Ce n’est la faute de personne si en 2019 l’islam est une religion «particulièrement visible», a exposé le professeur de 95 ans lors de son passage mardi devant la Commission des institutions, qui étudie le projet de loi visant à interdire les signes religieux aux employés de l’État en position d’autorité, dont les enseignants.
Si le projet de loi 21 est adopté, une enseignante musulmane, par exemple, devra laisser son hidjab à la maison.
À une autre époque, ça aurait été le catholicisme qui aurait été visible, a plaidé M. Rocher. «En ce moment, c’est l’islam. [...] C’est, parmi toutes les religions, celle qui est la plus militante en ce moment, celle qui se manifeste le plus clairement, le plus visiblement», a-t-il déclaré.
«À cause de cette conjoncture, je dirais que la loi tombe mal en un sens. Si on avait fait la loi il y a 20 ans, peut-être qu’on n’aurait pas eu la même réaction, on ne lui aurait pas attribué la même islamophobie», a-t-il poursuivi.
Selon le chercheur, il faut arrêter de penser qu’un projet de loi est pour le présent. Il a rappelé que le paysage religieux au Québec avait beaucoup changé depuis 30 ans, et qu’il se métamorphosera de nouveau.
«Personne ne peut dire que l’islam continuera à avoir cette présence. Il est bien possible que les Témoins de Jéhovah tout à coup surgissent, que des Évangélistes s’affirment plus tard», a-t-il déclaré.
À l’heure actuelle, le problème de l’islam, c’est sa grande visibilité : «C’est le problème que ça pose en ce moment. Ce n’est pas une loi anti-islamique, contre l’islam, il se trouve qu’en ce moment la religion qui est visible, c’est l’islam. [...] La société n’est pas obligée d’accepter ça.»
Selon lui, le gouvernement du Québec a la responsabilité de légiférer pour établir l’égalité entre les religions, quitte à provoquer une crise sociale. «On n’aurait pas fait la loi 101 si on avait eu peur que ça suscite une crise», a-t-il lancé, sourire aux lèvres.
Guy Rocher s’est aussi montré favorable à l’utilisation de la clause dérogatoire, afin que la loi sur la laïcité puisse s’appliquer telle quelle pendant au moins cinq ans.
En plus d’avoir participé à la rédaction de la Charte de la langue française en 1977, M. Rocher a été membre de la commission Parent, qui s’est penchée sur l’état de l’éducation au Québec dans les années 60.
Réponse à Bouchard
Par ailleurs, le sociologue a pris le temps de répondre à son confrère, Gérard Bouchard, qui demandait la semaine dernière de voir des preuves qu’une enseignante voilée faisait du prosélytisme auprès de ses élèves.
Selon M. Rocher, il est scientifiquement impossible de faire ces preuves. «La recherche que demande M. Bouchard est méthodologiquement à peu près impossible à faire pour qu’elle soit scientifiquement valable», a-t-il indiqué.
Il faudrait suivre une génération d’élèves, ainsi que leurs parents et leurs enseignants, pour déterminer s’il y a eu prosélytisme. Or, cette recherche serait vite périmée, a-t-il fait valoir.
«Ma réponse à M. Bouchard serait la suivante : en l’occurrence, il faut recourir à ce que l’on appelle le principe de précaution. [...] Dans l’état d’incertitude, il faut protéger contre les risques possibles.»
M. Bouchard demandait plutôt à ce que le fardeau de la preuve incombe au gouvernement, qui veut nier des droits, selon lui.
«Question d’humains»
Pour sa part, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a applaudi la volonté du gouvernement d’enchâsser la laïcité dans une loi, mais s’est s’inquiétée de l’impact de l’interdiction du port de signe religieux sur le taux d’emploi des femmes immigrantes.
«Le taux de chômage est deux fois plus élevé chez les femmes issues de l’immigration versus les femmes natives d’ici ou celles qui sont arrivées dans les cinq dernières années, c’est majeur», a-t-elle déclaré, en exigeant que le gouvernement mesure l’impact du projet de loi sur les hommes et les femmes.
Elle craint de voir davantage de discrimination. «Prenons un pas de recul pour se rappeler qu’il est d’abord et avant tout question d’humains», a-t-elle insisté. Plusieurs Montréalais se sentent «impuissants» face au projet de loi, qui inclut une clause dérogatoire pour le soustraire à d’éventuelles contestations judiciaires, a-t-elle ajouté.
Le ministre de l’Immigration, Simon Jolin-Barrette, s’est interposé en défendant le droit du législateur à organiser les rapports entre l’État et les religions. Il soutient par ailleurs que sa pièce législative ne vise pas les «personnes immigrantes», mais bien «tous les Québécois, peu importe leur religion».
Les consultations particulières sur le projet de loi 21 se poursuivent mercredi.