Lucien Bouchard et Gilles Duceppe le 12 juin 1990. Photothèque La Presse
Les deux derniers sondages à l'échelle nationale canadienne (EKOS-CBC et NANOS-La Presse) révèlent, encore une fois, que si des élections avaient eu lieu dans les derniers jours, aucun parti politique sur la scène fédérale n'aurait recueilli suffisamment d'appuis pour remporter une majorité à la Chambre des communes.
Certes, le Canada a déjà connu dans son histoire politique des gouvernements minoritaires, gouvernements d'ailleurs qui ont la réputation d'avoir été relativement productifs, notamment dans les années 1960 et 1970, sous la gouverne de Pearson et de Trudeau. Cependant, en 2008, pour la première fois dans l'histoire moderne du pays, les Canadiens ont décidé d'élire consécutivement - 2004, 2006 et 2008 - trois gouvernements minoritaires et tout indique que cette dynamique n'est guère susceptible de changer.
Que signifie cette nouvelle réalité pour le Canada et quelles sont les conséquences d'une succession de gouvernements minoritaires sur la politique canadienne? Voilà des questions qui devraient intéresser à la fois les électeurs et les politiciens devant la probabilité d'une élection automnale.
Les sources du « minoritarisme »
L'avènement du « minoritarisme » prend sa source dans les échecs constitutionnels de la fin des années 80 et du début des années 1990. Depuis la mort des accords de Meech et de Charlottetown, on a assisté au Canada à une fragmentation des partis politiques fédéraux, fragmentation qui a mené à la naissance du Bloc Québécois et du « Reform Party ». Cette régionalisation des partis politiques a d'abord permis au Parti libéral d'obtenir trois majorités consécutives à partir de 1993, principalement en raison de la division du vote de droite.
Cependant, avec l'unification des forces de droite et la création d'un « nouveau » Parti conservateur, aucun parti politique sur la scène fédérale n'arrive à générer de majorité. La division de la droite durant les années 1990 a donc occulté temporairement le principal problème auquel doivent faire face tous les partis fédéraux depuis 1993 : l'incapacité de recueillir suffisamment de sièges au Québec.
Depuis cette époque, on le sait, le Bloc domine le Québec et les partis politiques fédéraux se sont tous brisés sur le « ROC » d'une force politique redoutable. Peu importe le « fédéralisme d'ouverture » et la reconnaissance de la nation québécoise proposés par les conservateurs ou encore l'arrivée récente d'un nouveau chef au Parti libéral, les Québécois hésitent toujours à réintégrer le Canada en s'investissant dans un parti politique national.
Si pour le reste du Canada, le Bloc, en provoquant une succession improductive de gouvernements minoritaires, est à l'origine du mal-être canadien, pour les Québécois, ce parti fédéral souverainiste n'est pas la cause du problème, il est plutôt la conséquence logique d'un refus systématique du reste du Canada de satisfaire les revendications du Québec.
Nouveau rôle pour le Bloc?
Le Bloc rendrait donc le Canada ingouvernable, prouvant de facto que le Québec n'adhère que très partiellement au pacte fédératif canadien. Paradoxalement, cette tiédeur fédéraliste ne s'accompagne nullement d'une montée significative d'un engouement pour la souveraineté chez les Québécois.
La politique fédérale se trouve ainsi dans une impasse provoquée, d'une part, par l'incapacité de susciter chez les Québécois une volonté de s'investir sur la scène fédérale et, d'autre part, parce que les Québécois, malgré leur frustration à l'égard de la politique fédérale, ne sont pas prêts à quitter le Canada.
Dans ce contexte, le rôle du Bloc québécois est peut-être plus constructif qu'on ne pourrait le croire. En effet, en provoquant des gouvernements minoritaires à répétition, le Bloc forcera peut-être le reste du Canada à réfléchir sur la façon d'amener les Québécois à s'investir dans la politique fédérale. Voilà peut-être le véritable rôle du Bloc : créer une impasse institutionnelle qui oblige le Canada à se redéfinir pour être à nouveau gouvernable.
Le Bloc servirait donc ici non seulement les intérêts de ses électeurs, mais il servirait aussi, et peut-être surtout, les intérêts des Canadiens eux-mêmes en les poussant à réfléchir sur leur propre conception du fédéralisme et sur leur échec à faire des Québécois des Canadiens à part entière.
De possibles coalitions
Devant l'impossibilité d'obtenir des majorités, les partis politiques fédéraux devront probablement se transformer. Dans cette perspective, il ne serait pas surprenant de voir apparaître les premiers gouvernements de coalition dans l'histoire du Canada, comme cela a d'ailleurs été brièvement envisagé en janvier dernier, quelque mois seulement après les dernières élections générales.
Traditionnellement reconnu pour sa grande stabilité politique, le Canada n'a jamais véritablement expérimenté les coalitions. Certes, un gouvernement minoritaire a déjà gouverné avec l'appui d'un autre parti, mais sans jamais se sentir obligé d'intégrer, à l'intérieur du gouvernement, des ministres provenant d'une formation politique adverse. Pourtant, en Europe et dans beaucoup d'autres régimes politiques où la stabilité gouvernementale est difficile à obtenir, cette règle semble la norme plutôt que l'exception.
Cette éventualité semble d'autant plus probable qu'on assiste aussi à une érosion des votes exprimés à l'endroit des partis traditionnels. Par exemple, le Parti vert recueille selon les derniers sondages entre 5 et 10% des intentions de votes, c'est peu, mais suffisant pour rendre encore plus improbable une possible majorité.
Antonin-Xavier Fournier
Candidat au doctorat à l'UQAM
Professeur de science politique
Cégep de Sherbrooke
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