Près de quatre mois après la dégelée électorale du Bloc québécois, le parti ne s'est pas encore remis de ce K.-O. historique, comme en font foi les tergiversations entourant la succession de son chef Gilles Duceppe. Contrairement à ce que nous avons entendu jusqu'à présent, la défaite du Bloc n'est pas uniquement attribuable au charisme de Jack Layton ou à la campagne bloquiste ratée.
L'adhésion des Québécois à des partis fédéralistes s'explique plutôt par le fait que, par ses actions depuis le référendum de 1995, le Bloc a démontré que le Québec avait non seulement la capacité de faire entendre ses revendications auprès du Canada anglais, mais aussi d'être accommodé de manière satisfaisante.
Nous avons assisté depuis 40 ans à une convergence sur le plan des valeurs entre le Québec et le Canada anglais, ce qui n'a toutefois pas empêché la hausse de l'option souverainiste, qui est passée de 6 % en 1966 à presque 50 % en 1995.
L'analyse des fédérations multinationales permet d'affirmer que l'esprit fédéral des groupes minoritaires (comme les Québécois ou les Catalans) ou historiquement désavantagés (comme les Flamands) repose sur leur capacité à entrer dans un dialogue avec « l'Autre », en vue d'obtenir des accommodements leur permettant de mieux s'autodéterminer ou tout simplement afin de voir leur spécificité ethnoculturelle être mieux représentée.
Or, c'est justement ce que le Bloc québécois a été en mesure de démontrer en se faisant la courroie de transmission des demandes de l'Assemblée nationale. Pensons notamment à la modification constitutionnelle permettant à la province de Québec de passer des commissions scolaires confessionnelles à des commissions scolaires linguistiques, ou au rapatriement des compétences en matière de formation de la main-d'oeuvre durant les années 90.
Dans le bilan de ses actions entre 2000 et 2004, le Bloc québécois a même affirmé que sans ses actions, le gouvernement fédéral serait allé à l'encontre du « consensus québécois » et que c'est grâce à lui que le Canada n'a pas participé à la guerre en Irak, qu'il a adopté une loi sur le financement des partis politiques, une loi antigang et qu'il a ratifié le protocole de Kyoto. Il a également pris le crédit au sujet de la création d'un consensus de la Chambre des communes autour de la question du déséquilibre fiscal : problématique qui s'est réglée depuis.
Il semble que l'ouverture envers les demandes des groupes ethnoculturels minoritaires ou historiquement dominés contribue à diminuer chez eux l'option sécessionniste. Ces groupes peuvent donc avoir l'impression que la communauté fédérale est « la leur » et qu'elle n'est pas une structure étatique illégitime contre laquelle ils doivent se soumettre. Leur capacité à se faire entendre contribue à donner l'impression que « l'Autre » n'est pas une menace à l'intégrité identitaire du peuple. L'ouverture au dialogue avec « l'Autre » contribue plutôt à favoriser le développement d'une identité politique, tandis qu'une absence d'empathie envers lui a plutôt tendance à attiser l'émergence de voix extrêmes.
Ainsi, par le « succès » autoproclamé de ses actions, le Bloc est purement et simplement devenu un parti fédéraliste qui a contribué à réconcilier plusieurs Québécois avec le système fédéral. L'adhésion du parti au projet de coalition PLC-NPD a très certainement été le symbole par excellence que le Canada anglais était prêt à intégrer officiellement à sa gouvernance un parti autonomiste et qu'il était, conséquemment, prêt à négocier avec lui. Dans l'optique souverainiste, ce geste a été de loin la plus grande erreur stratégique de Gilles Duceppe.
En participant avec succès au dialogue fédéral et en démontrant que celui-ci n'était pas fermé aux revendications québécoises, Gilles Duceppe a tout simplement contribué à susciter chez les Québécois le développement d'un sentiment d'appartenance envers le Canada, ce qui permet certainement d'expliquer en partie la désaffection actuelle envers la cause souverainiste.
***
Jean-François Caron
L'auteur est chercheur postdoctoral au Centre de droit public de l'Université libre de Bruxelles et au Centre de recherche interdisciplinaire sur la diversité au Québec de l'UQAM.
Le Bloc, un parti fédéraliste
Actualité du Québec-dans-le-Canada - Le Québec entravé
Jean-François Caron4 articles
Doctorant en science politique et chargé de cours à l'Université Laval et à l'Université du Québec à Chicoutimi.
Laissez un commentaire Votre adresse courriel ne sera pas publiée.
Veuillez vous connecter afin de laisser un commentaire.
Aucun commentaire trouvé