Y a-t-il trop d'immigrants au Québec? C'est la question que notre collègue Patrick Lagacé a posé au chef adéquiste Mario Dumont lors d'un dîner. Sa réponse, publiée dans nos pages dimanche, a fait irruption dans le débat politique et suscité la controverse.
Les spécialistes et les organismes qui oeuvrent sur le terrain s'étonnent des propos du chef adéquiste, d'autant plus que le nombre d'immigrants a toutes les chances d'augmenter encore dans les prochaines années si on se fie à un document de consultation du ministère de l'Immigration du Québec.
Quoi qu'en pense Mario Dumont, la population immigrante va probablement continuer d'augmenter au Québec: selon les scénarios actuellement soumis à la consultation par le ministère de l'Immigration, le nombre d'immigrants admis en territoire québécois pourrait augmenter de 30%.
En plein mois de juillet, le Ministère a lancé sa traditionnelle consultation triennale sur les niveaux d'immigration. Cinq scénarios sont sur la table: une baisse du nombre d'immigrants, une stabilisation au niveau actuel, soit autour de 45 000 personnes par an, ou alors, une augmentation, qui pourrait être faible, moyenne ou importante.
En vertu des scénarios d'augmentation, le nombre d'immigrants au Québec pourrait passer à 50 000, 55 000, ou alors 60 000 personnes. En 2006, le Québec a reçu 44 686 immigrants. Le dernier scénario ferait donc grimper les admissions en territoire québécois de près du tiers.
Seuls les scénarios d'augmentation de l'immigration permettraient de maintenir à long terme la population québécoise. «Le volume d'admission de 50 000 par année, combiné à un indice de fécondité de 1,55, ferait en sorte que la population du Québec continuerait de croître jusqu'en 2051, pour diminuer lentement par la suite. Avec 60 000 admissions par année, la croissance de la population totale se poursuivrait au-delà de 2051», établit le document de consultation du Ministère.
Le Québec peut-il soutenir une telle augmentation du nombre d'immigrants? La plupart des spécialistes acquiescent sans hésitation. «C'est parfaitement viable. L'Ontario, par exemple, a un taux d'immigration infiniment plus élevé que le nôtre, dit le sociologue Jean Renaud, spécialisé dans les questions d'immigration. Ça me semble étrange de vouloir freiner ça alors qu'on a plus besoin que jamais de l'immigration.»
Mais on a vu en fin de semaine que le chef adéquiste, lui, est plus circonspect. Son porte-parole en matière d'immigration, Sébastien Proulx, a volé à sa défense hier. «Ce que M. Dumont a dit, c'est qu'il faut être capable de faire une bonne intégration. Actuellement, avec les ressources qu'on a, il faut s'assurer qu'on peut le faire. Personne ne veut mettre un frein à l'immigration ou ériger un mur autour du Québec», dit-il.
Donc l'ADQ augmenterait les fonds consacrés à l'intégration des immigrants? Sébastien Proulx refuse de réponse. «On verra. Il faut s'assurer de faire une saine intégration», se borne-t-il à dire.
Néanmoins, les propos de Mario Dumont ont fait réagir tant les spécialistes de l'immigration que les groupes qui s'emploient, sur le terrain, à intégrer les nouveaux venus. Freiner l'immigration, «c'est une position non seulement absurde, mais aussi suicidaire pour la société québécoise», tranche Marie McAndrew, titulaire de la chaire en relations ethniques de l'Université de Montréal.
«On a un besoin absolument essentiel de l'immigration. Les régions ont besoin de l'immigration», dit-elle. D'ailleurs, l'intégration des immigrants au Québec «se passe très bien», croit-elle. «Si on fait exception des 10% les plus religieux, on ne peut pas dire qu'on a une crise de l'intégration au Québec.»
À l'Institut interculturel de Montréal, on est également un peu agacé des propos de Mario Dumont. «Ces propos, en soi, ne m'inquiètent pas. C'est une question légitime. Mais pourquoi la pose-t-on? Est-ce par réel souci de cohésion sociale ou parce qu'on se sent menacé?» se demande Agusti Nicolau-Coll, directeur adjoint de l'organisme.
«Il y a des débats sociaux à faire avant de dire que c'est l'immigration qui pose problème. Le Québec doit faire ces débats pour en arriver à une société plus harmonieuse», estime Samia Bouzourène, de Présence musulmane.
«Ce qui est un peu gênant, c'est que l'immigration est toujours vue comme un problème. La vision qu'on a, c'est que l'immigration, en soi, c'est mauvais. Alors que l'immigration, c'est normal!» ajoute François Crépeau, spécialiste en droit de l'immigration à l'Université de Montréal.
Cependant, sur le terrain, les organismes estiment que Mario Dumont a bien raison de souligner l'insuffisance des fonds alloués à l'intégration des nouveaux arrivants.
«Pour en arriver à faire les choses correctement, ça va prendre un investissement important», déclare Rivka Augenfeld, présidente sortante de la Table de concertation des organismes au service des personnes réfugiées et immigrantes, qui rassemble 130 groupes qui s'occupent de francisation et d'intégration.
Les dépenses reliées à l'immigration au gouvernement du Québec, qui se chiffrent à 130 millions, n'ont pas bougé depuis 2003. Cependant, plaide le porte-parole du ministère, Claude Fradette, des rationalisations dans les dépenses administratives ont fait passer le montant des services directs à la population de 95 à 103 millions. D'ici à 2010, les dépenses des organismes connaîtront également une hausse de 15%, ajoute-t-il.
Cependant, plusieurs groupes se questionnent sur ces budgets, compte tenu de l'ampleur des fonds transférés par le fédéral au Québec pour l'intégration des immigrants, qui tournent autour de 200 millions «et augmentent chaque année», souligne Rivka Augenfeld. «Où va cet argent?» se demande-t-elle. «L'argent va au fonds consolidé. C'est le ministre des Finances qui le distribue», répond Claude Fradette.
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