Quand arrive un nouveau chef politique sur la scène, et c’est le cas avec Pauline Marois, il faut se demander comment se partagent le vrai et le faux. Les places assignées au vrai et au faux ne sont pas stables dans une société. Il y a peu de temps encore, si vous disiez qu’une confédération est une association d’Etats souverains, vous risquiez de soulever une grimace d’incrédulité de la part des fédéralistes. Aujourd’hui le fait est admis par Benoît Pelletier.
Il y a un franchissement de certaines zones, une vérité qui se redéfinit quelque peu, sur quelques petits bords diffus. Dans son texte intitulé, [L’autonomisme une coquille vide->7074], Benoît Pelletier affirme qu’en Europe les Etats souverains conservent les attributs de leur souveraineté. Il n’y a pas si longtemps encore, les idéologues fédéralistes auraient tourné avec une perplexité féroce autour de cette affirmation.
Sur quelques points, Benoît Pelletier se détache quelque peu de l’horizon général d’analyse qui constitue la rationalité officielle de l’Etat canadien. Partant du principe que la souveraineté était dépassée, les fédéralistes avaient tracé un schéma sommaire et continu de l’évolution de l’Histoire. Ces derniers voyaient une évolution par phases, des petites nations au fédéralisme, nouveau flambeau obligé de la communion des peuples. Toujours selon eux, après avoir assisté à la remise en question du nationalisme, ses derniers sursauts avec notamment le nazisme, en apothéose finale, le monde entier serait réuni dans quelques grandes fédérations dont le Canada.
Il y avait bien des exemples qui nuisaient à leurs démonstrations, les Etats devenus indépendants et réunis ensuite dans le Conseil nordique notamment. La surcharge de l’intérêt politique gommait tout. La question politique repassait par les mêmes circuits sans réflexion jusqu’au slogan “les petites nations ça sépare”. Les petites nations avaient leurs inconvénients, nous apprenait-on sans rire, leur fermeture, leur dogmatisme, leur académisme.
L’Europe se préparait à être un nouveau Canada selon la version de beaucoup de fédéralistes et la provincialisation était le point Omega de l’humanité. Les ethnies avaient été l’infrastructure des Etats nationalistes et désormais les individus en seraient la matière. L’Etat se soucierait directement de tout ce qui concerne l’individu, son pouvoir d’achats, ses libres choix linguistiques, et il lui garantirait un monde le plus ouvert possible, indépendamment des origines de chacun.
Qu’arrive-t-il pour que Benoît Pelletier constate coup sur coup que les confédérations sont des Etats souverains associés, que des Etats souverains peuvent s’inscrire dans des modèles multilatéraux de coopération sans perdre les attributs de leur souveraineté et que l’autonomisme est une coquille vide? Selon le catéchisme fédéraliste, le fédéralisme constituait la seule voie d’accès vers la coordination efficace des efforts humains.
Le but de Benoît Pelletier en écrivant cet article n’était certainement pas de remettre en cause des dogmes. Il l’a fait par inadvertance en voulant démontrer qu’il n’y a pas d’entre-deux entre la vocation de province et celle d’Etat souverain. En effet, le Canada est un environnement éminemment prescriptif et les transformations prévues sont celles qui sont déjà possibles et autorisées pour une province.
Benoît Pelletier déclare s’en satisfaire et vante l’ouverture du système, attribuant même le mérite de la reconnaissance de la nation québécoise au gouvernement Charest. Comme on sait, cette prétendue reconnaissance découle du fait que le gouvernement Harper a subverti une motion du Bloc Québécois en la reformulant. Le gouvernement Charest était resté bien à l’écart tout au long des délibérations à Ottawa.
Nous pouvons tout de même inférer que le système de déduction et d’analyse selon lequel, après les horreurs du nationalisme, le Canada représentait la mise à revers de l’antique nationalisme, est en train de se relâcher. Le laminage idéologique est un peu moins intense, à cet égard tout au moins, mais il ne faut pas oublier que le texte de Benoît Pelletier, même s’il s’émancipe un peu des anciens tabous fédéralistes, reste une invitation au tassement dans l’ordre provincial.
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Pauline Marois arrive à la tête du Parti Québécois alors que, plus que jamais, le Parti Libéral veut se contenter de ce qui est possible à une province. Les libéraux prétextent que les bons bilans se font avec ce qui est accessible. D’autre part, nous avons les revendications de bureau, tout juste bonnes comme dossier à tamponner de l’Action Démocratique. Le "possible provincial" avec le Parti Libéral ou "ne rencontrer que les limites d’une impossibilité" avec l’Action Démocratique, vraiment le ministre Benoît Pelletier brille par sa clairvoyance involontaire.
Dans le domaine de la réforme constitutionnelle, n’importe quel projet se base sur un effort de dissociation entre les mots et les choses possibles. Ces projets servent surtout à oublier que le Québec vit dans un endroit pas pensé pour lui, pas voulu pour lui, et pour nous maintenir dans une phraséologie à la six-quatre-deux: “tout de même il ne faut pas exagérer car le Québec habite au Canada" et il est plus facile de s’habituer à ses ordres qu’à bien d’autres.
On s’habitue d’autant plus qu’on ne cesse de se dire libre alors qu’une barrière, collante et flottante, pèse. On parle beaucoup du droit aux opinions, à sa variété, même s’il n’y a pas nécessairement de mérite à la divergence d’opinions, si celle-ci ramène à l’indécision devant des choses vagues et nulles, des débats parmi d’autres.
On peut certes souhaiter, comme Pauline Marois le fait, un climat d’écoute auprès de la population. Toutefois si l’unique résultat est de nous rendre perméables aux questions posées concernant la vie quotidienne et qu’après, on les rapporte aux circuits existants, on n’aura qu’à remonter la filière. Nous serons là à discuter dans une conférence fédérale-provinciale car tout nouveau problème au Canada aboutit à une question de juridiction.
Que Benoît Pelletier en vienne à admettre certains truismes après que son camp politique les ait niés aussi longtemps ne signifie absolument pas des déplacements de champs dans les analyses, de nouvelles assurances théoriques. Pour les fédéralistes, il n’y a pas d’envers à la fédération telle que nous le connaissons.
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À l’approche de notre fête nationale, il y a un jugement définitivement négatif à apporter sur leur incapacité colossale à prendre acte de notre réalité nationale. Le drapeau québécois flottera dans un ciel hésitant car les Québécois ont pour principal adversaire leurs tentatives d’esquive.
Il faut réagir contre cette forme de rationalité juridique qui nous découpe et fait passer notre représentation nationale par l’instance de partis politiques le plus souvent fédéralistes. Il faut réagir contre ce qui nous donne un statut d’inexistence.
André Savard
Le Festival de la Coquille Vide
Il faut réagir contre ce qui nous donne un statut d’inexistence
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2 commentaires
Archives de Vigile Répondre
21 juin 2007Suite au commentaire de monsieur Bousquet, notez qu'il est écrit "ce qui nous donne un statut d'inexistence". Il n'est pas écrit "le Québec n'existe pas". Le Québec est un sujet de non droit au Canada si on le considère en tant que nation à moins que monsieur Bousquet considère le droit d'user du code napoléon comme un droit national.
Pour ce qui est de la souveraineté comme telle, monsieur Bousquet objecte qu'elle n'entraîne pas le paradis et il cite en exemple Israël. L'argument est assez primaire. Il y a en effet des pays qui sont dans une situation géopolitique pire que la nôtre.
D'autres problèmes sont évoqués dans ce commentaire qui n'ont aucun rapport avec cette chronique ni avec les points de vue exprimés par moi dans le passé notamment en ce qui touche la fort hypothétique monnaie québécoise.
A. Savard
Archives de Vigile Répondre
18 juin 2007M. André Savard conclue : «Il faut réagir contre ce qui nous donne un statut d’inexistence.»
On peut répondre à ça ; Le Québec existe depuis longtemps et, si on se fie à l'importance de vos propos, vous aussi, M. Savard.
Est-ce que vous considérez que nous ne serons pas assez souverains si nous adoptons la monnaie canadienne pour le Québec, après un référendum gagnant ?
Vous éliminez assez rapidement, me semble, les solutions entre la situation actuelle du Québec et la souveraineté pure en vous fiant aux propos de M. Pelletier qui ne doit pas être un de vos modèles à penser.
Est-ce que vous préférez le modèle israélien qui est un pays totalement souverain ce qui n'empêche pas les juifs de se sentir plus en sécurité ailleurs comme aux État-Unis et au Canada où ils en mènent plus large qu'en Israël où ils doivent construire des immenses murs de protection.
La souveraineté si nécessaire mais pas nécessairement la souveraineté. Les Québécois ne changeront pas leur statut constitutionnel sauf s'ils y voient une nette amélioration. C'est au PQ ou à l'ADQ de les en convaincre. Le PLQ n'a pas ce besoin vu qu'il ne voit pas de problèmes constitutionnels pour le Québec dans la fédération canadienne actuelle.