La Wallonie depuis le vaisseau spatial des élites

Chronique de José Fontaine

La revue POLITIQUE (mars-avril 2011) publie un très intéressant dossier consacré au plan de redressement de la Wallonie appelé Plan Marshall.
Renard voulait plus que le fédéralisme
Notamment au plan historique. Francis Bismans, professeur d'économie à l'université de Nancy analyse certains textes d'André Renard et écrits fin 61, après la grève qui vit se déployer massivement la revendication de l'autonomie wallonne (pour la première fois). Et montre bien que ce à quoi voulait arriver Renard, à savoir, en Wallonie, le contrôle publique du crédit (on y reviendra pour parler du Québec), la nationalisation du secteur de l'énergie, une planification souple, il ne pouvait politiquement y parvenir que si celle-ci était, autant vaut dire, indépendante. Les trois mesures précitées sont difficilement envisageables dans le cadre d'un fédéralisme classique et en tout cas elles n'ont pu être réalisées dans le cadre actuel du fédéralisme belge. Aussi poussé soit-il, mais ce n'est là que depuis dix ans. Car la revendication de la grève de 60-61 qui se voulait une réponse immédiate aux difficultés wallonnes dans une perspective socialiste et d'émancipation des travailleurs, n'aurait pu s'accomplir que si, au plus fort de la grève, les parlementaires socialistes wallons avaient démissionné collectivement de leur siège au Parlement, forçant à de nouvelles élections et à une révision constitutionnelle. Ces élus se rassemblèrent bien dans une commune de la région namuroise où ils proclamèrent le droit de la Wallonie à disposer d'elle-même. Ce sont des mots très lourds de conséquences sauf quand on cherche précisément à en éviter les conséquences. Ce qui fut le cas: les parlementaires socialistes wallons se gardèrent bien de démissionner. Ce n'étaient que des mots. Et la plupart des parlementaires socialistes critiquèrent les violences de la grève (alors qu'elles étaient une réponse à des gendarmes violents qui arrêtèrent des centaines de gens pour les incarcérer de longs mois, en blessèrent des centaines et en tuèrent 4 : rien que les combats de rue à Liège firent 75 blessés graves et deux morts le 6 janvier 1961).
Des caisses Desjardins en Wallonie?
Il a fallu 40 ans pour arriver à un stade d'autonomie qui ne permettrait toujours pas, selon F.Bismans, de mener une telle politique, à supposer qu'elle soit possible dans une Europe qui ne fait plus du tout autant confiance à l'Etat que dans les années 60.
Xavier Dupret est admiratif des instruments publics de crédit de l'Etat québécois, les caisses Desjardins qui gèrent 118 milliards d'€ d'actifs et se situent au 96e rang des 100 premières banques mondiale et qui sont des ccoopératives. Ou la Caisse de dépôt et de placement, institution publique qui gère quasi 100 milliards d'€.
Or, malgré le silence des statistiques belges sur le plan régional à cet égard, on apprend grâce à Xavier Dupret que l'épargne des ménages wallons est tout à fait importante puisque la solvabilité de ces ménages atteint 160% du PIB régional contre 153 aux Pays-Bas et 130 en Allemagne. X.Dupret se pose alors la question de savoir pourquoi il n'y a jamais eu en Wallonie « d'entreprise visant à se doter d'un appareil bancaire avec l'objectif de faire fructifier l'épargne des résidents au sein du tissu économique régional ». On peut dire que c'est parce que la Wallonie s'est inscrite dans le cadre belge et en a joué le jeu en toute confiance sans se rendre compte assez vite que la Flandre y jouait son jeu national propre, y compris dans la construction d'instruments financiers propres (pas nécessairement publics). Faudrait-il donc imiter le Québec? Ce n'est sans doute pas possible, estime Xavier Dupret, mais la crise bancaire et financière, qui a démontré l'irresponsabilité des banques (sauf celles analogues à celles du Québec dont on vient de parler), remet à la mode l'une des revendications du renardisme à savoir le contrôle public du crédit dans l'intérêt de l'économie régionale.
Un vaste consensus à créer mais est-ce néolibéral?
Je sais que divers milieux en Wallonie étudient la possibilité de créer une banque publique régionale. Je sais aussi que la possibilité de mobiliser les ressources au plan wallon a toujours soulevé le scepticisme des premiers concernés. C'est même peut-être à cause de cela que le fédéralisme a mis tellement de temps à se réaliser. J'ai souvent entendu dire qu'une telle perspective était illusoire, que la Wallonie s'insérait dans une économie internationale, qu'elle ne pouvait évidemment pas contrôler et dont elle dépendait largement. L'idée d'une Wallonie politiquement autonome a rencontré les mêmes scepticismes. Aux yeux de beaucoup (parfois sincères, parfois moins sincères), la question wallonne ne méritait pas tant d'attention et ce qui était fondamental, c'était l'union de l'Europe, le souci du tiers monde, voire la révolution mondiale. Somme toute, c'est vrai qu'il s'agit là de choses plus importantes. Seulement, cela ne signifie pas que l'on ne doive pas se préoccuper du chômage anormalement élevé des grandes villes wallonnes, ni se préoccuper (comme dans ce numéro de POLITIQUE), de la nécessité pour que le plan de redressement régional réussisse de créer un large consensus non seulement social (avec les grandes forces sociales organisées), mais aussi «sociétal» (avec l'ensemble des citoyens wallons). Anne de Vlaeminck et Muriel Ruol des syndicats chrétiens insistent très fort sur ce point. Henri Houben n'a pas tort de dire que ce Plan Marshall met en avant la réduction du chômage en Wallonie, vieil objectif syndical, seulement pour appâter le citoyen. Alors que, dit-il, il s'agit surtout de s'inscrire dans les perspectives européennes de haute compétitivité à atteindre en 2020 (un taux d'emploi de 75% par exemple, 40 % de jeunes diplômés etc.). Et que tous ces objectifs, l'Union européenne veut les atteindre en se fiant aux seules forces du marché, que les Etats n'ont plus à contrôler ni diriger, mais à «libérer» en quelque sorte en se faisant eux-mêmes les plus petits possibles, en consentant des réductions d'impôts et de cotisations sociales, en légiférant pour rendre les travailleurs de plus en plus "flexibles" (c'est-à-dire corvéables et taillables à merci: on appelle cela en Europe, les "contrats à durée déterminée" qui permettent de vous licencier du jour au lendemain) etc.
Il faut être attentif à cela et c'est vrai que les entreprises ne sont pas particulièrement soucieuses de réduire les inégalités par exemple. Cependant, le mouvement démocrate et socialiste, sans nécessairement faire une confiance aveugle au marché, a toujours espéré que celui-ci permettrait de réussir le plein emploi à condition de l'aider, mais aussi de le contrôler. Et il est vrai que s'il fallait, avant de songer à redresser la Wallonie, lutter d'abord pour que l'Europe devienne socialiste (et le reste du Monde), cela poserait un problème aux chômeurs wallons qui n'ont pas, à l'instar de chacun d'entre nous, cent années encore à vivre. C'est une formule lue chez Merleau-Ponty qui se pose la question du rapport entre Marxisme et sentiment national
Quand j'entends le mot Wallonie, je monte dans mon vaisseau spatial
J'avoue d'ailleurs que je me demande pourquoi, dans les premiers mots de l'introduction à ce dossier sur le redressement wallon, quelqu'un a écrit: «L'économie wallonne vue d'un vaisseau spatial, c'est 0,2 % du Produit intérieur mondial. Une poussière dans la mondialisation. Dans l'Union européenne des Vingt-Sept, cela ne pèse pas lourd non plus.» Comme si, du point de vue de ce vaisseau spatial si fréquenté par les élites belges, avant tout dossier sur la Wallonie, il fallait commencer par dire que, à la limite, cette Wallonie n'en valait pas la peine et qu'il y a d'autres sujets plus importants à traiter que les chômeurs de Charleroi ou la pollution sur la Meuse. Une dénégation bien plus vieille encore que la grève générale de 60-61. On sait le provincialisme de plus en plus accentué des médias qui fait qu'il faut un tremblement de terre avec au moins 300.000 morts pour qu'une finale de tennis avec une joueuse belge (belge évidemment, il n'y a que des belges dans les vaisseaux spatiaux), ne fasse pas la Une des journaux et des journaux télévisés. La Wallonie peut aussi y prétendre s'il y neige, si les rivières y débordent ou si un beau scandale est à dénoncer dans l'une ou l'autre grande ville qu'on oubliera aussi vite que la neige, le tennis ou les inondations.
La citoyenneté, y compris du Monde, sans nécessairement emprunter quotidiennement les vaisseaux spatiaux, est plus humble et elle sait que chaque homme qui résiste, aussi humble soit-il, chaque peuple qui dit non, aussi "petit" soit-il, nous rappelle que la liberté n'existe que si elle se sait menacée. Y compris par le snobisme. (1)
(1) Voir un un compte rendu plus détaillé.

Featured 11746605790305d4d2500c52aa75121d

José Fontaine355 articles

  • 386 651

Né le 28/6/46 à Jemappes (Borinage, Wallonie). Docteur en philosophie pour une thèse intitulée "Le mal chez Rousseau et Kant" (Université catholique de Louvain, 1975), Professeur de philosophie et de sociologie (dans l'enseignement supérieur social à Namur et Mirwart) et directeur de la revue TOUDI (fondée en 1986), revue annuelle de 1987 à 1995 (huit numéros parus), puis mensuelle de 1997 à 2004, aujourd'hui trimestrielle (en tout 71 numéros parus). A paru aussi de 1992 à 1996 le mensuel République que j'ai également dirigé et qui a finalement fusionné avec TOUDI en 1997.

Esprit et insoumission ne font qu'un, et dès lors, j'essaye de dire avec Marie dans le "Magnificat", qui veut dire " impatience de la liberté": Mon âme magnifie le Seigneur, car il dépose les Puissants de leur trône. J'essaye...





Laissez un commentaire



2 commentaires

  • José Fontaine Répondre

    13 mars 2011

    Oui, j'ai entendu parler de cela. La comparaison est faite par X.Dupret, un jeune économiste wallon. Le Québec est souvent pris comme modèle en Wallonie, également dans des problèmes comme la pédagogie dans toutes ses dimensions (et d'autres choses...). Malgré les expériences décevantes en matière de crédit public ou d'efforts de pays modestes à se redresser, je pense que nous ne devons pas écouter trop certaines critiques certes parfois justes, généreuses, mais finalement qui, en parlant du mieux, se font les ennemies du bien. André Renard a été critiqué au sein du socialisme officiel durant sa vie et après, parce que vouloir l'autonomie wallonne, c'était rompre avec les ouvriers flamands. Mais en attendant, on se retrouve à pied d'oeuvre dans les structures qu'il avait espérées (au moins politiques), simplement (si l'on peut dire!!!) avec 50 ans de retard.
    On peut dire de haut et de loin qu'un pays qui devient indépendant morcelle l'unité humaine. Mais 1), ce n'est pas sûr et 2) si on en arrive là, c'est parce que c'est nécessaire pour toutes sortes de raisons et pas pour le plaisir de se replier ou parce que la mode serait au repliement sur soi. Ce que disent souvent les Français. S'il y a une mode actuelle en ce domaine (?), la nécessité d'un Québec libre et d'une Wallonie libre existaient depuis bien plus longtemps que cette mode éventuelle. Le 7 juillet 1912, un Congrès wallon émit solennellement le voeu "que la Wallonie soit séparée de la Flandre". Espérons qu'on y vienne et en bonne entente avec les Flamands et vous aussi avec les Anglais (ce qui sera sans doute plus difficile, non à cause de vous mais des Canadians).

  • Claude Richard Répondre

    12 mars 2011

    Le Mouvement Desjardins a beau être une belle réalisation québécoise, il n'est plus ce qu'il était et montre des tendances inquiétantes. Sous la gouverne de son dernier président (Alban Damours) et de sa nouvelle présidente (Monique Leroux), le mouvement veut jouer les gros et se prendre pour une banque tout ce qu'il y a de plus "canadian". C'est ainsi que le mouvement a acheté juste avant la dernière crise plus que sa part de "papiers commerciaux" sans valeur, faisant perdre aux épargnants des centaines de milliers de dollars. Il tente aussi une expansion coûteuse du côté du Canada anglais, qui est vouée à l'échec (parlez-en à Jean Coutu et à feu Pierre Péladeau - dans l'au-delà). Il donne aussi maintenant, au Québec même, dans un bilinguisme grotesque, pensant ainsi attirer les allophones, comme si les allophones avaient vocation à s'intégrer à la puissante minorité anglophone. Vraiment il y a des progrès qui ressemblent à des reniements. Pas beau à voir! Vous, les Wallons, imitez ce qui s'est fait, mais pas ce qui se fait!