Le paratonnerre

Est-ce l’absence de leader politique digne de ce nom qui explique l’apathie collective des Québécois, même dans le choix de leur « prochaine victime »?

Chronique de Patrice Boileau

Il n’est pas difficile de sentir la morosité collective qui alourdit le climat social du Québec ces dernières années. Peu de projets d’envergure suscitent en effet l’enthousiasme général. Même les préparatifs des célébrations du 400e anniversaire de la fondation de la ville de Québec -- ce qui n’est pourtant pas rien -- mobilisent difficilement.
Les Québécois assistent, penauds, à la monotone gestion provinciale qui émane de l’Assemblée nationale. Une gouvernance qui consiste essentiellement à attendre les feux verts en provenance du gouvernement canadien. Besoin de récupérer l’argent de nos recettes fiscales? Il faut patienter le temps qu’Ottawa décide d’en envoyer… Litige au sujet de législations québécoises? Faudra faire le pied de grue jusqu’à ce que la Cour suprême tranche, guidée par les valeurs canadiennes… Existe-t-il une nation québécoise? Semblerait finalement que oui, vaguement, symboliquement, a statué la Chambre des communes…
Voilà plusieurs raisons de maugréer. Ce qui tombe bien finalement : les Québécois semblent démontrer qu’ils se spécialisent dans ce sport qui consiste à grogner contre tout. Ne dit-on pas d’ailleurs qu’au moment d’être conviés aux urnes, ils votent contre un parti politique ou un projet, plutôt que d’en appuyer un? Ainsi, ô plaisir sublime!, il est possible par la suite de manifester du mécontentement jusqu’à l’élection suivante!
À ce chapitre, pas de doute que le chef du Parti libéral du Québec représente actuellement une cible de choix. Véritable paratonnerre, Jean Charest s’avère le point de mire de l’insatisfaction collective qui afflige les Québécois : il s’attire les foudres des gens… C’est du moins ce que révèlent les résultats des derniers sondages pilotés par la firme Léger Marketing.
On reproche à l’homme sa mollesse alors qu’il est pourtant le représentant suprême du peuple québécois. Il n’a convaincu personne de sa stature depuis qu’il occupe le fauteuil de premier ministre. On l’a même entendu, lors de la dernière campagne électorale, sciemment déclarer que l’État qu’il dirige verrait son territoire amputé de portions importantes, s’il osait cesser d’attendre les décisions des autres. Jean Charest a démontré qu’il ne barrerait pas la route à ceux qui oseraient essayer de démanteler la maison québécoise. Assurément, cette pitoyable déclaration n’a fait qu’ajouter à la grogne traditionnelle des Québécois. Fins renards, ces derniers l’ont porté à la tête d’un gouvernement minoritaire, véritable gifle puisqu’il faut reculer en 1878 pour retrouver pareille situation politique. L’électorat l’a visiblement condamné à une lente agonie, agonie à laquelle il ajoute maintenant l’injure en lui montrant la porte.
Le chef du PLQ tente de gagner du temps grâce à la Commission Bouchard-Taylor qui a pris son envol lundi dernier. Il sera en effet possible à des Québécois d’exprimer leur susceptibilité face à un destin collectif qui leur échappe peu à peu. Car voilà bel et bien l’enjeu qui transpire au travers du débat touchant les accommodements raisonnables. Donc, au lieu de s’en prendre à son gouvernement comateux, Charest espère que la population jettera son dévolu dans les forums de citoyens que tiendra le groupe de travail. L’ennui pour lui, c’est qu’une majorité de Québécois ont déjà conclu que la commission ne règlera rien. Revoilà cette insatisfaction chronique qui fait surface! Pas de doute qu’on attribuera cet échec à celui qui a institué l’exercice de consultation.
Qui sera le prochain souffre-douleur de la société québécois, puisqu’il est évident que Jean Charest ne sera plus là en 2008? Qui sera le prochain paratonnerre, le prochain coupable de tous les maux qui ralentissent le développement de la nation québécoise? Impossible de répondre à cette question puisque les récentes enquêtes des maisons de sondage affirment que le prochain gouvernement à Québec sera encore minoritaire.
Est-ce l’absence de leader politique digne de ce nom qui explique l’apathie collective des Québécois, même dans le choix de leur « prochaine victime »? L’absence d’un parti politique qui offre autre chose que l’indigence provinciale attise-t-elle la morosité générale observée et ce désir de punir les élus qui invitent à se contenter de miettes? Possible.
Si un changement politique véritable devait survenir d’ici le prochain scrutin, les Québécois devront l’accueillir autrement et chasser leur attitude de bougons. Le contraire convaincra des candidats dynamiques à rester chez-eux pour de bon. Il y aura alors tout lieu de conclure que la nation québécoise est elle-même responsable de son malheur. Sans « vrai » paratonnerre, elle s’exposera ainsi aux périls qui la guettent, dangers que des commissions comme celle qui débute n’élimineront pas, en effet.
Patrice Boileau




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