Un rapport récent de l’Office québécois de la langue française nous prédit que d’ici 2031, le pourcentage de la population de l’île de Montréal qui parle majoritairement le français à la maison baissera à moins de 50 %. Ces projections de ton pessimiste attirent toujours l’attention des médias et les réactions qui suivent sont généralement prévisibles. Les porte-parole de l’opposition affirment que Montréal se fait angliciser, que le gouvernement ne porte pas suffisamment attention aux dangers qui menacent la langue française et qu’il est essentiel de resserrer les lois linguistiques, ou plutôt d’introduire de nouvelles mesures pour contrer ce déclin.
Si le pourcentage des francophones sur l’île de Montréal tombe à 50 %, qui formera la majorité? Cette question est rarement abordée et elle sous-entend que les non-francophones seront en majorité. Pourtant, les non-francophones ne constituent pas un groupe linguistique. Aucun Montréalais ne se définit comme étant un non-francophone, mais plutôt anglophone, allophone ou mixte. Regrouper les anglophones et les allophones dans une seule catégorie imaginaire encourage plusieurs francophones à associer, faussement, tous ceux issus des minorités ethnoculturelles avec la langue anglaise.
En fait, la plupart des «non-francophones» de Montréal sont de langue maternelle autre que l’anglais. C’est aussi bien évident que, provenant de plus de 100 groupes différents, les allophones ne parlent pas une seule langue commune qu’ils pourraient imposer à la population francophone.
Le français des allophones
Les projections démographiques pour l’île de Montréal en 2031 prédisent qu’un peu moins d’un quart de la population va parler l’anglais à la maison. En d’autres termes, 75 % de la population de l’île ne sera pas anglophone (bien qu’on n’entende jamais le terme «non anglophone»). Si la langue française à Montréal est menacée par l’anglicisation, on pourrait tenir pour acquis qu’il est nécessaire d’examiner le pourcentage d’anglophones à Montréal.
Pourtant, peu de démographes québécois raisonnent qu’un pourcentage diminué d’anglophones diminuera leur capacité d’attirer les allophones vers l’adoption de la langue anglaise chez eux. Aussi, on prend rarement en compte que malgré les baisses récentes du pourcentage de francophones, il y a eu un accroissement du pourcentage d’allophones qui choisissent de parler le français plutôt que l’anglais chez eux. Ceci est dû en grande partie à la composition linguistique des immigrants récemment arrivés au Québec.
C’est pour le moins très difficile à croire que les trois groupes d’immigrants allophones les plus importants quant à leurs effectifs (c’est-à-dire les groupes arabe, espagnol et créole) vont faire tandem avec les anglophones pour imposer l’anglais aux francophones sur l’île.
Fausses représentations
Toutefois, certains démographes québécois déduisent que le changement du statut francophone de majoritaire à minoritaire aura un effet négatif sur notre capacité d’intégrer les allophones, indépendamment du pourcentage d’anglophones. Les porte-parole de l’opposition et quelques démographes ont déclaré que le gouvernement ne fait pas assez d’efforts pour faciliter l’intégration des immigrants. Mais leurs définitions respectives de l’intégration linguistique ont parfois l’air de diverger.
Nombreux démographes semblent faire référence au degré avec lequel les allophones immigrants utilisent le français à la maison (même si la plupart des immigrants allophones vont maintenir leur langue d’origine chez eux au cours de leur vie). Dans le cas des porte-parole de l’opposition, on peut supposer qu’ils parlent de l’aide que reçoivent les immigrants pour apprendre la langue française afin de pouvoir l’utiliser au travail. Malgré une faible diminution du pourcentage des francophones à Montréal, ni le pourcentage d’immigrants qui apprennent le français ni le taux d’usage du français en milieu de travail n’ont diminué, comme l’a confirmé Statistique Canada en 2006.
Nous ne devons pas tenir pour acquis que les immigrants allophones choisissent de parler le français à la maison à cause du pourcentage de francophones qui vivent sur l’île de Montréal. Cette idée pourrait faussement représenter ce qui menace la langue française.
La présence du français
La baisse du pourcentage de francophones sur l’île de Montréal est attribuable, selon certains, à l’importante migration des francophones vers les banlieues à l’extérieur de l’île. Mais c’est l’immigration qui est la cause première du changement de la démographie montréalaise. Entre 2006 et 2010, la langue maternelle de 82 % des immigrants au Québec n’était ni l’anglais ni le français. Le français était la langue maternelle de 15 % d’entre eux et l’anglais était celle de 3%.
Puisque la majorité des allophones s’installent sur l’île de Montréal et qu’ils vont majoritairement utiliser leur langue première à la maison, le pourcentage de francophones et d’anglophones sur l’île de Montréal diminuera. Mais ceci ne signifie pas une baisse du taux de connaissance du français ni de sa présence dans le domaine public. La connaissance du français chez les allophones et les anglophones s’accroît continuellement, ainsi que la fréquence de son utilisation dans le domaine public. Les identités linguistiques multiples caractérisent de plus en plus la réalité montréalaise.
Source d’enrichissement
Le gouvernement du Québec aime bien souligner que plus de 60 % des immigrants qui sont arrivés au Québec lors des cinq dernières années ont une connaissance du français. Pour arriver à ce chiffre, ils ont additionné les 25 % qui déclarent connaître le français à leur arrivée et les 35 % qui disent avoir une connaissance de l’anglais et du français. Certains porte-parole de l’opposition pourraient contrer que les connaissances des deux langues chez nos immigrants pourraient encourager l’expansion inquiétante du bilinguisme.
Mais ces critiques sonnent faux puisque c’est lors du dernier mandat du Parti québécois que l’important accroissement dans le pourcentage d’immigrants qui connaissent les deux langues à leur arrivée a eu lieu. À Montréal, le français est la langue dominante, et notre ville est unique en Amérique du Nord pour cette raison. Mais le niveau de bilinguisme et même de trilinguisme chez les Montréalais est non seulement une conséquence de notre réalité économique, mais aussi une source d’enrichissement culturel.
D’un point de vue historique, le français à Montréal ne régresse pas malgré ce que certains voudraient nous faire croire. Ce n’est pas la perte de quelques points de pourcentage de francophones sur l’île de Montréal qui rend le français plus vulnérable, mais plutôt l’attraction que l’anglais exerce mondialement. Nos discussions importantes sur les questions linguistiques devraient mieux refléter cette réalité.
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Jack Jedwab - Directeur général de l’Association d’études canadiennes
Langue - Le français en déclin, vraiment?
D’un point de vue historique, le français à Montréal ne régresse pas malgré ce que certains voudraient nous faire croire
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