Est-on en train de perdre la bataille du français au Québec? La question vient spontanément à l'esprit en voyant la manchette du quotidien La Presse qui, hier matin, nous apprenait que la principale institution financière des Québécois, la Caisse de dépôt et placement, cède à l'unilinguisme sous prétexte de compétence. L'air est connu à Ottawa. D'entendre cette chanson de la part d'institutions québécoises, soumises à l'autorité de la Charte de la langue française, est choquant.
Le premier ministre Jean Charest a eu devant cette nouvelle la réaction que l'on attendait. Oui, une telle situation est INACCEPTABLE! Tous en conviendront avec lui. De même, tous seront d'accord avec le message adressé à la direction de la Caisse de dépôt et placement par l'Assemblée nationale voulant que la connaissance du français soit un critère d'embauche pour tous les postes et à tous les niveaux.
Cette réaction des instances politiques, aussi ferme soit-elle, ne saurait pour autant clore le débat. Cet incident est révélateur d'un problème qui est celui d'un glissement de la valeur accordée à la langue française au sein même des institutions publiques québécoises en dépit des principes de la Charte de la langue française.
La Caisse de dépôt n'est pas n'importe quelle institution. Elle est le symbole même du pouvoir économique des Québécois. Elle est le lieu où s'exerce l'excellence des Québécois en matière financière. Comme dans toutes les institutions financières privées, la connaissance de l'anglais y est indispensable puisque cette langue est la langue internationale du milieu des affaires. Malgré cela, la langue de travail en interne y est toujours demeurée le français. C'est d'ailleurs l'engagement qu'avait pris l'anglophone Michael Sabia en étant nommé à sa direction.... jusqu'à ce qu'il autorise l'embauche de deux vice-présidents anglophones au sein de la filiale immobilière Ivanhoé Cambrige, dont l'unilinguisme contraint un certain nombre d'employés à devoir communiquer et travailler en anglais.
Le message qu'envoie cette décision est désolant. Que comprendra le reste du Canada qui entend les Québécois pousser les hauts cris parce que le gouvernement conservateur ignore l'exigence du bilinguisme pour le poste de vérificateur général et les voit par ailleurs accepter ce qu'ils dénoncent au sein même de leurs institutions? Idem pour le bilinguisme des juges à la Cour suprême. Belles contradictions que voilà.
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Le message envoyé aux Québécois est encore plus pernicieux. De façon à peine subliminale, le comportement de la Caisse induit une abdication devant l'omnipuissance de l'anglais. Cela justifie des comportements de plus en plus répandus où la langue anglaise est valorisée aux dépens du français. On le voit dans le domaine musical, où la prédominance de l'anglais entraîne de plus en plus de nos auteurs-compositeurs à créer des oeuvres en anglais que l'on retrouve jouées non seulement à la radio, mais aussi dans les téléséries de la télévision québécoise. On le voit aussi dans les commerces, où la mode est aux noms et aux marques de commerce en anglais. Ici, le problème ne vient pas tant des grandes chaînes internationales dont plusieurs se plient aux exigences de la loi d'ajouter un complément en français à leurs noms, que de tous ces nouveaux commerces, petits et moyens, qui se donnent des noms anglais.
Un exemple de l'attitude de bien des Québécois francophones, que nous reprenons de la collègue Sophie Durocher du Journal de Montréal. Un exemple tout ce qu'il y a d'anodin, mais qui dit beaucoup de nous-mêmes. La Société des arts technologiques qui fait des choses extraordinaires dans son domaine de création a lancé un nouveau volet d'activités culinaires baptisé le «Foodlab». Pourquoi cette petite dérive que tant de gens font au quotidien sans s'en rendre compte?
L'Office de la langue française vient de lancer une campagne de sensibilisation des commerces au respect des obligations de la loi 101. Bonne initiative, mais combien tardive. Il y a là une illustration de l'attitude du gouvernement Charest, toujours en retard d'une réaction dans le dossier de la langue. Il laisse glisser les choses. Mais comment le lui reprocher quand nous, francophones québécois, non seulement le tolérons, mais participons à ce glissement par nos propres comportements.
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