de Gérald Godin est probable, mais pas déterminant.
Le recul de la compagnie ESSO concernant l’anglicisation de la raison sociale de ses dépanneurs est venu dernièrement nous démontrer que la combativité permanente et le vigile de tous les jours pratiquée par les indépendantiste du Plateau est redoutable pour nos adversaires… et quand ces derniers sont au PQ, la lutte ressemble forcément à une guerre civile tranquille mais réelle.
Lorsque Gérald Godin, atteint d’un cancer du cerveau, a finalement décidé de démissionner et qu’il a fallu lui trouver un remplaçant pour les élections de 1994, la direction du PQ a pensé bien faire en moussant la candidature d’un Québécois issu de l’immigration italienne : l’avocat Giuseppe Sciortino. On avait dû recourir à un deuxième scrutin pour choisir le candidat du PQ, mais Sciortino n’avait pas gagné. Dans les journaux, on laissait entendre que le camp opposé à Sciortino était raciste et tentait d’exploiter un Gérard Godin au bord de la mort.
C’est Robert Perreault qui avait été élu. L’homme n’avait vraiment rien d’un raciste ou d’un politicien véreux. Au cours des années subséquentes, il s’est révélé un très bon ministre, que ce soit de la Métropole ou de l’immigration alors que Sciortino continuait de pisser son vinaigre d’opportuniste espérant devenir le baron ethnique virtuel du PQ et faire la leçon à chacun sur les questions identitaires.
Ayant moi-même grandi avec des Italoquébécois, dans ma famille et parmi mes amis, je sais très bien à quoi m’en tenir à ce sujet. Un sondage des années 1990 montrait que parmi les personnes interrogées, les Italoquébécois étaient ceux qui considéraient le plus les Québécois comme racistes. Il ne s’agissait pas des Italoquébécois francisés de ma connaissance, évidemment, mais de ceux qui avaient pris le parti du Canada (anglais) contre les Québécois en scolarisant leurs enfants dans la langue de l’ascension sociale, principalement dans les années 1950 et 1960. Quand le Québec s’est levé pour affirmer la langue de la majorité québécoise, ce sont eux qui se sont retrouvés au front pour les Anglais. Aujourd’hui encore, ce sont les immigrants francisés qui sont le moins portés à considérer leur terre d’accueil comme raciste.
Quand Perreault a démissionné de son poste à l’automne 2000, l’investiture péquiste est redevenue un enjeu majeur. Le chef Bouchard, tout en reculs sur les questions nationales et en coupures sur le plan budgétaire, redoutait une rebuffade. La peur de la défaite lui a fouetté le moral pour démissionner en rejetant vigoureusement la faute sur ces maudits racistes du Plateau!
Pour succéder à Perreault, les bonzes se sont rabattus sur un candidat taré (poursuivi pour violence conjugale à l’époque) qu’on voulait faire passer en jouant sur la couleur de sa peau. C’est la gauche indépendantiste qui n’avait pas suivi en optant plutôt pour le candidat Cliche en assez grand nombre (24% des électeurs) pour faire passer la candidate libérale « d’origine néodémocrate »!
Cette manie de jouer de l’ethnique contre l’indépendance nous occupe. Littéralement. C’est la tendance inexorable des empires à suggérer continuellement que l’ethnie qui domine n’est pas ethnique puisqu’elle tolère les coutumes des barbares en son sein. À partir de ce postulat magique, toute ethnie qui se voudrait en compétition avec l’ethnie dominante est source potentielle de folie meurtrière nationaliste et mérite une guerre morale sans merci.
Après sa défaite à l’investiture de Mercier, Sciortino avait donc continué sa croisade en se faisant, notamment, le promoteur du changement de nom du pont Papineau pour celui de l’argentier du Parti libéral du Canada, Pietro Rizzuto. Encore un peu et il aurait demandé qu’on attribue le nom de l’argentier du Parti libéral du Québec, Thomas D’Errico aux viaducs qui enjambaient l’autoroute Papineau et dont l’un s’est effondré dernièrement! D’Errico était, faut-il le rappeler, propriétaire du célèbre Beaver Asphalte responsable des viaducs du Souvenir et Concorde qui se sont effondrés respectivement en 2000 et 2006.
Dans [sa dernière mouture->3814],
le fier descendant de l’empire romain nous explique le monde :
« Le monde occidental n’a pas toujours été ce qu’il est aujourd’hui. Dans l’ancienne Rome, les vrais Romains étaient ceux nés à Rome, de parents romains depuis des siècles, en somme les descendants de ceux qui avaient fondé la ville. Cela a requis quelques guerres civiles et des dizaines de milliers de morts pour que les Latins, les habitants de Naples, de Calabre, de Sicile, de Florence, etc., soient finalement considérés comme des citoyens de Rome. »
On imagine tous ces peuples conquis se battant comme des forcenés pour faire partie de l’Empire! « Toutes les autres religions, le mithraïsme, le judaïsme, etc., étaient permises. » Le multiculturalisme, quoi! On permettait même à des chrétiens de se faire dévorer en public par des lions en tant que chrétiens! Peppe nous apprend aussi que le christianisme repose sur des « valeurs morales antiféministes »! On croirait entendre un épisode des Pierreafeu avec ses savoureux anachronismes. On imagine des féministes romaines que des chrétiens voulaient retourner à l’âge de pierre!
Arrivons à nous, puisque l’objectif de Peppe est de nous expliquer que nous sommes les vilains de l’histoire et non de nous faire rigoler.
« Bien des années plus tard, les descendants de ces chrétiens ont colonisé les Amériques, le Canada et le Québec, se foutant pas mal des croyances, des valeurs morales et des habitudes culturelles des gens qui habitaient déjà le territoire. »
Pourtant, à n’en pas douter, les commerçants et les missionnaires venus au Canada étaient au contraire extrêmement intéressés aux croyances, valeurs morales et habitudes culturelles de ceux qui habitaient le territoire. Pour les exploiter ou les réformer, soit, comme les commerçants et missionnaires d’aujourd’hui, mais ils ne manifestaient aucunement cette cuistrerie arrogante du défenseur de l’empire. Leurs intérêts faisaient en sorte qu’ils favorisaient la transmission des langues et la connaissance des coutumes autochtones. Il s’agit peut-être d’une vertu aux yeux des bien-pensants d’aujourd’hui, mais il s’agissait alors d’une simple règle de commerce… Comme elle peut l’être aujourd’hui pour un avocat en immigration ou un courtier en mauvaise conscience.
C’est drôle, ça me revient aujourd’hui. Lors de l’investiture de Mercier, les opposants à Sciortino murmuraient une insinuation qui me semblait un peu grosse à l’époque : TAUPE, disait la rumeur. Si elle ne désignait pas l’homme, elle disait très bien cette manière sournoise du manipulateur qui cherche faire porter le poids de la Conquête sur le conquis et faire en sorte que le Québec ne puisse se concevoir indépendant que s’il se nie.
Sylvain Deschênes
deschenes.sylvain@videotron.ca
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