Le douteux marketing identitaire de la CAQ

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De bonne guerre !

François Legault ouvre un nouveau front. Dans une récente entrevue, il montre les dents contre le regroupement familial des immigrants, réclamant le droit de refuser l'entrée des « mononcles et des matantes », dont plusieurs ne parlent pas français. D'abord, le Québec a parfaitement le droit de limiter l'entrée des oncles et des tantes, ce que M. Legault ignore ou feint d'ignorer. Quant à la promesse de la CAQ de renvoyer chez eux les immigrants qui échoueraient au bout de trois ans à son « test de valeurs » et de français, le premier juge canadien venu invalidera cette décision dans l'heure. Et puisque la CAQ promet de garder le Québec dans le Canada pour toujours...

Bref, ces propositions n'ont de valeur que dans le monde de la mise en marché politique. François Legault fait mine de mener des combats, mais choisit souvent ceux qu'il ne peut pas gagner.

Legault-l'identitaire devient Legault-l'immobiliste lorsque vient le temps d'agir sur ce qu'il peut vraiment contrôler. Un des gestes les plus structurants pour le français serait d'étendre la loi 101 aux entreprises de 25 à 50 employés là où, notamment dans la région de Montréal, des dizaines de milliers d'allophones s'anglicisent. Le gouvernement Marois avait proposé de le faire, mais François Legault s'y est opposé bec et ongles. Le Parti Québécois étant minoritaire, la mesure n'a pu être adoptée et la défense du français au travail a perdu un temps précieux. À ce jour, M. Legault maintient son refus. La CAQ se gargarise maintenant de sa détermination identitaire, affirmant un jour que « le soutien à la langue française ne doit exclure a priori aucune avenue législative ou juridique ». Elle fait pourtant blocus contre tout outil qui retirerait l'exception donnant aux membres des Forces armées le droit d'envoyer leurs enfants à l'école anglaise, contrairement à tous les autres Québécois.

Comment expliquer ces zigzags? Simple : les moyennes entreprises et les soldats de la région de Québec font partie de l'électorat ciblé par la CAQ. Alors, pas touche! Les Québécois d'adoption, non. Alors, toutes voiles dehors!

Laïcité : la CAQ cherche la bagarre, le Parti Québécois cherche le succès

Le Parti Québécois a su tirer des leçons des débats sur la charte. Le succès de pas supplémentaires vers la laïcité et l'identité repose sur une approche ferme, mais équilibrée qui s'appuie sur un rassemblement plus grand. D'abord, les Québécois d'adoption doivent savoir que l'approche proposée vise l'inclusion, non l'exclusion. Il est donc indispensable d'agir réellement pour l'intégration en emploi de ces Québécois, y compris dans la fonction publique, et de faire reculer la discrimination et le racisme. Il s'agit fondamentalement de faire progresser sur ce plan la justice sociale, qui est au cœur des valeurs du Parti Québécois. Il s'agit du même coup de bien établir la volonté du vivre-ensemble, un compagnon nécessaire de l'acceptation de nouvelles règles de ce vivre-ensemble. La CAQ et François Legault ne démontrent aucun intérêt pour ces questions, s'employant d'ailleurs à dénoncer, sur les réseaux sociaux, une proposition du Parti Québécois visant à sanctionner les employeurs racistes.

Sur l'épineuse question des signes religieux, le Parti Québécois propose d'élargir leur balisage à tous les signes de conviction, politiques et sociaux, donc non seulement religieux - ce qui les met tous à égalité et évite la stigmatisation. L'interdiction proposée par la charte aux seuls signes ostentatoires avait été perçue comme discriminatoire envers certaines religions aux signes plus visibles que d'autres. La proposition actuelle du Parti Québécois évite cet écueil en embrassant tous les signes de conviction. La CAQ n'aborde jamais ces questions et avance sans nuances.



Dans l'application de sa politique, le Parti Québécois propose de former tous les employés de l'État à la notion du devoir de réserve religieux et des autres convictions, afin de créer une culture de l'adhésion à la neutralité de l'État par ses agents.

Dans l'application de sa politique, le Parti Québécois propose de former tous les employés de l'État à la notion du devoir de réserve religieux et des autres convictions, afin de créer une culture de l'adhésion à la neutralité de l'État par ses agents. Les signes seraient interdits pour tous les juges, policiers et gardiens de prison (immédiatement) ainsi qu'aux enseignants et aux éducateurs en garderie embauchés après l'adoption de la loi qui instaurera cette règle. La CAQ, elle, renonce à toute action visant l'ensemble des employés de l'État, mais, surtout, propose d'appliquer sans clause de droits acquis son interdiction aux éducateurs et aux enseignants. Cela signifie qu'elle imposerait un régime de sanctions et de mise à pied des récalcitrants. Cette approche brutale fera la joie des opposants à la laïcité, y compris des islamistes radicaux, à qui un gouvernement de la CAQ offrirait sur un plateau un certain nombre de victimes de sanctions et de renvoi, promues en autant de martyres.

Pour résumer, on pourrait conclure que le Parti Québécois de 2017 souhaite le succès réel de sa politique de laïcité pour le bien commun et veut en étendre l'acceptabilité sociale le plus largement possible, alors que la CAQ cherche la bagarre, mais seulement là où c'est, pour elle, électoralement rentable.

Une CAQ interculturelle

Plus fondamentalement, la CAQ refuse de rompre avec l'interculturalisme. Au contraire, François Legault propose de voter une loi sur l'interculturalisme. Or, ce concept est tellement lié au multiculturalisme qu'il est difficile de l'en différencier. Charles Taylor a déclaré un jour que l'interculturalisme était « le multiculturalisme avec une nuance : le français ».

Le Parti Québécois propose au contraire une rupture nette avec ces concepts. Dans une constitution interne, le Québec se doterait dès 2020 du concept de « concordance culturelle ».

Contrairement au multiculturalisme et plus fermement que l'interculturalisme, la concordance culturelle propose que les Québécoises et les Québécois d'hier, d'aujourd'hui et de demain, soient invités à cheminer vers un tronc commun que chacun doit connaître et s'approprier. Le Québec forme une nation; a une langue officielle et commune, le français; s'est incarné dans une production culturelle principalement francophone; a produit un récit historique singulier; se définit par son attachement à certains principes universels, dont l'égalité entre femmes et hommes, la protection des enfants, la solidarité et la concertation, un cheminement vers un État laïque, le progrès social et économique, son engagement démocratique.

La concordance récuse donc la notion, interculturelle, voulant que le Québec soit une mosaïque de pôles culturels équivalents, qui vivent en permanence côte à côte en échangeant idées et cultures. La concordance culturelle tient compte de la richesse de la diversité, oui, mais dans le respect (la « concorde ») d'un tronc commun bâti ici au cours de l'histoire. Enfin, la concordance culturelle reconnaît, bien évidemment, la présence au Québec de groupes historiquement constitués aux parcours singuliers, c'est-à-dire la minorité anglophone et les peuples autochtones.

Les Québécois, anciens et nouveaux, sont ainsi appelés à partager les éléments communs de ce que René Lévesque appelait notre « différence vitale ».

On voit bien que la comparaison des approches de la CAQ et du Parti Québécois sur les questions de langue, d'identité et de laïcité permet de départager une politique caquiste électoraliste à courte vue d'une offre péquiste à la fois structurante et pragmatique, conçue pour assurer au Québec de réels progrès identitaires.

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Jean-François Lisée297 articles

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Ministre des relations internationales, de la francophonie et du commerce extérieur.

Il fut pendant 5 ans conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard et un des architectes de la stratégie référendaire qui mena le Québec à moins de 1% de la souveraineté en 1995. Il a écrit plusieurs livres sur la politique québécoise, dont Le Tricheur, sur Robert Bourassa et Dans l’œil de l’aigle, sur la politique américaine face au mouvement indépendantiste, qui lui valut la plus haute distinction littéraire canadienne. En 2000, il publiait Sortie de secours – comment échapper au déclin du Québec qui provoqua un important débat sur la situation et l’avenir politique du Québec. Pendant près de 20 ans il fut journaliste, correspondant à Paris et à Washington pour des médias québécois et français.





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