Je ne peux m'empêcher de trouver pathétique la position d' André Pratte dans la controverse du [‘Quebecistan'->1510]. « Plus catholique que le pape » : c'est sur ce modèle que s'impose à moi l'idée, sous forme de boutade, que le Canada de Pratte est « plus canadien que le Canada ».
Le pauvre a en effet vu son rêve obscurci par Barbara Kay. C'est ainsi que la défense du Québec dans sa réplique à Kay ([« The myth of ‘Quebecistan' »->1567],The National Post, 16 août) est manifestement subordonnée à la défense d'une certaine idée du Canada, idée à laquelle notre bon Pratte semble résolument et absolument attaché :
« Those who paint a prejudiced view of Quebec are in fact fanning its flames. They try to hurt separatism by associating it with the devil; in reality, they are buttressing the sovereignists' against Canada. »
« Being partners in the great Canadian experience, we should not caricature or squash those differences, but try to understand and build from them. ».
Comment ne pas être touché par sa grandeur d'âme? Comment résister au ton moralisateur de Pratte désirant remettre ses brebis égarées sur le droit chemin? Saura-t-il toucher les fibres canadiennes de ses interlocuteurs? La question est lancée.
Car bien qu'il se présente comme un fédéraliste pragmatique, allant même jusqu'à se prétendre nationaliste québécois, il est relativement facile de saisir, pour qui a l'habitude et la patience de le lire, que sa pensée ne cesse d'illustrer son rêve, celui de la « grande expérience canadienne ». Il n'est pas le seul, ni d'ailleurs le premier, ni le dernier. J'ai tendance à aimer les rêveurs, remarquez, mais seulement ceux qui ne prennent pas leurs rêves pour la réalité.
C'est pour cette raison qu'il est impensable que l'opinion de Kay ne soit autre chose qu'une anomalie dans le paysage mythique canadien que Pratte porte, semble-t-il de toute bonne foi, dans son cœur. Et c'est ainsi qu'on apprend, dans son autre texte sur cette controverse ([« Kay contre Biz »->1592], La Presse, 17 août), que :
« (...) les élucubrations de Barbara Kay ne sont ni représentatives ni dignes de se qui s'écrit sur le sujet dans la presse anglophone. Le Canada anglais ne se résume pas aux Barbara Kay, Don Cherry et Diane Francis, pas plus que le Québec francophone ne se réduit aux doc Mailloux, Gilles Rhéaume et Pierre Falardeau. ».
Malgré toutes les contorsions qu'il fait pour sauver son rêve, Pratte finit par trébucher. Il a d'ailleurs l'air passablement idiot dans sa tentative de renvoyer dos à dos la chroniqueuse du National Post (par ailleurs soutenue par son éditeur) et Pierre Falardeau; Don Cherry, ancien animateur à la CBC (aussi élu parmi les 10 plus grandes personnalités canadiennes) et Gilles Rhéaume; Diane Francis, rédactrice au Financial Post puis chroniqueuse au National Post et le doc Mailloux. C'est cousu de fil blanc.
Et que dire de Don MacPherson de la Gazette qui a parti le bal en affirmant qu'il est [« en train de devenir à nouveau respectable, au Québec, de supporter les terroristes »->1535] (ma traduction) et auquel Kay fait référence dans son texte? Que dire de [Brigitte Pellerin->1519], chroniqueuse au Ottawa Citizen, qui fait également le lien entre l'antisémitisme et l'appui du Québec au Liban? Que dire de Beryl Wajsman, président du Institute for Public Affairs of Montreal, qui délire sur une [« mer de drapeaux du Hezbollah »->1596] dans ce texte qu'on peut lire sur Vigile? Et que dire aussi de [Lysiane Gagnon->1516]? Que dire en effet de tous ces grands défenseurs du Canada? (J'en oublie ? C'est une liste que nous pourrions continuer sans trop de mal, je le crains.)
Y a t-il une place pour eux dans le beau Canada mythique de notre ami?
Tous, sur cette question (et sur bien d'autres), font bien comprendre que la différence québécoise ne passe pas, qu'elle ne doit pas passer. Car il ne s'agit pas ici de critiques ordinaires. Il serait absurde de se prétendre à l'abri ou au-delà de toute critique. La critique fait ici place au mépris et au refus. A l'idée d'un Québec antisémite, infantile, inconscient, incapable, dangereux. Un Québec qu'on doit encadrer, surveiller.
Quoi qu'en pense Pratte, cette attitude n'est pas nouvelle ni tellement marginale. La moindre crise suffit à faire tomber les masques. Ceci les souverainistes le savent déjà, ou devraient le savoir. Faut-il pour autant l'ignorer? Quel sens lui donner? Quelles conclusions peut-on tirer de cette attitude?
Je pourrais bien partager le rêve de Pratte... si j'étais naïf. Mais ce rêve a son envers et c'est le Canada réel. Et ses burlesques tentatives de défendre son Canada ne sont que risibles. « Ce n'est pas ce que vous croyez », semble-t-il nous dire, tout à son devoir de défendre son beau pays. Mais son beau pays n'en a cure de ses attendrissements : « Non, non, pas d'erreur, c'est bien ce que j'ai dit. Vous avez bien entendu. Je peux même vous le répéter. ». Ne peut-on pas y voir une petite leçon pour tous ceux pour qui le rêve de Pratte se substitue au réel, au détriment du Québec?
Quant à moi, je crois que, réel ou rêvé, le Canada à long terme condamne le Québec. Car à force de défendre une certaine idée du Canada, que celui-ci soit mythique ou non, on finit souvent par y subordonner le Québec. On peut même finir, sans trop s'en rendre compte, au mieux, à l'ignorer, au pire à le détester.
Sylvain Maréchal
Montréal
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