Le premier ministre Legault a annoncé, le 20 octobre dernier, que le dossier de la laïcité sera confié au ministère du Conseil exécutif et relèvera donc de sa responsabilité.
Sage décision de ne pas amalgamer laïcité et immigration. Si son gouvernement parvient à nous en proposer un modèle consensuel, cette législation pourrait marquer l’histoire du Québec, autant que celle du droit de vote des femmes.
Dans un monde idéal, le premier ministre Legault chercherait à dégager un consensus minimum au sein de l’Assemblée nationale en déposant lui-même un premier projet de loi qui en définirait le principe, comme droit nouveau, dans la Charte québécoise des droits de la personne.
Une exigence de neutralité religieuse y serait faite à tous les membres du personnel de l’État quant à l’interdiction de prosélytisme.
Quant au port des signes religieux, seule l’autorité contraignante sera soumise à un devoir de réserve — juges, procureurs, policiers ou agents correctionnels — parce qu’ils incarnent l’État.
Les autres dispositions pourraient faire l’objet d’un deuxième projet de loi qui serait déposé par la ministre de la Justice.
Bien que les contextes politiques et juridiques soient différents, plusieurs parallèles peuvent être faits entre le combat pour la séparation de l’Église et de l’État et celui du suffrage féminin au Québec.
Les deux luttes se sont déroulées sur le même siècle et ont profondément divisé le Québec. Des suffragettes, armées de leurs seules convictions, avaient fait face, pendant un quart de siècle, à des adversaires de taille, au sommet de l’État, à des députés unanimement hostiles et à un épiscopat catholique triomphant.
En février 1922, elles étaient 400 à converger, en plein hiver, vers le parlement, pour réclamer ce droit. Pendant 13 ans, elles feront un « pèlerinage » annuel, à l’Assemblée législative, de 1927 à 1939, pour se faire dire « Non ».
Elles finiront par convaincre le chef du Parti libéral, Adélard Godbout, qui en prendra l’engagement. Une résolution est adoptée à cet effet, par le Parti libéral qui en fera un élément de son programme à l’élection de 1939.
Une fois élu, le premier ministre Adélard Godbout a tenu parole. Il a déposé lui-même, le 11 avril 1940, le projet de loi accordant aux femmes le droit de votre et d’éligibilité.
Il mettra son siège en jeu pour qu’il soit adopté. Il le sera, en Chambre, le 18 avril, par 67 voix contre 9, et en Conseil législatif, le 25 avril, date où il a été sanctionné par le lieutenant-gouverneur.
Laïcité : Un combat inachevé
Ce que cette histoire nous enseigne, c’est que les luttes pour la démocratie ne sont jamais gagnées d’avance, ni au Québec ni ailleurs dans le monde.
D’où l’importance de ne pas réduire la laïcité à une simple affaire d’interdiction de port des signes religieux. Ça serait renier les contextes politique et historique dans lesquels ces deux combats ont été menés.
Les arguments de l’apocalypse, avancés par certains opposants à la laïcité, ne sont guère différents de ceux tenus contre le droit de vote des femmes, par des parlementaires, des élites intellectuelles et des milliers de femmes anti-suffragettes.
Ce rappel est important pour ceux qui trouvent que le débat sur la laïcité perdure depuis 10 ans. Le combat pour la laïcité au Québec n’a pas commencé avec la Commission Bouchard-Taylor.
La France, pour sa part, a mis plus d’un siècle, depuis la Révolution française, avant d’accoucher de sa loi concernant la séparation des Églises et de l’État, en 1905.
Aurons-nous un projet de loi sur la laïcité à l’hiver 2018 ou au printemps 2019 ? Là n’est pas la question. Le défi du gouvernement Legault est de proposer aux Québécois un projet de loi qui suscite leur adhésion et engendre un consensus minimum à l’Assemblée nationale.