Le dogmatisme de Duceppe

Contrairement à ce que laisse entendre Gilles Duceppe, le Québec n'est pas une société unanimiste et exempte de débats démocratiques.

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Élection fédérale 2008 - le BQ en campagne

Photo PC - Alors que les machines électorales fédérales sont en état d'alerte à l'approche du déclenchement probable d'élections automnales anticipées, il est de bonne guerre de voir les chefs des grands partis s'accuser mutuellement de tous les maux imaginables.

C'est dans cette perspective que le chef du Bloc québécois, Gilles Duceppe, s'est lancé dans une enflure verbale hautement douteuse devant les membres de l'aile jeunesse de son parti le 24 août dernier dans la région de Québec. Il y a affirmé globalement que Stephen Harper était un dinosaure conservateur privilégiant un modèle social et économique qui constitue une menace contre les sacro-saintes valeurs québécoises. Pour reprendre ses mots, «cette idéologie de droite arriérée frappe avec jubilation sur ce que nous, Québécois, avons de plus précieux».
Que les accusations portées à l'endroit de Stephen Harper et des conservateurs soient fondées ou non, cela n'importe guère. La diabolisation à outrance de «l'Autre», quitte à sombrer dans la caricature, est monnaie courante en politique et il ne faut pas s'en surprendre. Ce qui rend les déclarations de Gilles Duceppe douteuses est le fait qu'il ait essentialisé l'identité québécoise autour de grands vecteurs idéologiques qui donnent la fausse impression que le Québec est une société unanimiste et exempte de débats démocratiques. Bref, que le «nous politique» québécois est résolument et unanimement de gauche. Par ce dogmatisme des valeurs, le chef du BQ a contribué à sa manière à définir une identité québécoise exclusive au même titre, mais à un niveau conceptuel différent, que le nationalisme ethnique canadien-français d'autrefois.
Ainsi, alors que l'identité québécoise d'antan était définie autour de vecteurs ethniques (était Québécois tout individu de souche canadienne-française d'héritage catholique et francophone), l'identité politique formulée par le chef du BQ relève davantage d'une adhésion claire et sans équivoque à de grands principes (est Québécois tout individu pacifiste, prônant le développement durable, qui se montre favorable aux mariages des conjoints de même sexe, au contrôle des armes à feu, à la réhabilitation des jeunes délinquants au détriment d'une approche plus répressive, à la légalisation de la marijuana, etc.). En d'autres termes, à en croire Gilles Duceppe, un Québécois serait un animal politique humaniste animé par des principes ainsi que des valeurs progressistes et sociales-démocrates. Bref, qu'il serait une sorte de modèle moral pour le reste de l'humanité. (...)
Ligne de démarcation
Évidemment, l'objectif du chef du BQ consiste à créer une ligne de démarcation entre le Québec et le reste du Canada, mais inconsciemment, il tend à aliéner sur le plan idéologique et des valeurs politiques une très grande partie de la population québécoise qui ne partage pas les critères d'adhésion à la société québécoise édictés de façon unilatérale par le chef bloquiste. Or, la société québécoise est beaucoup plus complexe que la pensée simpliste gauchisante de Gilles Duceppe ne le laisse croire. Le Québec, comme toutes les autres sociétés libérales, est traversé par des tensions politiques qui vont de l'extrême gauche à la droite et dont l'opposition démocratique de ces courants contribue à lui donner toute sa vigueur.
Cela marque une perversion de l'esprit fondateur du BQ et de Lucien Bouchard qui avait su faire de ce parti une coalition arc-en-ciel formée autant de gens de gauche que de droite. (…) Or, depuis les 10 dernières années, Gilles Duceppe a purgé son parti de ses représentants de la droite ou tout simplement de ses députés réfractaires à jouer le rôle de laquais serviles approuvant sans rien dire les idées du chef. Car il ne faut pas se tromper, Gilles Duceppe a su faire du BQ un parti à la solde de ses idées personnelles héritées de son passé notoire de marxiste-léniniste. Malheureusement, ce parti socialisant qui prétend parler au nom du Québec et de ses valeurs s'est graduellement aliéné d'une partie de plus en plus importante des Québécois. (…)
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Jean-François Caron
L'auteur est doctorant en science politique et chargé de cours à l'Université Laval et à l'Université du Québec à Chicoutimi.


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