Dans [une entrevue accordée à Voir en mars 2007->5679], Gérard Bouchard avait déclaré que son récent essai, La culture québécoise est-elle en crise?, pouvait être considéré comme le premier tome du rapport de la commission qu'il allait présider avec le philosophe Charles Taylor.
«Les francophones d'ascendance constituent une majorité qui réagit comme une minorité, qui démontre les mêmes sentiments d'inquiétude, de menace, de fragilité, le même réflexe de repli, de durcissement [...] On se rend compte aujourd'hui que la vieille culture canadienne-française est une identité toujours très vivace qui ne s'est pas très bien mariée avec la culture de l'immigrant ou des communautés culturelles», expliquait-il.
Sans surprise, son collègue Taylor et lui ont fait le même constat au cours de la dernière année. Le thème de l'inquiétude revient abondamment dans leur rapport, même s'ils la jugent souvent exagérée.
C'est toutefois la conclusion que M. Bouchard tirait de cette difficulté d'accouplement avec les autres cultures qui avait attiré l'attention. «C'est une des raisons pour lesquelles je pense que le Québec devrait absolument faire l'indépendance», avait déclaré le nouveau commissaire.
Selon lui, la souveraineté constituerait un «acte fondateur», comme la Révolution tranquille l'avait été jadis, qui donnerait aux Québécois la confiance nécessaire pour composer avec les exigences du pluralisme contemporain. «Même ceux qui étaient férocement opposés à la souveraineté seront les premiers à s'abreuver à cette fontaine.»
Il n'en fallait pas davantage pour que mon collègue [Don MacPherson, de The Gazette, réclame sa démission,->6747] y voyant un parti pris qui disqualifiait M. Bouchard dès le départ. Ce dernier s'était défendu assez maladroitement. La souveraineté était simplement l'exemple d'un «acte possible», avait-il nuancé. Un «acte possible» qu'il fallait poser «absolument»?
Il était dans l'ordre des choses que le quotidien anglo-montréalais boucle la boucle en bénéficiant d'une fuite qui a donné un premier aperçu du rapport. De toute évidence, la souveraineté ne fera pas partie de ses recommandations, mais le débat prend déjà une allure résolument partisane.
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Après les cris d'indignation du début de semaine, le ton avait sensiblement baissé à l'Assemblée nationale hier, mais les commissaires sont les premiers à reconnaître que l'attitude modérée qu'ils ont privilégiée au départ ne fera pas consensus. Et pour cause.
«Notre société est suffisamment divisée à l'heure présente; nous devons nous employer à réduire les fractures et les tensions plutôt qu'à les accentuer. Le temps est aux compromis, à la négociation d'équilibres», peut-on lire dans une version préliminaire. Certes, chaque groupe ethnique a une part de responsabilité, «mais, pour des raisons évidentes, celle du groupe majoritaire est éminente».
En matière d'accommodements, la commission a choisi de «valoriser autant que possible l'action citoyenne et la responsabilité des acteurs individuels et collectifs» plutôt que le recours à des formules parachutées prenant la forme d'ajouts législatifs ou institutionnels.
Certains passages ont pu être revus par la suite, mais il serait très étonnant que des orientations aussi fondamentales aient été abandonnées. Le sociologue Jacques Beauchemin, qui a lu la version finale, a d'ailleurs confirmé que les extraits qui ont fait l'objet de fuites n'en trahissaient pas l'esprit.
Sans présumer des recommandations du rapport, on n'a certainement pas l'impression d'être à la veille d'un de ces «actes fondateurs» dont M. Bouchard soulignait la nécessité l'an dernier. De toute manière, quand le premier ministre Charest évoque un «plan d'action», comme il l'a fait hier, il y a tout lieu d'être perplexe. Il a dit être très inspiré par le rapport Castonguay sur le financement des soins de santé. C'est dire.
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Bien entendu, Mario Dumont n'a pas cru un seul instant qu'il retiendrait sa suggestion de doter le Québec d'une constitution. Au moment où l'ADQ est au plancher, Il serait bien mal avisé de lui lancer cette bouée de sauvetage.
S'il a fait certains progrès depuis dix ans, M. Charest demeure encore mal à l'aise quand il lui faut s'aventurer sur le terrain de l'identité. Il commence aussi à bien connaître son parti d'adoption: même si l'idée d'une constitution québécoise avait jadis été avancée par Paul Gérin-Lajoie, il suffit d'assister à un conseil général du PLQ pour constater à quel point toute initiative susceptible d'alimenter le sentiment nationaliste indispose les militants libéraux. Pour certains, la reconnaissance de la nation québécoise constitue déjà un glissement inquiétant.
Pour le moment, le gouvernement a d'ailleurs tout intérêt à laisser le PQ et l'ADQ tenter d'accorder leurs violons, sachant très bien qu'aucune entente durable n'est possible entre eux. La surenchère à laquelle les deux partis d'opposition se livrent depuis un an a très bien servi les intérêts libéraux. En réaction au rapport Bouchard-Taylor, on peut déjà prévoir que Pauline Marois reviendra à la charge avec son projet de loi sur l'identité québécoise, qui a déjà été rejeté par l'ADQ.
Depuis le début, M. Charest a géré la crise des accommodements raisonnables de la même façon que Robert Bourassa avait géré l'échec de l'accord du Lac-Meech, c'est-à-dire en tablant sur la lassitude de la population. Comme celles de la commission Bélanger-Campeau, les audiences de la commission Bouchard-Taylor ont surtout servi d'exutoire.
La recherche de compromis correspond aux dispositions de la majorité des citoyens, estiment MM. Bouchard et Taylor. C'est bien possible, mais le gouvernement Charest a démontré dans le dossier linguistique qu'il a parfois du mal à distinguer le compromis de la compromission.
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mdavid@ledevoir.com
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