Ainsi donc, le comité des droits de l’homme de l’ONU est « préoccupé » par les dispositions du projet de loi 21 sur la laïcité, notamment l’interdiction du port de signes religieux et l’obligation d’avoir le visage découvert pour livrer les services publics ou, dans certains, en bénéficier. Il y voit une porte ouverte à la « discrimination raciale ».
Ce sont là des préoccupations que plusieurs partagent, que ce soit la Commission des droits et libertés de la personne du Québec ou encore le Barreau du Canada. Malgré le recours à la disposition dérogatoire, il semble inévitable que la future loi soit contestée devant les tribunaux et que la Cour suprême doive trancher.
Ce n’est pas la première fois qu’une loi québécoise fait l’objet d’une plainte au comité des droits de l’homme de l’ONU. En mars 1993, il avait jugé que la loi 178, que le gouvernement Bourassa avait fait adopter cinq ans plus tôt pour maintenir l’unilinguisme français dans l’affichage commercial, à l’encontre d’un jugement de la Cour suprême, constituait une « violation » du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
Coïncidence, trois mois plus tard, la loi 178 avait été remplacée par la loi 86, qui changeait la règle de l’unilinguisme français par celle de la « nette prédominance ». Les propriétaires d’un magasin d’antiquités de l’Estrie s’étaient également plaint de cette loi, mais le comité avait refusé de se saisir de la question.
Il est tout à fait légitime de s’adresser à l’ONU quand on s’estime injustement traité et les experts dont les services sont retenus par le comité des droits de l’homme sont sans doute des gens compétents, même si la lettre des trois « rapporteurs » assignés au dossier ressemble davantage à un assemblage de données qu’à une analyse en profondeur.
II est vrai qu’en invoquant la disposition dérogatoire pour soustraire le projet de loi 21 aux chartes canadienne et québécoise des droits et libertés, le gouvernement Legault leur a grandement facilité la tâche.
De la lecture de la lettre, on peut conclure que même une interdiction limitée aux agents de l’État détenant un « pouvoir de coercition », comme le recommandait le rapport Bouchard-Taylor, serait jugée inacceptable. Tout comme la loi 62 que le gouvernement Couillard avait fait adopter pour imposer la livraison et la réception des services à visage découvert.
La porte-parole libérale, Hélène David, y a toutefois vu la confirmation du bien-fondé des inquiétudes de son parti. Son collègue de Québec solidaire, Sol Zanetti, a invité le gouvernement Legault à « sortir de sa bulle provinciale ». La trajectoire de l’ancien chef d’Option nationale au cours de la dernière année est fascinante. On comprend qu’il a du changer sa position sur les signes religieux en passant à QS, mais on croirait maintenant entendre Justin Trudeau, sinon son père.
L’intervention du comité de l’ONU n’en constitue pas moins un appui passablement gênant pour les opposants au projet de loi 21. Plutôt que de semer un doute dans les esprits, elle risque de consolider l’appui dont le gouvernement Legault bénéficie déjà dans la population.
Par définition, les droits collectifs et le vivre ensemble ne font pas partie des préoccupations du comité, mais il demeure agaçant, pour ne pas dire insultant, de se faire périodiquement donner des leçons par un organisme qui inclut des états qui violent systématiquement les droits de leur citoyens, quand ils ne les assassinent pas purement et simplement. Se recommander de ces gens-là risque d’être du plus mauvais effet.
L’Arabie saoudite, la Chine, l’Égypte, le Pakistan, pour ne nommer que ceux-là, ne sont certainement pas des exemples de tolérance, religieuse ou autre. Dans chaque cas, la lecture du plus récent rapport d’Amnistie internationale fait dresser les cheveux sur la tête. On peut très bien contester les dispositions du projet de loi 21, mais la poutre est vraiment trop grosse pour se cacher derrière la paille.
Cela peut aussi être embarrassant pour le gouvernement Trudeau. Le Québec n’étant pas membre de l’ONU, c’est à Ottawa que la lettre du comité a été adressée. Il est assez cocasse de demander au gouvernement canadien de présenter les motifs pouvant justifier des restrictions à la liberté de religion qu’il réprouve totalement.
Le ministre du Patrimoine canadien et du Multiculturalisme, Pablo Rodriguez, a assuré qu’il continuerait de suivre la situation de très près. À quelques mois d’une élection qui pourrait se décider en bonne partie au Québec, on peut cependant penser que les libéraux préféreraient parler d’autre chose.
Si besoin était, la deuxième volet du sondage Léger commandé par l’Association d’études canadiennes indique clairement que la clientèle anglophone et allophone du PLC s’oppose aussi massivement au projet de loi 21 que la majorité des francophones l’appuient. Le problème est qu’il a besoin des votes des uns et des autres.