Absence d’acceptabilité sociale, risques pour la santé humaine et pour l’environnement, rentabilité incertaine et gestion éternelle des déchets miniers. Le rapport du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement rejette l’idée de développer la filière uranifère au Québec. Le gouvernement, qui a déjà délivré plusieurs permis d’exploration, promet d’analyser les conclusions du rapport.
Le BAPE conclut sans équivoque qu’« il serait prématuré d’autoriser le développement de la filière uranifère au Québec ». Les commissaires soulignent notamment avoir constaté, au cours des audiences publiques tenues dans plusieurs régions du Québec, le manque d’acceptabilité sociale autour de cette filière. « Le dossier est loin de faire l’unanimité, voire de susciter un consensus scientifique et social substantiel, ce qui se traduit, chez les participants à l’audience, par une très faible acceptabilité. »
L’organisme souligne aussi que le rejet de cette industrie minière est particulièrement prononcé au nord du 49e parallèle, là où doit se déployer le Plan Nord libéral et où sont concentrés les projets uranifères. « Dans les communautés autochtones des territoires conventionnés de la Baie-James et du Nunavik ainsi que du Québec méridional, la commission d’enquête a constaté un rejet quasi unanime de la filière uranifère », écrit le BAPE dans son rapport de plus de 600 pages, rendu public vendredi sans préavis, alors que le ministre Heurtel l’a reçu le 20 mai.
Le refus, par exemple, des communautés cries, était déjà manifeste depuis plusieurs années. Il faut dire que le projet d’exploration le plus avancé au Québec, celui de l’entreprise Strateco, est situé au nord de Chibougamau, sur leur territoire. Lors du passage du Devoir dans la communauté de Mistissini, l’an dernier, plusieurs avaient d’ailleurs exprimé leurs craintes par rapport aux effets sur la santé humaine et sur leur environnement.
Le rapport du BAPE ne devrait pas les rassurer. Parmi les 90 avis formulés dans le document, la commission d’enquête indique que le nombre d’études sur les impacts pour la population limitrophe est « faible ». Une telle situation ne permet pas, contrairement à ce qu’affirme le lobby de l’uranium, de conclure « à l’absence d’un lien de causalité entre le développement de maladies cancéreuses et le fait de résider à proximité des mines ou d’installations uranifères ».
Détérioration
Ces incertitudes, déjà mises en lumière par l’Institut national de santé publique, contribuent à alimenter le manque d’acceptabilité sociale. Qui plus est, « dans certains milieux, la présence ou la perspective de développement de mines uranifères risquent d’être associées à une détérioration du climat social et à une perte de confiance des citoyens envers les autorités ». Cela est particulièrement vrai dans les communautés nordiques. Il faut dire que celles-ci seraient directement exposées aux risques, « alors que les profits seraient partagés entre des intérêts privés et répartis sur l’ensemble de la population québécoise et que les productions seraient destinées à l’exportation ».
D’un point de vue environnemental, le BAPE constate aussi que plusieurs questions demeurent sans réponse. Le rapport souligne « une incertitude considérable dans la prédiction des effets d’éventuelles installations d’exploitation de l’uranium au Québec sur les milieux naturels ».
Ce qu’on sait, cependant, c’est que les déchets miniers produits dès l’exploration peuvent poser des risques environnementaux en raison de leur caractère radioactif. Or, souligne le BAPE, ils ne sont pas traités comme tels par le gouvernement. Tout déchet produit par l’industrie risque en outre de constituer un héritage toxique pour ainsi dire éternel. « La commission d’enquête est d’avis que le besoin de confiner et de stabiliser les résidus de mine d’uranium durant plus de 10 000 ans pose des défis qui vont au-delà de ce à quoi la société actuelle peut légitimement s’engager. Par conséquent, ce besoin est susceptible de transférer des obligations, des coûts et des risques sur plusieurs générations. »
Qui plus est, « aucun fonds ne pourrait, en dépit de toute sagesse, de toute planification et de toute prudence, couvrir tous les scénarios de risques environnementaux associés à la filière uranifère », ajoutent les commissaires. Ils recommandent donc de mener une analyse coûts-bénéfices avant de prendre toute décision.
Le BAPE insiste en outre sur les incertitudes économiques liées à cette filière minière. « Dans les conditions actuelles du marché de l’uranium, il serait difficile pour le moment que les ressources uranifères québécoises soient d’intérêt sur le marché mondial à leur coût actuel de récupération », tranche l’organisme.
Globalement, le secteur minier représente au mieux 2 % du PIB du Québec. Quant au secteur uranifère, il en est encore seulement au stade de l’exploration. Cette filière constitue environ 4 % des investissements en exploration au Québec. Selon les données du ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles, il existe près d’une trentaine de projets d’exploration uranifère au Québec, dont 12 en phase « avancée ». Plusieurs sont situés au nord du 49e parallèle, mais on en retrouve également le long de la Côte-Nord ainsi que dans les Hautes-Laurentides.
N’empêche, le BAPE avertit que toute interdiction pure et simple de la filière risquerait d’entraîner des demandes de dédommagements de la part des entreprises présentes au Québec. Déjà, le fait d’avoir stoppé le projet de Strateco a valu au gouvernement du Québec d’être poursuivi pour plus de 190 millions de dollars.
Réagissant par voie de communiqué à la publication du rapport du BAPE, le ministre Heurtel a dit que ce rapport particulièrement critique d’une filière minière serait analysé en partenariat avec le ministère de l’Énergie et des Ressources naturelles. Mais pour la Coalition Québec meilleure mine, la cause est déjà entendue. L’organisme presse le gouvernement d’interdire toute exploitation d’uranium au Québec.
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