La manifestation orchestrée par la Coalition pour la liberté en éducation (CLE) le 18 octobre suscite une perplexité certaine. Comment expliquer une telle opposition au nouveau programme? Est-il possible que celle-ci tire son origine d'une certaine compréhension du phénomène religieux?
Celui-ci, comme toute dimension humaine, est marqué par une ambiguïté produisant des effets opposés. Il peut tout aussi bien libérer qu'asservir. Autrement dit, le religieux peut se nourrir de valeurs d'exclusion ou d'inclusion. Le philosophe Henri Bergson parlait de la dimension plus conservatrice du phénomène religieux qui prône la sécurité face à l'angoisse existentielle.
Les gens adhérant à cette dynamique religieuse cherchent à conformer le réel à leur conception de l'Absolu ou de la religion. En général, ces personnes adoptent des valeurs éthiques axées sur des repères limpides et considérés comme immuables. Un certain pessimisme anthropologique caractérise cette approche du phénomène religieux au point de renforcer une forme de conservatisme social.
Une orientation première
L'autre dimension du religieux met l'accent sur des normes d'ouverture à l'altérité. Elle reconnaît la complexité du réel, établit une relation inclusive plutôt qu'antagonique avec la différence. Cette relation donne naissance à la conscience sociale et suscite l'engagement avec d'autres pour transformer le monde. Il importe, ici, de faire observer qu'il s'agit d'une typologie et qu'aucune personne ne correspond entièrement à l'une ou à l'autre dimension. Cependant, il existe fréquemment une composante majeure qui détermine, en grande partie, l'orientation première.
À cet égard, le nouveau Programme d'éthique et de culture religieuse constitue un excellent test de Rorschach. Les réactions manifestées à ce programme s'avèrent fort révélatrices des tendances fondamentales. Par exemple, l'opposition farouche de parents trahit une attitude religieuse bien spécifique. Elle s'appuie sur un modèle culturel «d'exclusion» décrit plus haut. Ce modèle dessine une frontière hermétique entre le monde «extérieur» considéré comme hostile et l'univers «intérieur» de la communauté perçu comme un havre de paix et d'harmonie.
Or, le nouveau programme ECR s'inscrit dans la compréhension du phénomène religieux comme espace inclusif. Pour le programme, la différence ne constitue pas une menace à l'identité personnelle, mais en représente un aspect incontournable puisqu'elle incite à entrer en relation avec l'altérité. La frontière devient poreuse et inclusive entre le monde «extérieur» et le monde «intérieur» de la communauté. Au lieu d'observer un antagonisme du binôme monde-communauté, le paradigme privilégié par le programme, conçoit plutôt la communauté comme une partie intégrante du monde en relation étroite avec d'autres communautés humaines incarnées au coeur d'une biosphère dynamique en changement perpétuel.
Fin des certitudes
Un tel paradigme implique la fin des certitudes absolues. Cela explique l'accusation fausse de relativisme du programme. Ses visées cherchent davantage à permettre à l'enfant de comprendre le phénomène religieux et de lui donner les outils pour écouter les représentations différentes tout en le situant dans la tradition culturelle et historique de la société. En d'autres termes, le programme permettra de saisir que l'autre ne pense pas nécessairement comme soi et que sa différence est légitime.
Pour les parents qui entrevoient le phénomène religieux comme un espace délimité par une frontière stricte, le paradigme du nouveau programme suscite tout un choc culturel. Dès lors, peut-on se surprendre qu'ils souhaitent préserver à tout prix leurs enfants de ce programme? [...]
Est-il possible que l'opposition face au nouveau programme ECR résulte de la collision entre divers paradigmes, l'un moderne et l'autre plus «écohumaniste» qui intègre le pluralisme dans un système ouvert? Si cela s'avère, il importe dès lors d'accompagner, avec sollicitude et par le dialogue, tant les personnes opposées à ce programme que leurs enfants dans ce douloureux passage. Cependant, rappelons que dans tout vrai dialogue, les personnes acceptent la possibilité de se laisser transformer complètement par l'échange afin de créer, espérons-le, une société plus inclusive, égalitaire, solidaire et unie dans la diversité.
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Patrice Perreault, Bibliste
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