Il faut regarder de très près ce qui se passe actuellement en France, avec ce vaste mouvement de protestation contre les contrats de première embauche (CPE). Pour le Québec, la France est une sorte de miroir, ou plus précisément une fenêtre ouverte sur notre avenir, qui nous montre ce qui risque de nous arriver si nous ne faisons pas attention.
Il y a en effet des similitudes entre la société française et la société québécoise, qui dépassent la langue et l'héritage culturel commun. Nous avons emprunté à la France une conception de l'État, nous nous sommes également inspirés de ses institutions au moment de la Révolution tranquille, ce qui colore nos débats politiques et sociaux. Tant et si bien que le Québec, plus européen que le reste de l'Amérique du Nord, ressemble beaucoup plus à la France qu'aux pays d'Europe du Nord.
C'est, jusqu'à un certain point, une malédiction, parce que s'il y a un modèle qu'il faut éviter comme la peste, c'est bien le modèle français. La France vit une crise, ponctuée par de grands mouvements populaires, comme les manifestations monstres contre les CPE ou l'explosion des banlieues. Mais au-delà de ces expressions plus visibles, la crise tient au cercle vicieux qu'engendre l'immobilisme de la société française: le pays va mal, les gouvernements essaient de faire quelque chose, les citoyens s'insurgent avec succès contre ces réformes, pour ensuite se révolter à nouveau contre les conséquences de l'absence de réformes. La France est comme dans des sables mouvants, et chaque soubresaut social l'amène à s'enfoncer un peu plus.
Il y a des similitudes entre le Québec et la France. L'économie québécoise se laisse devancer, elle doit trouver un souffle nouveau, et les réformes que cela nécessite se heurtent à une forte résistance au changement et à une culture des acquis profondément enracinée. Ce sont les mêmes mécanismes qui sont en jeu, à la différence, importante, que l'économie du Québec est encore dynamique, que la société est moins bloquée, et donc que nous n'avons pas atteint un point de non-retour comme cela semble être le cas de la France.
La crise des CPE illustre parfaitement l'impasse française. Le projet du gouvernement Villepin cherchait à répondre à un problème grave, celui d'un taux de chômage chronique, proche de 10 %, que la France est incapable de casser, qui atteint 23 % chez les jeunes. La persistance de ce chômage semble s'expliquer largement par la rigidité du marché du travail, les taxes sur la masse salariale, mais surtout les règles qui rendent presque impossibles les mises à pied et qui découragent l'embauche.
Les CPE voulaient répondre à ce problème et encourager les employeurs à engager des jeunes de moins de 26 ans en les exemptant des charges sociales liées à l'emploi et en leur permettant de remercier ces jeunes employés à l'intérieur d'un délai de deux ans, sans avoir à motiver leur décision. Les CPE introduisent une précarité pour une société habituée à la sécurité d'emploi mur-à-mur. Mais ces CPE prévoient aussi des avantages pour les jeunes, un accès plus rapide au chômage, un préavis en cas de licenciement, un droit à la formation. C'est donc un régime qui ressemble beaucoup à celui que connaissent ici la plupart des jeunes travailleurs.
La fureur a été colossale. Elle tient en partie aux maladresses du premier ministre Villepin, qui a essayé de faire passer son projet à la vapeur sans l'expliquer. Cependant, le mouvement s'explique d'abord et avant tout par l'indignation des jeunes contre une clause orphelin qui les plonge dans une réalité du marché dont leurs aînés ont été épargnés.
Mais cet attachement aux acquis, ce désir que le présent soit semblable au passé, c'est l'essence même de la résistance au changement. Une résistance qui a été amplifiée par l'existence d'une coalition arc-en-ciel contre la droite, par la sympathie viscérale de la société française pour les mobilisations et les mouvements de la rue. Les syndicats, craignant le précédent, sont allègrement entrés dans le bal et, pour appuyer les jeunes, préparent une grève générale dont seule la France a le secret.
Ce vaste mouvement va probablement forcer tôt ou tard le gouvernement à reculer. La culture des droits acquis, encore une fois, aura triomphé. Les principes seront saufs. Mais le chômage restera à presque 10 % et on ne voit pas comment celui des jeunes pourra baisser. Et la France s'enfoncera encore un petit peu plus dans les sables mouvants de l'immobilisme.
Je ne sais pas s'il y a une morale pour les Français. Mais il y en a une pour nous. Il faut apprendre à changer avant qu'il ne soit trop tard.
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