Le premier ministre canadien Justin Trudeau a promis que son gouvernement libéral allait accroître considérablement sa collaboration avec la France dans les interventions militaires en Afrique, lors d’une visite du premier ministre français Manuel Valls au Canada plus tôt ce mois-ci.
Alors que Valls tenait des discussions avec Trudeau et de hauts dirigeants du gouvernement sur un éventail de questions, notamment le CETA, l’accord commercial Canada-Union européenne, le but principal du voyage de Valls était de finaliser les plans pour la participation du Canada aux opérations contre-insurrectionnelles menées par la France dans ses anciennes colonies d’Afrique occidentale et centrale.
Les deux dirigeants ont convenu de renouveler le Programme de coopération renforcée Canada-France, qui, sous un manteau «humanitaire», verra les troupes canadiennes se joindre aux missions néocoloniales de l’armée française sur le continent appauvri. Bien que ce fût la première visite de Valls au Canada depuis qu’il est devenu premier ministre, les pourparlers sur la coopération franco-canadienne en Afrique sont très avancés.
Dans le cadre de son «réengagement» dans les missions de maintien de la paix des Nations Unies, le Canada a annoncé en septembre qu’il va déployer 600 soldats et 150 policiers dans un ou plusieurs pays africains et dépenser 450 millions $ en «projets de soutien de la paix». Au cours de sa tournée effectuée en août dernier en Afrique en préparation aux déploiements militaires canadiens, le ministre de la Défense Harjit Sajjan a déclaré que l’intervention des Forces armées canadiennes sur le continent serait «de longue durée».
Bien que Trudeau n’ait pas encore précisé dans quels pays les troupes canadiennes seront déployées, le Mali et la République centrafricaine sont considérés comme les objectifs les plus probables. Valls a cependant précisé que l’appui du Canada serait également le bienvenu dans d’autres pays, notamment au Niger et au Burkina Faso.
De hauts fonctionnaires canadiens de la Défense ont récemment confirmé que la planification pour le déploiement d’avions de transport militaires canadiens était bien avancée pour déplacer des troupes et du matériel militaire français dans cinq pays: la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad.
Les Forces armées canadiennes (FAC) sont de plus en plus impliquées en Afrique occidentale depuis que la France a envoyé des troupes au Mali en 2013. Avec le soutien du NDP qui était alors l’opposition officielle, le gouvernement conservateur de Harper a déployé des avions de transport militaires pour transporter de l’armement et de l’approvisionnement pour les troupes françaises. L’an dernier, un avion de transport militaire lourd canadien Globemaster a transporté près de 40 tonnes de matériel entre la France et l’Afrique pour soutenir les efforts de Paris pour apaiser ses anciennes possessions coloniales.
Tout récemment il a été révélé que les FAC menaient également des opérations au Niger depuis les trois dernières années, assurant la formation militaire des forces spéciales de ce pays. La France exploite depuis longtemps les riches réserves d’uranium du Niger. Ce pays enclavé et appauvri présente également un intérêt croissant pour Washington qui, par l’entremise de son African Command (Africom) – le commandement militaire des États-Unis en Afrique – ne cesse de développer sa présence dans le continent. En plus des troupes de formation au Niger, les soldats canadiens coopèrent avec leurs collègues américains depuis 2011 dans le cadre de l’opération Flintlock, une mission dirigée par l’Africom pour former les forces spéciales de divers pays, dont le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Sénégal et le Nigeria.
La participation des FAC en Afrique s’inscrit dans le tournant du Canada vers une politique étrangère plus agressive. Derrière sa façade «démocratique», le gouvernement Trudeau poursuit le même programme agressif en matière de politique étrangère pour le compte de l’impérialisme canadien comme l’a fait le gouvernement conservateur détesté de Stephen Harper.
À l’exception de la guerre en Irak en 2003, le Canada a participé à toutes les guerres majeures menées par les États-Unis au cours du dernier quart de siècle. Le Canada est maintenant profondément impliqué dans les trois grandes offensives militaro-stratégiques de Washington – au Moyen-Orient riche en pétrole, contre la Russie et contre la Chine. Ces entreprises criminelles ont déjà mis à feu et à sang des régions entières et anéanti des millions de vies, tout en augmentant le risque d’une confrontation directe entre les États-Unis et les deuxième et quatrième plus grandes puissances nucléaires du monde que sont la Russie et la Chine.
Le ministre de la Défense Sajjan a lui-même clairement reconnu que la rhétorique du «maintien de la paix» du gouvernement n’était en fait qu’une feuille de vigne pour duper le public afin qu’il accepte la participation du Canada à la guerre. En parlant de la tâche que le Canada serait appelé à jouer en Afrique, Sajjan a en effet récemment déclaré qu’il préférait parler d’«opérations de soutien de la paix» plutôt que de «maintien de la paix», car ce que «ce que nous avions l’habitude de voir comme du maintien de la paix avant, n’est plus. Nous n’avons pas en effet deux parties qui ont convenu de faire la paix, avec une force de maintien de la paix entre les deux.»
En fait, ce que Sajjan et le gouvernement libéral disent clairement dans le fond, c’est que le Canada va mener des opérations de contre-insurrectionnelles semblables au rôle que les FAC ont joué dans l’occupation néocoloniale de l’Afghanistan de 2005 à 2011.
Lors de sa visite, Valls a salué les Forces armées canadiennes comme «une armée très professionnelle» et a déclaré que «généralement, nous avons besoin d’un Canada fort et actif dans le monde». Le premier ministre français a également affirmé que le Canada et la France font face au même «terrorisme qui a frappé nos deux sociétés – aux crises qui secouent l’Afrique et le Moyen-Orient et qui affectent notre sécurité».
La «guerre contre le terrorisme» invoquée par Valls est une fraude. Depuis 2001, les puissances occidentales utilisent ce prétexte pour justifier leurs guerres et leurs interventions militaires en Asie centrale, au Moyen-Orient et en Afrique, et des attaques radicales contre les droits démocratiques dans leur pays.
L’impérialisme français fait la promotion de ce discours pour justifier la réaffirmation de sa domination sur ses anciennes colonies africaines riches en ressources, tout en intervenant au Moyen-Orient pour soutenir activement l’opération de changement de régime menée par les États-Unis en Syrie.
Paris est avide de collaborer militairement avec le Canada qui – grâce à ses liens avec l’Africom américain, son rôle de premier plan dans la Francophonie, et ses sociétés minières multinationales – a développé d’importants intérêts en Afrique occidentale et centrale.
Dans le cadre de l’opération Barkhane, la France mène des interventions militaires au Mali et en République centrafricaine impliquant respectivement 12.000 et 13.000 soldats. La plupart des troupes proviennent des États africains voisins, mais des forces allemandes, néerlandaises et suédoises sont également impliquées.
Trudeau utilise la même rhétorique démagogique «antiterroriste» pour justifier le rôle du Canada dans la guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient et le déploiement imminent de troupes canadiennes en Afrique. En cela, les libéraux ont clairement pris la relève des conservateurs de droite de Harper au même point qu’ils étaient à leur départ du gouvernement.
En réalité, les missions de «maintien de la paix» auxquelles le Canada se prépare à se joindre en Afrique sont toutes des opérations contre-insurrectionnelles visant à maintenir au pouvoir des gouvernements pro-occidentaux serviles qui sont aux prises avec des guerres civiles.
Les mouvements insurrectionnels dans ces pays, comme au Moyen-Orient, sont le résultat direct de l’utilisation par les puissances impérialistes de milices islamistes pour évincer les régimes réputés comme hostiles à l’Ouest, ainsi que de leur encouragement des divisions communautaires et ethniques dans une stratégie du «diviser pour régner».
Dans le cas du Mali, les islamistes et les rebelles touaregs armés et financés par l’OTAN pour renverser le régime de Kadhafi en Libye en 2011 sont entrés dans le pays après la guerre et ont lancé une rébellion contre le gouvernement de Bamako.
Le Canada est déterminé à élargir son rôle dans le dépeçage impérialiste de l’Afrique parce que les grandes entreprises canadiennes ont des milliards de dollars en investissements dans ce continent, principalement dans l’industrie minière. Les sociétés minières canadiennes ont en effet investi au moins 25 milliards $ en Afrique, dont 3 milliards $ en République démocratique du Congo (RDC). Au Mali, la société canadienne Iamgold est l’un des deux principaux propriétaires de la plus grande mine d’or du pays, avec des investissements totalisant 1 milliard $. Les entreprises canadiennes ont également amassé d’énormes profits en exploitant les riches ressources du Congo, profitant notamment du chaos provoqué par la guerre qui a embrasé le pays et une grande partie de la région de 1998 à 2003.
La rumeur dit que les libéraux envisageraient la possibilité d’envoyer des troupes supplémentaires pour se joindre à une mission de l’ONU en RDC, où un petit contingent de neuf militaires canadiens est déjà opérationnel.
Lorsque le gouvernement Trudeau a annoncé ses plans pour relancer la participation des FAC dans les missions de «maintien de la paix», une section de l’élite dirigeante canadienne a exprimé son scepticisme dans les pages du National Post et du Globe and Mail. Ce scepticisme découlait de la crainte que le fait de parler de «maintien de la paix» n’alimente l’opposition populaire aux déploiements militaires lorsqu’il apparaitra clairement que l’Armée canadienne poursuit en réalité une guerre.
Le discours belliqueux de Sajjan à propos de «missions de soutien de la paix» et sa reconnaissance ouverte qu’il s’agit en fait d’opérations de guerre contre-insurrectionnelle, la volonté du gouvernement de collaborer avec l’impérialisme français, et les importants intérêts des sociétés canadiennes sur le continent africain semblent avoir convaincu le Globe and Mail de s’exprimer plus ouvertement en faveur d’une intervention militaire du Canada en Afrique.
Lors de la visite de Valls, le Globe and Mail a ainsi publié un éditorial dans lequel il a soutenu que le travail avec l’Armée française expérimentée en Afrique servira les intérêts du Canada et que l’envoi de 600 soldats est un bon début. L’éditorial concluait : «Si cela se passe bien avec le contingent, cela pourrait être intéressant d’envoyer encore plus de troupes canadiennes.»
(Article paru d'abord en anglais le 24 octobre 2016)
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